Le Nord me hante
Je me ferme les yeux et j’entends le grondement d’un train qui approche, je sens le froid sur mon visage, je vois une enseigne No Vacancy aux bords de la Transcanadienne une nuit de janvier Il neige Le vent souffle fort
Le Nord me provoque
Je respire mieux ou plus profondément Le ciel est vaste La forêt aussi et tellement plus sombre que la Laurentienne mais peut-être que c’est une illusion Les rivières le sont par exemple plus sombres et sauvages je mettrais ma main au feu
Et les gens aussi
Plus sombres et vastes plus grands plus tranchants C’est sans doute une illusion mais qu’importe Leurs failles me parlent Leurs obsessions haines humiliations Leurs jalousies aussi
Ils me rentrent dedans
Et j’en fais de la fiction
par Ariane Brun del Re
Une trentaine d’années après avoir écrit Le chien, qui lui avait valu son premier prix du Gouverneur général du Canada (de trois!), Jean Marc Dalpé revisite ces thématiques dans La Queens, sa toute dernière pièce créée le 15 janvier 2019 au théâtre La Licorne, à Montréal, et publiée la même année aux Éditions Prise de parole, à Sudbury.
Deux lieux qui incarnent les principaux pôles de l’univers fictif du dramaturge originaire d’Ottawa, ainsi que de son parcours professionnel, qui l’a mené dans le Nord de l’Ontario – cet espace rendu mythique en partie grâce à son œuvre – au cours des années 1980 et ensuite, près d’une décennie plus tard, dans la métropole québécoise. Lire la suite
Marie-Élizabeth
Le Nord est une supercherie.
Il n’y a pas d’avenir dans le Nord.
Il n’y a jamais eu d’avenir dans le Nord.
Tout ce qu’il y a dans le Nord, ce sont des mouches noires et des moustiques, ce sont des arbres rachitiques qu’on coupe pour le Sud et des tonnes de minerai qu’on extrait du sol pour le Sud
Que nos grands-parents Maman Papa ont cru autrement n’est pas une chose à célébrer mais quelque chose qu’on devrait enterrer.
Sophie
Et oublier?
– JEAN MARC DALPÉ
Extrait de La Queens, publiée aux Éditions Prise de parole
par Stéphanie Nutting
C’est de sa faute si j’ai pris le plus grand risque de ma vie.
Nous étions quinze gens réunis dans une salle éclairée par une fluorescence crue; tout le monde était crispé, surtout moi. Ça sentait le café brûlé et la moquette crasseuse. Cet entretien, pour un poste universitaire, allait déterminer la trajectoire de ma vie. Je devais donner une conférence sur le théâtre québécois, mais j’avais décidé de parler d’un dramaturge franco-ontarien.
Je parlais de parricide, d’un Œdipe francophone habillé en veste de cuir et réincarné dans un village de l’Ontario. Il était question de fatalité, de folie aussi, et de la cadence impitoyable des mots. Lire la suite