L’été n’est plus ce qu’il était. Entre dévastation et célébrations, la période estivale est bien plus théâtrale qu’auparavant. Comme l’été, nous avons nous aussi changé. Pourtant, alors que l’année scolaire approche, que la vie reprend son cours, que nous célébrons la fête du Travail et amorçons un nouveau départ, il y a tant à fêter. Nous sommes là, encore et toujours. Voyons comment nous allons nous serrer les coudes cette saison.
Mais avant de repartir de plus belle, accordons-nous un moment de réflexion. J’ai passé des moments incroyables avec le Fonds national de création. L’un des secrets les moins bien gardés du Fonds est que l’année se clôture à la fin du mois d’août. Synonyme de rentrée scolaire pour certains, le mois d’août est aussi la période où nous dévoilons quelques-unes des merveilleuses créations dans lesquelles nous avons eu la chance d’investir. Que de belles choses à venir!
Toutefois, avec cette fin d’année, mon départ devient réalité. Le temps passe vite quand on a du plaisir à travailler, et le Fonds et les personnes que j’ai eu l’honneur de fréquenter ici me manqueront. J’ai passé ces derniers mois à réfléchir profondément à ce qui fait la force des œuvres créatives, à aller plus loin pour y contribuer, et à me poser des questions essentielles sur la finalité de la création. Existe-t-elle pour les artistes? Pour les communautés? Une combinaison des deux? Pour une raison que j’ignore, c’est toujours le Messie de Haendel qui me vient en tête. Qu’y avait-il avant sa création? D’où vient-il? Comment est-il venu au jour? Et à quel moment a-t-il été suffisamment abouti pour être transmis de génération en génération en tant qu’œuvre définitive, le seul défi devenant celui de bien l’interpréter, et non de se demander s’il valait la peine d’être entendu? Avant la création, il y a le néant. Et de toute évidence, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Parfois, la création n’aboutit à rien. Mais quand elle aboutit, il s’agit non seulement d’une occasion glorieuse et d’un puissant rappel de ce que nous sommes capables de faire, mais aussi de la naissance de quelque chose de concret. De l’entrée d’une œuvre dans le monde matériel.
Lorsque j’ai assisté à la pièce Mahabharata du Why Not Theatre, j’ai été saisie par tout ce qu’elle avait à m’apprendre sur l’art du possible. Cette pièce m’a fait penser à la façon dont, si souvent, nous percevons les nouvelles créations comme des exercices, des étapes dans l’apprentissage des artistes. Il y a un début à tout, et l’apprentissage ne fait pas exception. Cela ne veut pas dire que toutes les nouvelles créations sont réalisées par des novices. Si c’était le cas, comment apprendrions-nous?
L’attrait de la nouveauté est compréhensible : elle est unique et palpitante. Mais elle n’est pas forcément synonyme de manque d’expérience. J’avais 21 ans quand je me suis lancée dans l’aventure théâtrale, mais je me suis toujours dit que j’avais passé ces 21 ans à m’y préparer, telle une éruption de talent et de nouveauté. Comme moi, j’imagine que vous connaissez la règle des 10 000 heures, popularisée par Malcolm Gladwell. Or, cette règle a été en partie réfutée, car il semblerait que certaines personnes apprennent plus rapidement que d’autres. Quoi qu’il en soit, nous devons tous y passer. Ce n’est pas qu’une question de pratique, mais de création. Pour preuve, il n’y a qu’à regarder toutes les nombreuses œuvres extraordinaires dans lesquelles nous avons investi cette année. Pour vivre ces œuvres, je me suis tantôt assise, tantôt promenée. Parfois même, il me suffisait d’ouvrir une application. La concrétisation de cette année de création a été véritablement époustouflante.
Le film Oppenheimer est un chef-d’œuvre. Ce n’est que mon opinion, mais je suis prête à la défendre. Il doit une partie de son génie à sa façon de décrire le chemin tantôt lent, tantôt rapide, tantôt direct, tantôt indirect que prend la création pour aboutir à quelque chose de résolument nouveau. Le dilemme moral devant lequel Oppenheimer et ses collaborateurs se sont retrouvés est complètement différent de celui des créateurs de Mahabharata, Ravi Jain et Miriam Fernandes. Pourtant, je voulais trouver une façon d’exprimer la nature herculéenne de la tâche créatrice, quelle que soit l’ampleur du projet ou sa complexité. Si une œuvre est réellement le fruit du processus créatif, elle ne pourra pas être perçue en dehors du laboratoire de la création avant sa « naissance »; elle n’existera que lorsque le labeur créatif aboutira à la nouveauté. Rien de tout cela ne peut avoir lieu sans des heures et des heures de préparation accumulées dans l’espoir qu’un jour, la rencontre de toutes ces heures de préparation et de la création elle-même culmine dans la virtuosité. C’est ce que j’ai ressenti en regardant Mahabharata. J’avais devant mes yeux quelque chose d’entièrement nouveau, rendu possible uniquement grâce aux mois, aux années et aux décennies d’apprentissage qui en avaient précédé la création. Lorsque je repense à l’année qui vient de s’écouler, je réalise que c’est aussi comme ça que je me suis sentie lorsque j’ai vu ROME, Un. Deux. Trois. et Treemonisha. Ces pièces, comme toutes nos pièces au Fonds national de création, m’ont rappelé que pour créer, il faut avoir vécu plusieurs vies. Ce n’est pas une question d’âge, mais d’affûtage et de réaffûtage des outils que nous utilisons pour tailler la pierre et révéler ce qui se cache à l’intérieur.
Le moment est venu de vous dire au revoir une dernière fois. Merci mille fois de nous avoir accompagnés dans cette aventure. J’ai hâte de découvrir et d’encourager les activités du Fonds en cette année scolaire.
Nous avons également le plaisir d’annoncer notre dernier investissement : Sarah Conn, qui occupera le poste de productrice artistique par intérim. Beaucoup d’entre vous le savent déjà, Sarah est une personne formidable. Restez à l’affût de son infolettre de septembre, qui s’annonce pleine de promesses. J’ai hâte de la découvrir avec vous!