Théâtre français du CNA

Rééquilibrer, compenser, harmoniser, inventer

Une pesante impression de faire du surplace.

Tout m’y pousse.

Tout : le trafic, les nouvelles, les guerres, le prix du chou-fleur à mon épicerie, l’attente aux urgences alors que j’y amène mon père de 85 ans parce qu’il n’arrive pas à trouver un médecin de famille, les taux d’intérêt, la fin imminente de notre monde, l’époque… j’ai-tu dit le trafic?

Ce sentiment est cruel parce que parallèlement – et étonnamment – tout mon corps veut bouger, veut avancer, le désir est là, l’envie est brûlante, mais c’est difficile.

L’insatisfaction face à ma propre insatisfaction est un moteur puissant qui génère en moi une terrible et magnifique et puissante envie, une force même, qui veut tant que je bouge, que je sorte, que je rêve de possibles, mais qui me paralyse.

Par moments j’y arrive, c’est bref, furtif, insuffisant, mais j’y arrive.

Quand je sors dans la nature, par exemple, j’y arrive, quand je parle avec un enfant (surtout le mien), j’y arrive, quand j’aide quelqu’un dans le besoin, j’y arrive, quand j’aime, j’y arrive, quand un poème arrête le temps, quand une couleur me distrait, quand une mélodie me happe, quand une histoire me tend la main, quand l’esprit s’évade et que l’imaginaire accompagne le cœur maintenant en abandon, quand pendant un court moment, même bref, furtif et insuffisant, il y a mouvement, j’y arrive.

Je m’accroche parce que je n’ai pas d’autres choix.

Faut rééquilibrer, compenser, harmoniser, inventer.

Tenter de détruire – ou du moins sortir – des cadres qui se dressent autour de nous.

Accepter que ces cadres soient invisibles, élastiques et poreux.

Inviter l’autre pour accepter à notre tour son invitation, et ainsi de suite, comme un cercle d’invitations sans fin.

Alors je commence, OK?

Je vous invite à venir à la rencontre de l’autre quel·le qu’iel soit et à redessiner ces cadres qui nous enserrent mais qui ne pourront pas nous contenir encore longtemps, surtout si nous poussons ensemble.

Faut rééquilibrer, compenser, harmoniser, inventer.

À tous les rêveurs et rêveuses

Tout est immobile sur la scène. Un petit monde dort paisiblement à tes pieds. Et pourtant, il suffit d’ouvrir l’œil pour apercevoir des centaines de grains de poussière flotter dans l’air. Le spectacle n’a pas encore débuté que tu assistes à une apparition aussi sublime que soudaine. Tu croirais rêver : même au cœur de la noirceur, de minuscules particules font la fête, elles dansent dans la lumière.

Le théâtre reste ce lieu palpitant, formidablement mystérieux et magique. Ce que les artistes y fabriquent ravive instantanément nos sens. Et tout ce qui surgit dans cet instant et cet espace n’en paraît que plus vrai que vrai. Comme le doux murmurement des pensées d’un bébé ; le souffle exaltant d’une rue au Mozambique ; et même, résonnant jusque dans la plante de tes pieds, la vie mordante qui pulse en chacun·e de nous comme en toute petite chose de la nature. Autant de merveilles, et d’autres encore cette saison, qui s’apprêtent elles aussi à faire vibrer l’air.