En ce mois de mai, les nouvelles sont nombreuses pour le Fonds national de création : deux nouveaux investissements et une liste passionnante de tournées de spectacles soutenus par le Fonds, dont un nombre sans précédent de CINQ premières. Sans oublier la saison 2024–2025 du CNA qui vient tout juste d’être dévoilée! Elle comprend un nombre record de 10 productions soutenues par le Fonds, toutes porteuses d’espoir et de changements. Le fait que la création soit célébrée au CNA est pour nous une grande source de fierté. Voyons cela de plus près!
Alors que toutes ces brillantes nouvelles créations rencontrent leur public ce mois-ci, je me pose la question suivante : comment pouvons-nous, dans la pratique, nous prêter mutuellement main-forte? Dans les processus de création, la collaboration peut aller d’un tâtonnement maladroit pour se prendre par la main dans l’obscurité au coup de foudre le plus éclatant, en passant par le dédain le plus total. J’aime la collaboration parce que j’y vois un microcosme de la cocréation en général, qu’il s’agisse de spectacles, de communautés, de cultures ou de mondes. C’est un choix de rester, de demander encore et encore : comment y parvenir ensemble? L’acte de créer est un consentement à la friction.
Le mot friction a pris une connotation nettement péjorative. Les grandes tendances de consommation indiquent que le public recherche avant tout des expériences dénuées de frictions – et comment l’en blâmer! La vie est déjà suffisamment compliquée sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter des « irritants ». Néanmoins, l’artiste Andy Field fait remarquer, dans un récent article (en anglais seulement), que les moments de friction dans les espaces publics – un orage soudain, des chiens surexcités, des sacs d’épicerie qui se brisent – peuvent produire des contacts éclair entre des personnes qui ne se connaissent pas, ces rencontres que nous évitons de plus en plus et que favorisent justement ces points sensibles de nos vies. Ici, les frictions bousculent le scénario et permettent à quelque chose de nouveau d’émerger. Bien sûr, les points de friction d’un processus d’achat de billets ne permettent pas l’émergence de quelque chose de nouveau, si ce n’est peut-être le désir de faire autre chose que d’aller au spectacle. Mais comment le spectacle lui-même peut-il offrir un type de friction culturelle féconde?
Je vous propose d’examiner, à titre d’exemple, nos deux plus récents investissements: Surveillée et punie et The Rise of the BlingBling – Le diptyque.
Surveillée et punie, Théâtre Prospero
Surveillée et punie du Théâtre Prospero se penche directement sur la montée de la haine dans notre monde et cherche à la transcender. L’auteure-compositrice-interprète Safia Nolin et le metteur en scène Philippe Cyr puisent dans les milliers d’injures qui ont réellement été adressées à la chanteuse, et en font la matière première de la création d’un saisissant spectacle musical en direct.
Safia Nolin : « Apparemment, il y a quelque chose dans mon histoire, dans ma vie, qui fait que je présente absolument toutes les caractéristiques qui confrontent les gens. Je représente le changement, la différence. Je pense que c’est le fait que je ne m’excuse pas d’être qui je suis qui est le plus dérangeant. »
Philippe Cyr : « En mettant dans la bouche d’un véritable chœur les insultes adressées à Safia sur les réseaux sociaux, notre geste est double : on veut à la fois conscientiser le public à la gravité de la situation et se réapproprier les mots pour les sublimer. Malgré l’agressivité véhiculée dans ces paroles, le chœur ne sera pas seulement ennemi. Il représente aussi une communauté qui se crée autour de Safia. »
The Rise of the BlingBling – Le diptyque, Empire Panique
Empire Panique poursuit un autre type de transcendance avec sa création The Rise of the BlingBling – Le diptyque. Cet événement/performance en deux volets est une relecture désinhibée et surréaliste du mythe fondateur de Jésus, y compris ses enseignements moraux et la spectacularisation de sa parole. C’est une fresque extravagante et transdisciplinaire qui emprunte autant à l’histoire de Jésus qu’à la culture pop, invitant à une interprétation qui est laissée à la dimension mystique de nos êtres.
Philippe Boutin : « On accepte depuis trop longtemps l’ascension d’une culture de superficialité, de spectacularisation, de surproduction et de grande violence, qui fait naître des « héros » qui utilisent la force pour régner sur ce que l’on croit être la justice. Mais qui ose vraiment parler d’amour? »
Et enfin, nous sommes ravis de soutenir Aki / Alpa, le prochain rassemblement d'ONISKHA présenté en marge des représentations de Nigamon/Tunai. Offrant un regard plus approfondi sur les processus créatifs et les idées à l'origine du spectacle, le rassemblement se veut un espace d’échanges sur les luttes et solidarités autochtones contre les politiques extractivistes et les dévastations environnementales sur les territoires autochtones des Amériques. Les inscriptions débutent bientôt et l’événement est gratuit.
Voilà pour les grandes questions, les frictions courageuses et la quête de nos propres visions de la transcendance. Au mois prochain!
