De “Je n’y suis plus” à “Dans le bleu”: correspondance entre Guy Warin et Magali Lemèle

Il faut savoir se prêter au rêve

lorsque le rêve se prête à nous.

                                                                                                                                            — Albert Camus

Guy Warin (GW): De la création en septembre 2013 de Je n’y suis plus, un monologue de Marie-Claude Verdier, à celle de ton tout premier texte à la scène, le chemin que tu as parcouru est parsemé d’aventures, d’obstacles, de moments de solitude, puis de grands périples. Qu’est-ce qui t’a menée à l’écriture de ce récit de voyage autobiographique qu’est Dans le bleu ? 

Magali Lemèle (ML): Je n’y suis plus, c’est l’histoire d’une jeune femme qui perd ses repères, qui s’enferme dans sa propre prison. Un big bang intérieur. Un personnage qui oscille entre détresse et autodérision. Un texte à la frontière du monologue et du slam.

À la suite de la création de cette œuvre de Marie-Claude Verdier avec une équipe extraordinaire, la carapace qui m’isolait s’est fêlée.

Une lente implosion s’opérait en moi-même.

Des deuils trop vite faits, des douleurs enfouies… mon GPS intérieur déraillant.

J’avais besoin de lumière et de vide.

Je suis partie en mer pour me guérir ou renaître ou me mettre en danger ou peut-être un peu de tout cela… jouer le tout pour le tout.

Repousser mes limites. Faire face àl’aventure et à l’inconnu. Défier la vie. Embrasser ma solitude.

Baptême de mer.

Comme une médecine douce, sur les flots, j’embarque en 2014, en 2015, en 2016, en 2017…

Au cours de chaque périple, j’apprends à me reconstruire.

Le voilier devenant une île, une terre isolée et mouvante, un petit monde coupé du monde.

Les rapports humains, les habitudes de vie, les mouvements mêmes sont changés.

On épouse le rythme de la mer, on ne fait plus qu’un avec son bateau.

La terre est loin, elle n’existe plus.

Le vent nous pousse à une allure

et c’est beau 

et je respire 

et je regarde la mer 

et je suis bien 

et je réapprends à vivre.

Et voilà qu’après plus de vingt ans dans le milieu théâtral naît en moi le désir de créer une œuvre scénique unissant mes passions, voile et théâtre, alliant poésie et failles de la vie.

Créer une œuvre me redéfinissant.

Alors je me mouille et écris, je me noie dans les mots pour une première fois.

« Comment dire ? » : j’ose raconter.

À la barre d’une nouvelle aventure,

Là, JE SUIS.

GW: Tu as livré une version préliminaire de Dans le bleu à l’occasion d’une Carte blanche à l’Espace René-Provost, à Gatineau. Parle-nous de cette première étape d’écriture et de sa présentation devant public.

ML: L’idée a germé au courant de mon deuxième périple en mer, en 2015. Munie de ma GoPro, de mon enregistreuse et de mon cahier de notes, j’ai observé la mer des heures durant et comment elle résonnait en moi. Grâce à ma complice, la conseillère dramaturgique Marie-Claude Verdier, un premier travail d’écriture a débuté au courant de l’hiver 2016. Une correspondance sur la mer. Les tableaux se sont accumulés dans mes cahiers, et la traversée vers une œuvre plus complète est devenue rapidement essentielle en moi. En février 2017, Sylvie Dufour, directrice artistique du Théâtre de l’Île, m’offre une Carte blanche à l’Espace René-Provost. Je plonge tête première, bohème dans les mots, et le public entend les balbutiements de Dans le bleu. Ensemble, nous glissons dans une aventure en mer : un voyage mettant notre solitude en présence de forces irrésistibles de la nature, à tout ce qui échappe à notre contrôle et qui peut nous submerger à tout moment.

GW: À la biennale Zones Théâtrales en septembre 2017, tu as présenté une nouvelle version de Dans le bleu, sous la forme d’un chantier, dans lequel tu offrais une performance accompagnée d’une pianiste. Comment la pièces’est trouvée transformée entre la Carte blanche et le chantier ? Qu’as-tu découvert lors de cette présentation à Zones Théâtrales ? 

ML: Entre le moment de ma Carte blanche et le chantier, un trépas se réveille, l’ouverture d’une blessure, d’un deuil.

Un spectre qui ne vit ni ne meurt et que je vois dans le sourire des enfants qui m’entourent.

Une interruption volontaire, une ombre qui me hante.

Me promettre de ne pas avoir fait ça pour rien.

Je retourne sur la mer, mais cette fois-ci pour traverser l’Atlantique d’ouest en est.

Une épopée n’ayant rien à voir avec mes autres trajets en voile.

Et la vie me rattrape, et la mer ne m’épargne plus, et je touche le fond.

L’ancre flottante à la dérive.

Un voyage initiatique dans lequel je me vois confrontée à de multiples épreuves.

À mon retour sur terre, je rencontre Claude Guilmain, qui me guidera dans mon chantier à Zones Théâtrales.

Avant d’entamer notre laboratoire d’écriture, il me demande de lui parler de ma traversée… et s’ensuit un long récit de plus de deux heures sur une terrasse. 

Puis un long silence. 

Il me propose d’écrire ce parcours magnifiquement troublant, dramatiquement poétique… étrangement théâtral.

Je m’installe avec mon crayon et j’écris et écris et écris et écris…

Quarante-huit heures plus tard, mon odyssée personnelle est couchée sur papier.

Naissance d’une nouvelle version de Dans le bleu.

Pour traverser l’immensité du bleu et insuffler une seconde dimension à ce geste d’écriture, nous allons à la rencontre de la pianiste Venessa Lachance.

De notre union naît un doux mariage entre mes aventures sur les flots et l’exploration musicale. Une nécessité pour apaiser un mal de terre. 

Chevaucher un océan, c’est avant tout l’expression d’une fascination, mais surtout une traversée de ses propres questionnements. 

Chanceuse, je suis.

Le public est au rendez-vous, attentif, emporté dans le sillage de cette histoire vécue et hors norme.

GW: Le Théâtre français du CNA et le Théâtre de l’Île ont souhaité collaborer afin de t’appuyer dans la création d’une production de Dans le bleu, te permettant de travailler avec une équipe de créateurs. Le premier artiste à se joindre à toi a été Gabriel Plante à la mise en scène. Comment s’est faite ta rencontre avec lui ? Quelle a été sa vision de ton texte ? 

ML: Je rencontre Gabriel Plante lors d’une résidence à AXENÉO7, instauré par le Théâtre du Trillium, peu de temps après avoir touché terre en 2017. Sa sensibilité aux mots et aux sons m’a vivement interpellée.

Comme ma démarche artistique se concentre sur la voix et le rythme, notre rencontre autour de Dans le bleu me semblait une belle occasion.

Aussi, j’avais l’urgent appétit de travailler avec un nouveau créateur… un peu comme lorsque je pars en voilier et que je réponds à une annonce.

Seule face à l’étranger.

Curieuse de voir ce qui allait faire vibrer cet homme qui ne me connaît pas et qui ne fait pas partie de mon entourage.

Le goût du risque, de la mise en danger.

Le désir de provoquer quelque chose en moi, d’aller à la rencontre de l’inconnu.

Défier l’artiste que je suis.

Je savais Gabriel capable de creuser les zones noires, la mémoire physique, les failles de l’être…

Un guide « idéal » pour partir à la recherche de mes fantômes. 

Sachant que je ne pouvais pas mettre la mer sur scène, je trouvais intéressant de me confronter à un metteur en scène capable de décontextualiser et d’imaginer des angles inattendus.

Pour continuer à découvrir l'univers de Dans le bleu, nous vous suggérons:

Les grands voyages ne nécessitent pas de grands moyens, un texte de Gabriel Plante (metteur en scène de Dans le bleu), paru dans le Cahier Seize du Théâtre français. 


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