L’abolition somatique au théâtre

Mpoe Mogale et Pam Tzeng

L’abolitionnisme somatique propose le corps comme point d’entrée vers la guérison et la transformation. Que peut apporter l’application de ce concept développé par Resmaa Menakem, et les pratiques qui l’accompagnent, à nos efforts de réinvention du théâtre?

Mpoe Mogale et la danseuse Pam Tzeng à ce que signifie amener l’abolition dans le corps – la connexion incarnée étant ici un élément fondamental de l’abolition en plus, bien sûr, du théâtre. 

Crédits
Réalisation : Mpoe Mogale 
Direction photo et montage : Alyssa Maturino 
Avec : Mpoe Mogale et Pam Tzeng 

Chorégraphie : Mpoe Mogale 
Contenu basé sur les travaux de Resmaa Menakem 

Transcription 

Mpoe : Je m’appelle Mpoe Mogale et j’enregistre ceci sur le territoire du Traité no 7, plus précisément à Mohkinstsis, au confluent des rivières Bow et Elbow.  

Je suis venu·e à l’abolition par le biais des féministes noires et des écrits sur l’abolition d’Angela Davis et de Mariame Kaba, entre autres. J’ai également abordé l’abolition dans un contexte historique qui en a fait davantage qu’un concept à mes yeux. Cela trouvait écho en moi, et j’avais pu observer concrètement ce que ces féministes noires proposaient. J’en avais été témoin dans mon enfance. Ma maman a été élevée dans un village du nom de Ga-Mphahlele, situé à quelques kilomètres seulement de l’endroit où j’ai grandi. Cette collectivité est assez éloignée des « services sociaux » comme les postes de police, par exemple. La communauté continue donc d’appliquer ses méthodes traditionnelles de justice, qui sont centrées sur le relationnel et la guérison. Ainsi, j’avais déjà vu ça, et je sais qu’il existe d’autres options qui touchent vraiment à ce qu’est la justice, et qui ne mettent pas... qui n’assimilent pas forcément la justice à une punition.   

Je pratique l’abolition dans ma vie quotidienne depuis plusieurs années maintenant. Toutefois, l’abolition somatique est quelque chose de très nouveau pour moi; quand je suis tombé·e sur le balado de Trista Tippe avec Resmaa Menakem, j’ai ressenti la nécessité impérieuse de l’ajouter à ma manière de voir. 

Je connais Pam Tzeng depuis un certain temps déjà et j’ai récemment eu le plaisir d’approfondir ma relation avec elle. 

Pam : Je suis tombée sur le livre My Grandmother’s Hands de Resmaa Menakem, une incroyable thérapeute spécialisée dans le traitement des traumatismes, qui travaille avec la police, avec une clientèle aux expériences et aux horizons extrêmement variés, composée de « corps de culture » – par opposition au terme usité « personnes de couleur ». 

Mpoe : Bien.

Pam : Corps de culture, aussi, comme une récupération de la culture qui a été volée à tant d’entre nous.

Mpoe : Tu as mentionné que tu étais venue [à l’abolition somatique] en passant par la justice transformative, la théorie de l’abolition, le cadre de travail et le travail lui-même, et je suis curieuse de savoir comment tu vois le lien entre les deux.

Pam : Eh bien, je veux dire que la justice transformative pour moi, c’est vraiment honorer et trouver en soi la conviction que personne n’est jetable.

Mpoe : Mmm.

Pam : C’est beaucoup demander. 

Mpoe : Oui… ouais.

Pam : …Et qu’il y a toujours – il y a la possibilité de devoir rendre des comptes, et le fait de s’occuper en priorité des personnes blessées. 

Mpoe : Oui.

Pam : Mais aussi faire montre de compassion et de délicatesse. 

Pam : Si je suis vraiment en colère…

Mpoe : Mmm…

Pam : Souvent, ça me reste en travers de la gorge, et j’ai l’impression que je ne peux pas parler.

Mpoe : Mmm.

Pam : Et parfois, la beauté de la chose – ce qui est intéressant dans les pratiques d’abolition somatique ou la façon dont Resmaa partage le travail, c’est qu’on en vient à se demander : « bien, s’agit-il d’une douleur ancienne ou nouvelle? »

Mpoe : Très juste.

Pam : Et de quelle façon les voix de ma lignée…

Mpoe : Mmm…

Pam : …ont été réduites au silence, et comment cela se répercute-t-il dans mon expression, dans ma capacité à exprimer ma propre vérité?

Les corps blancs doivent construire la culture nécessaire pour faire face à la réalité de la race par eux-mêmes. L’abolition somatique, dans une certaine mesure, est une affaire de communauté – nous érigeons une culture.

Mpoe : Tout à fait.

Pam : Essentiellement. Construire une culture qui reconnaît… qui prend acte de la suprématie du corps blanc, qui reconnaît l’humanité et la dignité des corps de culture. Qui affirme qu’il y a du temps. Il y a du temps. On nous a appris qu’il n’y en avait pas, mais il y a... du temps. 

Mpoe : Ouais.