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OCNA à domicile

Clara – Robert – Johannes

Alexander Shelley et l’Orchestre œuvrent actuellement à programmer, interpréter et enregistrer toutes les symphonies de Johannes Brahms et de Robert Schumann, et à tisser des liens entre elles avec les œuvres de la non moins brillante Clara Schumann.

Le 8 mai, nous lancerons avec fierté Clara — Robert — Johannes : Les favoris des muses, le premier de quatre albums pour la maison de disques montréalaise Analekta.

Nous vous faisons parvenir en primeur des extraits de cet album mettant en vedette la pianiste vénézuélienne Gabriela Montero.

Nous vous offrons une sélection de mouvements tirés de la première symphonie de Brahms et de celle de Schumann, un mouvement du Concerto pour piano de Clara Schumann ainsi que deux improvisations de Gabriela inspirées des thèmes de Clara Schumann.

Gabriela aborde la musique de Clara Schumann — qui a commencé à composer à 14 ans ! – à la fois avec émerveillement et révérence ; elle a d’ailleurs inscrit ce concerto à son répertoire dans le cadre de ce projet.

En prime, nous ajoutons un mouvement des Romances pour violon et piano de Clara Schumann, interprété par Yosuke Kawasaki, violon solo de l’Orchestre, et la pianiste favorite d’Ottawa, Angela Hewitt.

Guide d’écoute d’Alexander Shelley : Clara – Robert – Johannes

Clara, Robert et Johannes. Voilà une trinité d’âmes fortes, généreuses, pénétrantes, profondément romantiques et d’une grande sensibilité. Des âmes qui s’aimaient, s’admiraient et se soutenaient mutuellement. Le destin, l’œuvre et le nom de ces trois génies de la musique sont inextricablement liés, aujourd’hui comme à leur époque.

Alors que ce jeudi 7 mai marque le 187e anniversaire de naissance de Johannes Brahms, je vous présente avec plaisir ce soir des extraits de notre plus récent album, qui sera lancé ce vendredi 8 mai. Il s’agit du premier album double de notre nouveau cycle d’enregistrements, intitulé Clara – Robert – Johannes.

Ce cycle d’enregistrements offrira des interprétations actuelles de l’intégrale des symphonies de Robert Schumann et de celles de son protégé bien-aimé, Johannes Brahms. Ces œuvres seront reliées entre elles par l’entremise des concertos, œuvres de chambre et pièces vocales de Clara Schumann (née Wieck), leur plus proche confidente musicale et amie la plus sincère.

Bien que ces trois compositeurs aient tous été pianistes de concert, c’est Clara qui remportait la palme dans ce domaine. En 1828, à 9 ans à peine, elle était déjà en voie de devenir une concertiste prodige quand son père, un professeur de piano réputé, prit comme élève Robert Schumann – son futur mari, alors âgé de 18 ans.  Dans les décennies qui suivirent, elle fit une multitude de tournées à travers l’Europe et était reconnue comme l’une des pianistes les plus respectées et admirées de son temps. Elle interprétait à la fois les classiques et les œuvres contemporaines, y compris celles de Robert et du tout jeune Johannes Brahms. C’est Clara, concertiste professionnelle et mère de huit enfants, qui offrait à son brillant mais troublé mari le soutien émotionnel et financier dont il avait besoin.

Clara composa son concerto pour piano pendant ses jeunes années. À 13 ans, elle écrivit un Konzertsatz (un morceau en un mouvement), qui devint plus tard le finale de la pièce (vous l’entendrez dans notre enregistrement de ce soir). Elle ajouta ensuite deux autres mouvements pour terminer le concerto au cours des deux années suivantes. Elle était la soliste à la création de l’œuvre, qui eut lieu en 1835 dans sa ville natale de Leipzig, avec l’Orchestre du Gewandhaus dirigé par nul autre que Felix Mendelssohn. Cette œuvre à la fois juvénile et accomplie, traditionnelle et audacieuse, témoigne bien du génie étincelant de Clara.

Clara épousa Robert après une longue et acrimonieuse bataille juridique avec son propre père, qui était opposé à leur union, le 12 septembre 1840 (soit la veille de son 21e anniversaire, moment où le consentement parental n’aurait plus été nécessaire). Dans toute cette agitation, Robert connut néanmoins une période de créativité presque sans précédent, produisant, pendant cette « année des lieder », 138 œuvres du genre. Grâce aux encouragements et au soutien de Clara, il avait aussi composé et terminé sa première symphonie au début de l’année 1841. On y sent parfaitement l’influence de cette « année des lieder »; le deuxième mouvement (Larghetto), que vous entendrez ce soir, est formé d’une ligne lyrique presque ininterrompue qui passe sans cesse des violons aux vents.

La musique, les arts et la famille étaient au cœur de la vie des Schumann. Le couple participait passionnément au débat qui faisait alors rage sur l’avenir de la musique et était représenté par deux écoles de pensée. D’un côté, les compositeurs progressistes (Liszt au premier chef) militaient en faveur d’une musique à programme, très descriptive; de l’autre, les traditionalistes (Robert et Clara parmi les chefs de file) prônaient la « musique absolue », symbolisée par la symphonie.

En 1853, Johannes Brahms se présenta à la demeure des Schumann, à Düsseldorf, une lettre de recommandation de l’éminent violoniste Joseph Joachim en main, comme Robert avait frappé à la porte des Wieck 25 ans plus tôt, en 1828. Celui-ci fut impressionné par le talent de ce remarquable jeune homme de 20 ans, venu de Hambourg. Il devint immédiatement le champion de Johannes et favorisa la publication de ses premières œuvres.

Mais un an plus tard, Robert faisait une tentative de suicide et était interné. Brahms offrit son soutien à Clara, résidant avec elle et sa famille. Leur admiration mutuelle est bien documentée et indéniable, et on sait qu’ils furent de très proches amis jusqu’à la mort de Clara. Mais la nature et la profondeur de l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre demeurent l’un des grands mystères de l’histoire de la musique classique. C’est cette année-là, 1854, que Johannes commença les premières esquisses d’une œuvre qu’il mit deux autres décennies à élaborer : sa première symphonie.

L’ombre de Beethoven était si puissante que Robert et Johannes consacrèrent une grande partie de leur temps et de leur énergie à réfléchir à ce que pourrait être la symphonie pour les héritiers du grand compositeur. Le fruit du travail de Johannes est une première symphonie puissante, foudroyante, à nulle autre pareille, qui culmine, dans son quatrième mouvement, en un thème inoubliable, l’un des plus rayonnants de toute l’histoire de la musique. L’œuvre a été créée en 1876, 20 ans après la mort de Robert des suites d’une pneumonie contractée à l’hôpital psychiatrique, près de Bonn.

L’intensité fulgurante qui caractérise le premier mouvement de cette œuvre évoque bien l’héritage de Beethoven (avec le battement insistant et énergique des timbales, des cordes basses et des vents), lequel est savamment enveloppé d’une texture typiquement brahmsienne formée de voix lyriques densément enchevêtrées et ayant une fonction à la fois mélodique et harmonique. On réalise que les lignes des cordes et des vents aigus se reflètent l’une l’autre de manière inversée à mesure que la pièce avance, adoptant ainsi le modèle architectural de Beethoven et sa rigueur intellectuelle. En fait, ces lignes, qui ressemblent à des reprises de thèmes ou d’idées, sont présentes dans tous les mouvements de la symphonie.

Dans notre enregistrement, j’explore une question fondamentale concernant le tempo du premier mouvement de cette symphonie. Brahms en a écrit l’introduction après avoir terminé le reste du mouvement. Le compositeur, qui se méfiait du métronome, nous a laissé une indication de tempo équivoque et énigmatique : « un poco sostenuto » ou « un peu soutenu ».  Cette indication a été interprétée de plusieurs manières au fil des années, principalement au sens de « lentement, avec grandeur et austérité ». Plusieurs raisons me font personnellement pencher pour une interprétation différente : je vois cette introduction comme une première version « un peu soutenue » ou la préfiguration de la musique troublante et agitée qui caractérise l’ensemble du mouvement : autrement dit, on plonge immédiatement dans le tumulte, avec un tempo dynamique, incessant. Le destin est scellé. Avec ce tempo, je peux savourer les lignes des vents qui rappellent Schumann, leur cohésion; elles me semblent ainsi plus tendrement humaines et unies dans leur lyrisme.

Je souhaitais vous donner, dans cette édition de L’OCNA à domicile, un aperçu de la philosophie qui sous-tend notre cycle d’enregistrements. Nous avons donc rassemblé ici un mouvement de chacun de nos trois compositeurs tiré d’œuvres qui figurent sur notre nouvel album, et avons en prime ajouté une pièce interprétée par notre brillant violon solo, Yosuke Kawasaki, et la pianiste-vedette canadienne Angela Hewitt, qu’on trouvera sur un album à venir.

Comme il était d’usage à l’époque, Clara, Robert et Johannes étaient passés maîtres dans l’art de l’improvisation; ils puisaient d’ailleurs à cette source pour leurs compositions plus formelles. Je pense que pour inscrire notre album dans cette lignée nous ne pouvions trouver meilleure collaboratrice que Gabriela Montero, une compositrice, improvisatrice et pianiste virtuose extraordinairement talentueuse. Outre ses interprétations des œuvres de Clara, Gabriela partage avec nous ses magnifiques improvisations, inspirées des thèmes de la compositrice et enregistrées selon l’inspiration du moment à la Salle Southam. Ces improvisations tissent des liens entre les œuvres qui les entourent sur cet album, comme le faisait Clara elle-même en concert.

J’ai bon espoir que, grâce à ce cycle d’enregistrements, vous pourrez notamment redécouvrir l’âme et la passion musicale qui unissaient ces trois grands artistes; établir des liens entre leurs élans créatifs spontanés et l’inspiration qu’ils ont puisée l’un dans l’autre, par l’entremise des improvisations de Gabriela; repenser les pièces vocales et la musique de chambre comme un contexte intime qui se reflète dans l’écriture symphonique; être touchés droit au cœur par notre exploration de l’amitié, de l’amour et des liens étroits qu’il y avait entre ces esprits romantiques comme ils l’ont été mutuellement par les créations de chacun. Clara, Robert et Johannes étaient véritablement les favoris des muses. 

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