Un projet de théâtre documentaire sur la langue française

© Jonathan Lorange


En 2019, les Zones Théâtrales ont accueilli le projet  Oh! Canada : un forum sur la langue de Nicolas Gendron et Danielle Le Saux-Farmer. Ce chantier lançait un vaste projet de recherche sur l'état de la langue française. 
Du 23 au 27 novembre dernier, les Zones Théâtrales ont accueillis à nouveau Danielle et Nicolas dans le cadre d'une résidence au CNA. Nous nous sommes entretenus avec Danielle Le Saux Farmer pour prendre le poulx de leur création.

 

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le projet Oh! Canada?

Oh! Canada (qui est un titre de travail, mentionnons-le), c’est un projet de création artistique qui est d’abord un grand chantier de recherche citoyenne sur la question de la langue française et des langues qui coexistent au Canada. Ce chantier va mener à la création d’un spectacle de théâtre documentaire qui sonde l’état du fait français et, plus précisément, qui cherche à savoir si la langue française est sur le respirateur artificiel à travers le pays. 

On ne prend pas cette posture-là comme chercheurs, mais on est quand même influencés par ceux qui tirent la sonnette d’alarme sur le fait français, en proclamant que le français est en déclin au pays, que ce soit à Montréal, ou à Saskatoon ou dans l’Est ontarien. 

Pour notre phase de recherche, on va procéder d’est en ouest. On a déjà fait une étape en Acadie en juin dernier, et en janvier on aura des résidences qui vont nous permettre de lancer une étape de recherche au Québec. Ce qui est surprenant, c’est qu’en discutant avec les diffuseurs qui nous accueillent en résidence, on sent que même en région québécoise il existe une urgence, une crainte de perdre cette langue-là. Et là, on ne se retrouve même pas en situation minoritaire comme ailleurs au Canada. 

Vous avez présenté une première mouture de ce projet-là dans le cadre des Zones Théâtrales 2019, sous forme de chantier. Qu’est-ce que cette étape-là vous a permis d’accomplir?

L’étape de travail aux Zones Théâtrales nous a permis de tester la forme du forum qui visait à provoquer la rencontre entre des experts et des citoyens. Ce qu’on a constaté pendant les Zones, c’est que le forum était davantage axé vers les interventions des experts. Ça a donné une belle rampe de lancement au projet et ça nous a permis de revoir un peu notre façon de faire. Au printemps dernier, quand on s’est retrouvé en résidence au Théâtre populaire d’Acadie, on a pu mieux structurer les rencontres entre experts et citoyens pour mieux équilibrer les temps de parole, histoire de nous permettre de recueillir plus de témoignages de citoyens. 

Qu’est-ce qui s’est passé ensuite? Qu’est-ce que ce labo-là a permis d’apporter à votre réflexion?

En fait, la forme même du forum avec son volet citoyen devait seulement être une première étape. On pensait que cette forme-là allait être unique aux Zones Théâtrales pour lancer le projet. Habituellement dans une démarche documentaire, on cherche à être en lien avec des experts afin d’explorer les différentes avenues d’un sujet. Mais après le forum des Zones, on a modifié notre approche pour que ce soit la parole des citoyens qui prime. Les interventions d’experts vont pouvoir éclairer ces paroles citoyennes-là.

Il y a déjà beaucoup de matière qui existe sur l’état du fait français, il y a des articles qui sortent là-dessus toutes les semaines, alors on se demandait carrément : « Pourquoi emprunter une forme théâtrale pour parler de ce sujet? » Et une des raisons, c’est justement à cause de l’humanité qui existe dans la question de la langue, à cause de l’aspect intime qui vient nous toucher. Quand on parle de la langue, on est dans des vraies histoires humaines qui viennent toucher toute une panoplie de questions, jusqu’à la manière même dont ce pays-là a été fondé. 

Heureux de voir que ça vous a permis d’avancer dans votre réflexion! Vous avez justement fait un résidence au CNA pendant une semaine pour travailler sur le projet. Es-tu en mesure de nous expliquer un peu ce que vous espériez faire ou avancer?

C’est tellement précieux d’avoir du temps de résidence comme ça, surtout dans un contexte de pandémie. Nicolas et moi sommes dans deux villes différentes et cette semaine va nous donner la chance de nous retrouver face à face pour chercher ensemble, de manière efficace et concentrée. On s’était fixé trois grands objectifs pour cette résidence au CNA, mais on ne vous les dira pas! (Ben non, c’est une blague…)

Un des gros défis dans un processus documentaire où on lit beaucoup d’articles et d’ouvrages et où on enregistre toutes nos entrevues et nos forums, c’est la gestion de l’information. On va s’associer avec une boîte professionnelle d’archivage pour nous aider à organiser toutes ces données. L’idée est aussi de créer une plateforme périphérique au spectacle qui va contenir plein de ressources et d’informations liées au projet. 

Ensuite, on voulait continuer à faire des rencontres. On avait dressé une liste d’invités à rencontrer, on voulait parler autant à des experts qu’à des citoyens. On avait prévu de rencontrer 5 personnes pendant la semaine, en respectant, bien sûr, les consignes sanitaires et le niveau de confort de chacune d’elles. Alors, certaines entrevues se sont faites en personne et d’autres par Zoom. 

Et finalement, c’était la chance pour nous de préparer le chantier de recherche que nous allons mener au Québec en janvier prochain. Cette résidence nous a permis un temps d’arrêt pour revisiter le chantier de recherche que nous avons fait au printemps dernier en Acadie, et d’organiser et de structurer nos méthodes pour les prochaines résidences. 

Comment décrirais-tu l’évolution du projet entre la première présentation en septembre 2019 et maintenant?

On veut que ce soit un projet fédérateur. Pour y arriver, on ne peut pas juste parler de la langue française sans aborder tout le contexte autour du fait français. Une langue interagit avec les autres langues, elle n’existe pas seule. Le français est principalement en rapport avec l’anglais, mais aussi avec les langues autochtones, par exemple. Des langues qui ont été complètement oubliées dans les leviers de protection qui existent et qu’on chérit tellement du côté francophone. Et ensuite, il y a toute la réalité multilinguistique et multiculturelle du Canada qui vient jouer un rôle. À Vancouver, par exemple, le cantonais est beaucoup plus répandu que le français. Alors, ce sont toutes ces questions-là qu’on doit se poser avec Oh! Canada

En septembre dernier, on a pu présenter le projet à des diffuseurs dans le cadre des Fenêtres – regard sur la création du Théâtre de la Ville à Longueuil. À la suite de ça, on a été invités à faire des résidences de création dans plusieurs régions du Québec. Les diffuseurs qui nous accueillent vont pouvoir nous mettre en lien avec des intervenants et des citoyens pertinents, sans qu’on soit obligés de passer par les départements universitaires ou collégiaux de lettres ou de linguistique. Et ça cristallise cette approche qui est davantage citoyenne qu’académique, davantage intime qu’intellectuelle, et qui ne passe pas uniquement par la plaque tournante universitaire, mais aussi par celle de la culture. 

Que te souhaites-tu pour la suite de ce projet? 

Ce que je me souhaite c’est que tout ce temps de recherche qu’on prend pour creuser le sujet de la langue va permettre de décupler la capacité de faire rayonner ce projet. Non pas juste parce que j’ai envie de tourner le spectacle longtemps et partout au pays, mais aussi pour qu’on arrive à parler du fait français dans une perspective pancanadienne. On aimerait pouvoir retourner dans tous ces lieux où on a rencontré des citoyens pour leur dire : voici les échos d’est en ouest et du nord au sud sur le fait français. 

On va te le souhaiter aussi! Je suis très heureux que les Zones Théâtrales puissent jouer un rôle dans l’évolution de ce projet et on espère que vous avez bien profité de votre semaine chez nous!


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