Napatat

Parc des Royaux, à l’angle de la rue Larivière et de l’avenue De Lorimier, Montréal (Québec)
  • Avec Soleil Launière

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Soleil Launière entremêle les notions liées au corps bispirituel, puisant son inspiration dans la cosmogonie et le monde innu. Conçue en collaboration avec Étoile du matin, gardienne de la mémoire, la performance Napatat honore les liens sacrés à travers les racines, et ouvre une voie vers la guérison à travers la terre et les âmes. 

Déclaration du conteur : Soleil Launière

Napatat honore les liens sacrés à travers les racines. La personne gardienne de la mémoire, Étoile du matin du clan du Cerf, raconte son rapport à la rue, son processus de reconnexion avec sa famille crie et ses liens avec les plantes. 

C’est à travers ces plantes sacrées qu’iel continue de cultiver son lien avec son père défunt. 

Après avoir rencontré Étoile du matin dans son jardin de balcon, j’ai voulu retourner à l’endroit ou iel avait fait connaissance avec son père, la seule fois où iel l’avait vu de son vivant. J’ai voulu y déposer des patates, y faire un chemin de médecine. Cette action se veut un processus de guérison à travers le sol et les âmes. 

 

Transcription de l’histoire

Bien moi, je passe beaucoup de temps proche de mes plantes. Puis ce qui est intéressant, je trouve, en ville, de passer autant de temps avec mes plantes. C’est la connexion au territoire, dans un certain sens. Puis aussi, la connexion avec mon père. Parce que je n’ai presque pas connu mon père, là où il a passé beaucoup de temps dans sa vie à Waskaganish, sur le bord de la rivière Rupert. Bien, il aimait ça faire pousser des affaires, notamment des patates. Fait que je réalise, c’était des plantes pour avoir des légumes, mais aussi des plantes sacrées. Puis là, je suis assise à côté de mon sweetgrass puis ça sent bon fait que…

Bien, peut-être que je peux te raconter la fois où est-ce que mon père est venu à Montréal pour me rencontrer.

Ça fait longtemps de ça quand même. J’étais déjà une adulte, puis c’était un moment un peu plus tough où est-ce que ça faisait déjà plusieurs mois que je n’avais plus de maison, plus de place où être. Puis je m’étais vraiment identifiée à un coin de rue où est-ce que j’avais bâti de nouvelles relations avec des gens de la rue. Puis… où est-ce que pendant un petit moment j’ai été vraiment profondément… avec… mes relations souvent plus toxiques que positives avec différentes substances.

Fait que moi, j’ai grandi avec ma mère. Ma mère est Blanche. J’ai grandi dans une famille de Blancs. Puis mon père, euh… pour différentes raisons, ma mère ne m’a pas mise en contact avec mon père jusqu’à ce  que je sois adulte. Notamment, jusqu'à ce moment-là où je souffrais tant.

Puis à un moment donné, ils sont arrivés à un coin de rue, coin De Lorimier puis Larivière, dans un quartier qui s’appelle Centre-Sud. Mais toutes les travailleuses du sexe appellent ça centre-suce. C’est un quartier que j’affectionne beaucoup parce que c'est un quartier ouvrier, c’est un quartier où est-ce que j’ai élevé mon enfant aîné. C’est un quartier où est-ce que… j’ai vécu beaucoup d’affaires, mais… euh… je vais toujours restée reconnaissante que ma mère ait amené mon père cette fois-là parce que c’est la seule fois que je l’ai vu de son vivant.

Dans le fond, suite à cette rencontre-là, j’ai passé plus de temps encore dans la rue. J’ai fait toutes mes expériences et tout. Mais des années plus tard, à un moment donné, euh… avec un petit peu plus de stabilité, j’ai maintenu une correspondance avec mon père, puis avec cette correspondance-là, old school, par écrit, j’ai appris beaucoup sur mon père.

Puis après ça, en 2013, il est décédé, puis toute sa famille m’a invitée à venir sur le territoire. Fait que, dans le fond, c’était comme… euh… c’est ça.

Après la rencontre qu’on a eue en plein cœur de Montréal, après ça, ça m’a ramené des années plus tard, peut-être près d’une décennie plus tard, moi et mes enfants, on est allé à Waskaganish.

J’ai été accueillie par un gros clan, une très grande famille. J’ai réalisé que j’avais beaucoup, beaucoup de neveux puis de nièces, qu’il y avait beaucoup d’amour. Puis… il y avait des gens qui savaient j’étais qui, il y avait d’autres gens qui ne savaient pas j’étais qui, mais depuis ce temps-là… j’ai vraiment gagné une très grande famille, puis beaucoup de relations. 

C’est d’ailleurs avec… une de ces cousines-là que des années et des années plus tard, encore à Montréal, mais dans le sud-ouest, on a plumé ensemble. Puis pour moi, c’était ma première expérience de plumer une outarde. Fait que c’était full cool, puis… c’est ça, je suis tellement reconnaissante. C’était peut-être un moment où est-ce que tu oscilles toujours entre garder ta dignité quand t'es souvent exposé dans le public, quand t’as pas de place stable où vivre, mais aussi entre une espèce de fierté du genre : « je suis en train de survivre, puis je fais ce que j’ai à faire pour survivre, puis tassez-vous de là avec vos jugements. »

Mais en même temps, moi-même, c’est sûr que j’en avais aussi un peu de jugement ou peut-être… Euh… c'est sûr que d’avoir rencontré mon père pour la première fois dans ces conditions-là, ça m’a tenu pendant super longtemps. Ça m’a tenu jusqu’à tant que j’assiste à son service. Puis là-bas, il y avait un gars qui était venu, il avait témoigné. C’était tellement beau. Lui, il avait un gros parcours, euh… d’usage de substances, puis mon père l’avait soutenu intensément, puis il ne l’avait jamais jugé. Il l’avait amené avec lui sur le trapline, il lui avait transféré son savoir. Fait que j’ai su à ce moment-là que quand mon père m’avait rencontré, finalement, il ne m’avait jamais jugée, puis… il m’aimait comme j’étais, il était juste reconnaissant que je sois là. Mais à l’époque, je n'étais pas super contente, puis j’en voulais un petit peu à ma mère parce qu’elle ne m’avait pas demandé la permission. Mais quand même, aujourd'hui, puis je lui ai déjà dit aussi, je suis très contente que ma mère ait fait ce move-là parce qu'après ça, la fois suivante, c’était pour aller… avec ma sœur, une de mes sœurs, mettre les mocassins pour le dernier voyage à la porte de l’Ouest.

Fait que des fois, dans la vie, t’es dans une situation, tu ne comprends pas ou tu aurais aimé mieux que ça se passe d’une autre façon, puis finalement : une chance que ça s’est passé! Fait que je suis bien reconnaissante de tout ça. Puis… je trouve qu’asteure, ça va faire bientôt une décennie que mon père est décédé, puis dans cette décennie-là j’ai tellement grandi. J’ai découvert beaucoup. J’ai relu les lettres que mon père m’a écrites parce que... elles m’ont été données, retournées, dans le fond elles m’ont été retournées quand ils ont distribué les biens que mon père avait. Fait que, oui, c’est ça. Euh… C’est quand même fascinant.

 


Crédits

Production AUEN présente Napatat 
Une action performative de Soleil Launière 
D’une mémoire d’Étoile du matin, clan du Cerf 
Réalisation et montage d’Antoine Amnotte-Dupuis 

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