Entretien avec Karine Sauvé

© Camille Gladu-Drouin

Chansons pour le musée est une œuvre qui se décline en plusieurs médiums, dont un balado et un album. Peux-tu nous parler de ces diverses déclinaisons et de la motivation qui se cache derrière cet éventail autour d'un même projet?

Les motivations émergent souvent dans le silence pour moi. Dans la vie pleine, je lui fais de la place, je l’invite, question de m’entendre. Au printemps 2020, deux mois avant la sortie prévue de notre show, la pandémie a tassé les chars de mon boulevard, calmé le ronron incessant de la ville et m’a donné rendez-vous avec toutes sortes de nouveaux oiseaux. De les écouter attentivement, de tout proche jusqu’à loin, ça a étendu le paysage, ça a ouvert d’une coche mes oreilles. J’ai eu envie qu’on offre ça à Chansons pour le musée, qu’on en profite pour épaissir ses sons jusqu’à loin, qu’on en sculpte ardemment les textures avec l’électricité de nos synthés et que ma voix se niche dans le creux des oreilles, proche de l’auditeur, en intimité.

Ça a donné un balado en trois épisodes, super bien fignolé en studio, des savoirs nouveaux à injecter dans le spectacle à venir, une collaboration riche et continue avec mes remarquables complices Anne-Marie Guilmaine, Nicolas Letarte et David Paquet, puis une nouvelle collaboration fertile avec nul autre que Navet Confit, qui a réalisé le tout. Notre emballement nous a aussi amenés à enregistrer l’album Chansons pour le musée, question de laisser nos tounes se déployer et que vous puissiez danser et chanter avec nous dans votre salon.

En créant notre théâtre pour les oreilles, on a frayé notre chemin vers le concert théâtral électro déjanté qu’on peut vous offrir aujourd’hui.

Au fil du temps et des refontes, est-ce qu'un élément nouveau de sens du spectacle s'est révélé à toi?

Oui, celui des permissions d’être.

En décembre 2020, quand on a présenté notre balado lors d’une séance d’écoute au Théâtre français du CNA et qu’ensuite on a discuté avec le public, je me suis rendue compte que ce show-là parlait beaucoup des permissions d’être qu’on peut se donner. Des permissions qui repoussent les murs encabanants des conventions et qui font pas de mal à personne en plus de faire du bien. La permission d’être informe, fragile ou dépouillé par moments, comme les musées que visite Karine-pas-Sauvé et qui lui permettent de ressentir puis de traverser des états inconfortables. La permission de chanter simplement dans un lieu public, comme quelqu’un qui siffle à vélo et qui nous fait sourire le temps qu’il passe; celle de se salir en enlaçant une grosse motte d’argile parce qu’on s’enthousiasme de savoir qu’elle va nous recevoir, qu’on va même lui laisser des traces. Un spectateur faisait remarquer que, dans l’enfance, ces jeux-là sont naturels et que c’est surtout en grandissant qu’on les délaisse. Au profit de quoi? D’une gamme répétitive, d’un scénario pris pour le réel et qu’on se rejoue en boucle pour être bien certain d’y tenir le rôle qu’on s’est donné? Je crois qu’il y a des mises en jeu salutaires, des formes ouvertes qui ont le pouvoir d’inventer un nouveau rapport à l’autre ou à soi. Des jeux qui prennent racine dans la détente, pas loin de la craque du clown, de l’étrangeté qui déplace le regard, de la vulnérabilité offerte. Le psyquelette, avec les traitements qu’il propose, il semble penser ça lui aussi.


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