Entretien avec Brigitte Haentjens autour de Pour en finir avec Octobre?

Octobre 2020. Sur la scène du Diamant, à Québec, c’est une rare journée de diffusion en cet automne de disette culturelle. Depuis une semaine, le plateau a des airs de studio de radio avec la vingtaine de microphones qui capteront l’épilogue de Pour en finir avec Octobre?, un balado en huit épisodes signé Brigitte Haentjens et Sébastien Ricard.

C’est aussi la fin d’un marathon de production qui nous aura permis de créer cette épopée sonore poético-politique, que j’ai coréalisée au sein de la Scène nationale du son. Au lendemain de la mise en ligne du huitième épisode et à quelques heures de la présentation – en direct – de l’épilogue, je me suis assis avec Brigitte Haentjens dans les coulisses du Diamant pour bien conclure cette aventure.

JULIEN : Brigitte, tu as travaillé intensément dans les six derniers mois sur Pour en finir avec Octobre? Quelle a été la pulsion de création du projet?

BRIGITTE : La pulsion est liée au passé, puis à la longue collaboration avec Sébastien Ricard, qui commence à dater de presque dix-huit ans. Les sujets politiques sont toujours au cœur de nos pensées et de nos discussions. On a réalisé ensemble le Moulin à paroles1 (2009) et Nous? (2012), qui ont été des moments clés, puis à chaque fois, on se questionnait parce qu’on était toujours un peu déçus que ça se referme sur soi!

Et donc, là, avec le cinquantième de la crise d’Octobre, on cherchait une façon originale de commémorer ça. En même temps, on ne voulait surtout pas faire un documentaire historique, journalistique et pseudo-objectif. Parce qu’on voit bien qu’il y a une objectivité qui est revendiquée par certains journalistes et qui est complètement hypocrite.

JULIEN : La subjectivité de l’histoire et la façon dont on l’écrit, ça aussi c’est très intéressant.

BRIGITTE : Exactement! Comme s’il n’y avait qu’une seule façon de regarder ça. Dans la discussion, tout ce qui nous animait le plus fortement, c’était de dire « OK, c’est une période lumineuse parce qu’elle est toujours montrée comme une période sombre ». C’était donc ça, le défi.

JULIEN : Le Moulin à paroles, c’était en 2009. L’épisode 4 de Pour en finir avec Octobre? revient sur le contexte, la charge, la portée de cet événement. C’est un exercice qui est un peu similaire dans la démarche. Qu’est-ce qui a changé entre 2009 et 2020 dans le contexte de création?

BRIGITTE : Je trouve que ça empire. J’ai l’impression d’avoir une chape de plomb de plus en plus lourde sur les épaules. C’est donc ça, l’idée d’ouvrir un nouveau territoire. Moi, évidemment, j’ai toujours une espèce de référence parce que je suis arrivée au Québec – en Ontario, plutôt – en 1977. Donc, moi, entre le moment de mon arrivée et maintenant, je trouve que ça a changé de façon considérable. Peut-être parce que j’ai une forme de distance.

JULIEN : En quel sens ça a changé?

BRIGITTE : Je le qualifierais de la façon suivante, avec la disparition de la joie de vivre. C’est purement instinctif. Quand j’habitais en France, mon image du Québec était la joie et l’exultation. C’était une forme d’innocence, puis une forme de plaisir, de candeur, sans que ce soit du tout péjoratif. Ça, je trouve que ça a disparu. Puis, Sébastien le dit dans l’épilogue, justement, qu’Octobre 1970 a fait perdre l’innocence au Québec. Je pense que c’est assez vrai et que quelque chose s’est enfoncé. Il y a des discussions qui ne sont plus possibles, il y a des termes qu’on ne peut plus dire. Bon, c’est sûr qu’aujourd’hui, on n’est plus dans la même situation que dans les années qui ont précédé les années 70. C’est sûr que c’est plus la même chose; dans le fond, l’oppression a changé de forme, mais elle est toujours présente.
 
JULIEN : Brigitte, nous avons collaboré de façon intense à la création de ce balado dans les dernières semaines. Est-ce que c’était très différent de ce que tu fais normalement avec les arts vivants? Comment as-tu trouvé l’expérience d’une pratique plus audionumérique?

BRIGITTE : Oui et non, dans le fond, parce que pour moi, c’est pas si différent! Bon, c’est une autre forme, mais pour moi, il n’y a pas de forme définie! Dans le fond, chaque fois, j’essaie de renouveler la forme du spectacle que je fais. Pour moi, il faut toujours que les choses aient de la profondeur et du sens, qu’elles s’articulent autour du sens, que ce soit en balado ou en spectacle. Je n’ai pas senti et je ne vois pas de différence! Dans le fond, c’est toujours la même chose : c’est faire une œuvre qui a une cohérence, qui a une profondeur, qui n’est pas superficielle.
 
JULIEN : Et je dois dire que tu as une oreille de radio : tu écoutes beaucoup la radio et de balados!

BRIGITTE : Je suis une passionnée de radio, j’écoute des balados, donc ça m’a vraiment intéressée. La seule différence est, par exemple, quand on enregistrait en studio, c’était toi, le boss! Pour moi, c’est parfait. D’habitude, c’est moi qui donne les consignes, mais là, je trouvais ça bien de me prêter au jeu, de me faire diriger. Tu sais, notre art – les arts vivants – en est un de collaboration. À la différence du peintre qui, dans son atelier, est tout seul en train de chercher le diamant. Nous, on le travaille ensemble : en théâtre, c’est comme ça. Donc, on est toujours sensibles à l’apport des autres, toujours en essayant que cet apport soit dans le sens de l’œuvre, c’est ça! Ça m’a plutôt donné le goût d’en faire d’autres, des balados!

Découvrez cet entretien en baladodiffusion ici

Écoutez les 8 épisodes de Pour en finir avec octobre? ici

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[1]. Le Moulin à paroles est un projet artistique qui visait à retracer l’histoire du Québec pour commémorer autrement la bataille des Plaines d’Abraham. L’événement, qui a pris la forme d’une suite de lectures publiques, s’est déroulé sur les Plaines d’Abraham, à Québec, les 12 et 13 septembre 2009.


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