L'Orchestre du CNA avec Mario Bernardi, 1975 ©
OCNA à domicile

Dame Janet Baker chante Berlioz

Avec cette édition de L’OCNA à domicile, nous vous transportons du froid mordant des nuits d’hiver à la chaude passion des soirées estivales. Daté de 1975, cet enregistrement d’archives met en vedette notre Orchestre sous la houlette de Mario Bernardi, alors directeur musical de l’ensemble, et dame Janet Baker, mezzo-soprano fort renommée, dans une grandiose interprétation d’extraits des Nuits d’été, exquis cycle de chansons de Berlioz.

Hector Berlioz (1803–1869) est surtout reconnu pour ses œuvres expressives pour orchestres de taille extravagante (telle la Symphonie fantastique) et, plus récemment dans l’histoire de la musique, pour ses grands opéras. À certains moments de sa vie, le compositeur semble toutefois s’être tourné vers un cadre plus intime, celui de la chanson. Il en a produit une quarantaine.

Les circonstances ayant mené à la création initiale des six mélodies des Nuits d’été, de même que l’intention du compositeur, demeurent mystérieuses; Berlioz n’en parle ni dans les mémoires qu’il a publiées ni dans sa correspondance, contrairement à son habitude. En 1840, il tira six poèmes du recueil La comédie de la mort de son proche ami Théophile Gautier (1811–1872), et les régla pour voix aiguë et piano. Il orchestra « Absence » en 1843, dans le cadre d’une ambitieuse tournée de concerts en Europe, en vue d’une prestation en Allemagne. Il s’occupa de l’orchestration des autres chansons en 1856, et l’ensemble fut alors publié en Suisse.

Berlioz n’eut jamais l’occasion d’entendre toutes les chansons des Nuits d’été interprétées comme un tout, et on ne sait pas avec certitude s’il entendait en faire un cycle complet. Ces chansons explorent différentes facettes de l’amour, y compris le désir passionné, le désespoir de la perte, la douleur du souvenir et la nostalgie (il est possible que Berlioz se soit intéressé à ces poèmes en relation avec ce qu’il vivait au début des années 1840 : son mariage avec Harriet Smithson – muse qu’il avait immortalisée dans sa Symphonie fantastique – battait de l’aile). L’ordre des chansons suggère un puissant arc dramatique, souligné par une orchestration délicate et nuancée. Dans la pièce d’ouverture, « Villanelle », des amants remplis d’espoir se promettent l’amour éternel; doucement bondissante, la partie orchestrale donne un ton naïf à la pièce, mais les harmonies fluctuantes ajoutent un soupçon de mélancolie. Nous passons ensuite à « Sur les lagunes » (« Le spectre de la rose » a été omis dans notre prestation) : l’amant songe à la mort de sa bien-aimée, et chaque strophe est ponctuée d’un cri de détresse. La pièce demeure sans issue.

« Absence » porte en elle toute la dimension dramatique d’un chant opératique dans lequel le protagoniste espère le retour de sa bien-aimée au-delà du temps et de l’espace. Dans « Au cimetière », l’orchestre crée une atmosphère surnaturelle d’où émerge une voix évoquant visions et souvenirs fantomatiques. Vient enfin « L’île inconnue », qui rappelle la gaieté de la « Villanelle » en omettant sa naïveté : semblant avoir accepté que l’amour éternel du chant d’ouverture ne dure pas toujours et s’étant ainsi libéré de cette façon de penser, la protagoniste peut aborder l’amour avec espoir.

Note d’Hannah Chan-Hartley, D. Mus.

Télécharger le libretto des Nuits d’été d’Hector Berlioz (op. 7, 1841; orch. 1843, 1856)
Poèmes de Théophile Gautier
 

Les nuits d’été, op. 7 (1841; orch. 1843, 1856)

Poèmes de Théophile Gautier
Traduction anglaise de Richard Stokes tirée de A French Song Companion (Oxford, 2000)
Texte et traduction reproduits avec l’aimable autorisation d’Oxford Lieder (oxfordlieder.co.uk)

I. Villanelle

Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids,
Tous les deux nous irons, ma belle,
Pour cueillir le muguet aux bois;
Sous nos pieds égrenant les perles
Que l’on voit au matin trembler,
Nous irons écouter les merles
Siffler!

Le printemps est venu, ma belle;
C’est le mois des amants béni,
Et l’oiseau, satinant son aile,
Dit ses vers au rebord du nid.
Oh! viens donc sur ce banc de mousse,
Pour parler de nos beaux amours,
Et dis-moi de ta voix si douce:
Toujours!

Loin, bien loin, égarant nos courses,
Faisons fuir le lapin caché,
Et le daim au miroir des sources
Admirant son grand bois penché;
Puis, chez nous, tout heureux, tout aises,
En paniers enlaçant nos doigts,
Revenons rapportant des fraises
Des bois!

III. Sur les lagunes

Ma belle amie est morte:
Je pleurerai toujours;
Sous la tombe elle emporte
Mon âme et mes amours.
Dans le ciel, sans m’attendre,
Elle s’en retourna;
L’ange qui l’emmena
Ne voulut pas me prendre.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!

Le blanche créature
Est couchée au cercueil.
Comme dans la nature
Tout me paraît en deuil!
La colombe oubliée
Pleure et songe à l’absent;
Mon âme pleure et sent
Qu’elle est dépareillée.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!

Sur moi la nuit immense
S’étend comme un linceul;
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah! comme elle était belle,
Et comme je l’aimais!
Je n’aimerai jamais
Une femme autant qu’elle.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!

IV. Absence

Reviens, reviens, ma bien-aimée;
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil!

Entre nos cœurs quelle distance!
Tant d’espace entre nos baisers!
Ô sort amer! ô dure absence!
Ô grands désirs inapaisés!

Reviens, reviens, ma bien-aimée.
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil!

D’ici là-bas, que de campagnes,
Que de villes et de hameaux,
Que de vallons et de montagnes,
À lasser le pied des chevaux.

Reviens, reviens, ma bien-aimée.
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil!

V. Au cimetière

Connaissez-vous la blanche tombe
Où flotte avec un son plaintif
L’ombre d’un if?
Sur l’if, une pâle colombe,
Triste et seule, au soleil couchant,
Chante son chant;

Un air maladivement tendre,
À la fois charmant et fatal,
Qui vous fait mal
Et qu’on voudrait toujours entendre,
Un air, comme en soupire aux cieux
L’ange amoureux.             

On dirait que l’âme éveillée
Pleure sous terre à l’unisson
De la chanson,
Et du malheur d’être oubliée
Se plaint dans un roucoulement
Bien doucement.

Sur les ailes de la musique
On sent lentement revenir
Un souvenir;
Une ombre, une forme angélique
Passe dans un rayon tremblant,
En voile blanc.

Les belles-de-nuit, demi-closes,
Jettent leur parfum faible et doux
Autour de vous,
Et le fantôme aux molles poses
Murmure, en vous tendant les bras:
Tu reviendras?              

Oh! jamais plus, près de la tombe
Je n’irai quand descend le soir
Au manteau noir,
Écouter la pâle colombe
Chanter sur la pointe de l’if
Son chant plaintif!

VI. L’île inconnue

Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler!

L’aviron est d’ivoire,
Le pavillon de moire,
Le gouvernail d’or fin;
J’ai pour lest une orange,
Pour voile une aile d’ange,
Pour mousse un séraphin.

Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler!

Est-ce dans la Baltique
Dans la mer Pacifique,
Dans l’île de Java?
Ou bien est-ce en Norvège,
Cueillir la fleur de neige
Ou la fleur d’Angsoka?

Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?

Menez-moi, dit la belle,
À la rive fidèle
Où l’on aime toujours.
– Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours.

Où voulez-vous aller?
La brise va souffler!

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