Joel Ivany s’y connaît en opéra. Fondateur et directeur artistique de l’Against the Grain Theatre à Toronto, il est également directeur artistique de l’Opéra d’Edmonton. Figure bien connue du milieu de l’opéra à Los Angeles, à New York, à Washington, en Norvège, en Australie et ailleurs dans le monde, il est l’auteur de plus de sept livrets pour diverses compagnies d’opéra et directeur artistique de l’Opéra du Centre des arts de Banff. En 2021, il codirige l’équipe artistique responsable de la production du Gala des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle au CNA, une soirée étincelante qui rend hommage aux grands noms des arts du spectacle comme Ryan Reynolds, Catherine O’Hara, Alexina Louie et Tantoo Cardinal.
Quand on parle d’opéra au XXIe siècle, Joel Ivany est également un explorateur et un alchimiste qui se plait à transgresser les règles. Il ne craint pas de prendre des risques dans ses choix artistiques, ses collaborations et ses interprétations des grands classiques. Il se plait à jouer avec le contexte et à se glisser dans la peau des grands compositeurs et compositrices d’opéra avec toujours cette même question en tête : que feraient-ils avec cet opéra s’ils avaient les moyens d’aujourd’hui?
Q : Vous avez déclaré : « la première confrontation [avec l’opéra] est toujours un moment difficile ». Comment vous y prenez-vous pour faire découvrir l’opéra aux nouveaux auditoires et transmettre la puissance et l’intensité de ces prestigieux opéras?
Joel Ivany : L’opéra est l’alliance parfaite entre la musique et le théâtre. Dès que la musique retentit et que les interprètes entrent en scène sous les traits de leurs personnages, la magie opère.
Souvent, il suffit d’attirer les gens. On a tendance à croire que l’opéra n’est pas accessible, mais ces barrières mentales sont souvent fausses. Venez, asseyez-vous et laissez-vous porter par l’histoire qui se déroule sous vos yeux. Inutile de se renseigner sur la pièce ni de bien s’habiller – même si l’expérience peut être amusante. Il suffit d’un peu de curiosité et d’ouverture d’esprit!
Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle avec l’opéra? Comment en êtes-vous venu à choisir l’opéra? Y a-t-il eu un moment déclencheur?
Un de mes amis qui est aussi un mentor était à l’époque assistant à la mise en scène d’une production de Carmen de la Compagnie d’opéra canadienne. Il m’a recruté comme surnuméraire, l’équivalent de figurant dans le cinéma. J’ai accepté l’invitation et je me suis immédiatement retrouvé immergé sur scène. Nous devions jouer environ huit représentations. Chaque fois que le duo formé de Don Jose et Carmen apparaissait sur scène au quatrième acte, je l’observais depuis les coulisses. C’était viscéral, musclé, dangereux et dévorant. Je savais que je voulais travailler dans ce domaine. J’étais convaincu que je pouvais apporter ma pierre à l’édifice. Je ne savais simplement pas comment m’y prendre.
Aujourd’hui, je suis à la tête d’une compagnie d’opéra de l’Ouest du Canada, je suis marié à une chanteuse d’opéra et j’ai deux enfants (notre aîné a déjà participé à quatre opéras). Les choses se sont passées autrement, mais l’opéra fait et fera toujours partie de mon ADN.
Comment se porte l’opéra canadien en 2023? Et quel futur voyez-vous pour l’opéra dans notre pays?
L’opéra prend une direction très intéressante au Canada.
Bon nombre de mes proches et collègues se sont tournés vers des emplois plus stables. La pandémie a vraiment porté un coup dur au secteur artistique, sans pour autant l’anéantir.
De nouveaux opéras ont vu le jour. Ils racontent de nouvelles histoires.
On continue de programmer les airs d’opéra populaires (Carmen, Tosca ou La Bohème) dans l’espoir d’attirer de nouveau le public dans les salles.
L’opéra est produit en dehors des théâtres traditionnels pour dynamiser notre façon de rejoindre nos auditoires.
De nombreuses personnes ont pris les choses en main. Les artistes font entendre leur voix; les compagnies d’opéra les écoutent et s’efforcent de les soutenir.
Je pense que d’importants changements pourraient survenir dans les dix à quinze prochaines années.
Comment faites-vous pour ouvrir l’opéra à de nouveaux publics? Serait-il possible de tisser des liens avec les autres formes d’art?
Selon moi, il faut aller chercher les nouveaux auditoires là où ils se trouvent.
Les gens ne demandent qu’à être ensemble et à nouer des liens. Pendant trois ans, nous nous sommes habitués à vivre à l’intérieur, sans voir nos proches, encore moins notre famille. Aller à l’opéra, c’est partager des expériences avec les autres. Si les gens se retrouvent au bar, alors faisons entrer les airs d’opéra dans les bars comme avec la série Opera Pub (en anglais seulement). Si les gens préfèrent des œuvres plus courtes, alors proposons-leur des opéras plus courts.
L’objectif n’est pas d’avoir une médaille attestant qu’on est bien resté jusqu’au bout… Il s’agit plutôt d’une forme d’art vivante qui nous parle tout autant qu’une émission sur Netflix, une courte vidéo sur YouTube, un concert symphonique ou une pièce de théâtre.
Il nous faut aussi nous tourner vers d’autres formes d’art. Pendant la pandémie, nous avons mis en ligne des opéras filmés, des films de danse, et j’en passe! Nous devons continuer à expérimenter et à collaborer entre les disciplines. Danse et opéra, cinéma et écriture, arts visuels et musique, etc. Nous avons soif de nouvelles expériences. C’est le moment de nous lancer.
Y a-t-il des musiques ou des films qui vous inspirent?
J’observe mes enfants. Je vois ce qui leur plait et ce qui les ennuie. J’essaye de me tenir à jour des nouvelles tendances « populaires » et de comprendre pourquoi elles ont autant de succès. Pourquoi les gens se ruent-ils aux concerts de Beyoncé? Pourquoi les courses de F1 sont-elles de plus en plus populaires?
La vie me pousse à continuer à apprendre, à m’adapter et à grandir. Les œuvres du passé, nous savons comment les reproduire. En revanche, il nous reste à découvrir de quoi le futur sera fait.
Qu’auriez-vous aimé savoir sur le monde de l’opéra avant de vous lancer dans l’aventure?
Il n’y a pas grand-chose que j’aurais fait différemment. Je suis fier de la vie que je mène aujourd’hui et de tout le chemin parcouru pour arriver jusqu’ici.
J’aurais aimé faire preuve d’une plus grande empathie. J’aurais aimé m’intéresser plus tôt aux enjeux autochtones du Canada. J’aurais aimé être plus sûr de moi et ne pas essayer de me renier pour me faire accepter par le milieu et entrer dans le moule comme tout le monde.
J’aime ce monde farfelu qu’est l’opéra et je suis impatient de voir comment évoluent les choses.
Joel Ivany est le directeur de Don Giovanni, le célèbre opéra de Mozart en version concert à la Salle Southam les 15 et 17 juin avec l’Orchestre du CNA sous la baguette d’Alexander Shelley.