Cher.e toi

© Julie Charland

Cher.e toi,

Je pense à la dernière fois qu’on s’est vu au théâtre. C’était quand, tu t’en souviens? Tu te rappelles du spectacle que tu étais venu voir ce jour-là? Peut-être as-tu précieusement encapsulé une image ou un son de ce moment au fond de ta mémoire. 

Ferme les yeux, pour voir.

Essaie de faire le silence à l’intérieur.

Qu’est-ce qui se dessine sous tes paupières?

Est-ce que quelque chose crépite, là, au creux de ton oreille?

Il ne faut pas t’inquiéter si rien ne surgit dans l’instant. Des fois ça fonctionne, d’autres fois, non. On pense parfois qu’on a tout oublié, qu’on ne se souvient de rien. On se dit que le spectacle est juste parti en fumée, comme ça, c’est tout. J’ai le sentiment au contraire qu’il ne disparaît jamais vraiment. Qu’il survit plus longtemps qu’on imagine dans un pli de nos souvenirs, parfois bien caché. Puis, sans prévenir, bam, des morceaux pêle-mêle refont surface. Ça peut arriver n’importe où, n’importe quand. En marchant dans la rue, en parlant avec des ami.e.s, en faisant la planche dans son lit au milieu de l’après-midi, peut-être même en dormant la nuit. Ça ne prend presque rien pour rallumer le feu. Il suffit d’une toute petite étincelle, et voilà que des bouts de ce spectacle qu’on a vu un jour dans une salle sombre s’illuminent dans un coin de nos têtes. Ils éclatent, ils poppent, avant de s’agiter et de s’assembler à nouveau. À leur façon, ces lambeaux de mots, d’images, de sensations recousent un autre spectacle, un peu différent de celui auquel tu as assisté, et c’est sans doute la preuve qu’il s’est fondu à  qui tu es, qu’il fait un peu partie de toi maintenant.

Moi je crois me souvenir très bien de la dernière fois qu’on s’est vu. Il y a de bonnes chances que c’était toi, que tu y étais. En tout cas, vous étiez nombreux, bourdonnant dans l’espace comme un petit essaim joyeux. C’était à l’occasion d’une grande fête sonore. Et comme un courant, la musique nous propulsait de salle en salle, de spectacle en spectacle. À chaque fois que j’en avais l’occasion, j’observais vos visages du coin de l’œil, je guettais vos réactions. Je vous ai vu étonnés, les yeux grand ouverts, complices, perspicaces, attendris, scotchés, dodelinant des épaules sur le beat, et parfois perplexes. Vous viviez chacun à votre rythme les spectacles. Vous traciez votre chemin dans l’expérience qu’on vous offrait en partage de belle et imprévisible manière. Des moments comme ça, à vous voir penser, contempler, vous exclamer, vous émouvoir devant ce qui se passe sur une scène, j’en ai accumulé des tonnes depuis que je vous connais. J’irais jusqu’à dire que votre écoute, vos étonnements, sont inséparables de beaucoup de mes souvenirs de spectacles. Et ces souvenirs, je me les repasse souvent, comme un film ou une chanson qu’on aime, parce que ça fait vibrer en nous une part précieuse.

Je me dis que ça fait trop longtemps qu’on s’est vu. Les mois passent et je me demande comment ça va? Qu’est-ce que tu fais de tes journées? À quoi tu penses? Peut-être au théâtre, comme moi. Mais peut-être pas, non plus. C’est pas grave, je sais que c’est là, quelque part, logé dans un pli, prêt à rebondir. Le théâtre aussi, il est là, un peu en retrait, c’est vrai, mais il ressurgira tôt ou tard. Pour te surprendre, remuer ta pensée, ouvrir ton cœur, et surtout, pour nous lier encore.

À bientôt, j’espère.

Mélanie

P.-S. Si ça te dit, tu peux m’écrire aussi, me donner de tes nouvelles, me partager un souvenir de spectacle ou un dessin, j’accepte TOUT.


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