Le Torontois Peter Owusu-Ansah, un artiste visuel sourd d’origine ghanéenne, croit que la communication passe par les yeux, et non uniquement par les mots. Ses œuvres magnifiques sont vibrantes de couleur et d’énergie.
Une série de nouvelles œuvres numériques de cet artiste primé sera présentée sur les écrans de la Lanterne Kipnes du Centre national des Arts en décembre 2021 et tout au long de 2022. Réunies sous le titre Ma traversée des couleurs, ses créations explorent des thèmes liés aux relations humaines et à l’appartenance.
Peter nous explique ici son cheminement comme artiste, ses méthodes et les raisons pour lesquelles il investit autant de temps et d’énergie dans chacune de ses créations.
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Souvenirs d’enfance
Enfant, au Ghana, j’exprimais ma créativité en dessinant et en créant avec des boîtes de conserve et de la pâte à modeler. Un jour, ma sœur a engagé un artiste pour peindre un portrait d’elle à son magasin. En observant le peintre, j’ai appris à dessiner comme lui. Quand ma sœur a vu mon dessin, elle m’a dit : « C’est toi qui as fait ça? Je devrais t’engager! »
L’inspiration
À mon arrivée au Canada en 1994, je ne savais rien du monde des arts. Quelques années plus tard, lors d’une visite au Musée des beaux-arts de l’Ontario, j’ai vu beaucoup d’œuvres, dont celles du Groupe des Sept. Ça m’a rappelé mon enfance créative, et ça a piqué mon intérêt pour les arts. Je suis allé m’acheter du matériel dans un magasin à un dollar. J’ai expérimenté pendant un certain temps avec la peinture. Plus tard, après m’être mis à la photographie urbaine, j’ai commencé à manipuler mes photos pour en faire du Pop Art.
La révélation
J’étais toujours à la recherche de nouvelles idées pour mieux m’intégrer. Un jour, en grossissant une de mes œuvres de Pop Art, j’ai vu apparaître des pixels gorgés de belles couleurs. Ça m’a rappelé Farben, de Gerhard Richter. J’adore les études et les grilles de carrés de Richter. Inspiré par son travail, j’ai commencé à manipuler les pixels. Comme artiste, j'ai appris à utiliser Photoshop et d’autres outils numériques. J’ai ainsi créé des centaines d’œuvres en explorant la capacité des couleurs de refléter les émotions. J’essaie de mettre en valeur les riches couleurs de la vie et d’utiliser la couleur pour mieux la comprendre.
Un éventail de capacités différentes
Mon but est de promouvoir l’inclusion par l’art. Je suis une personne sourde qui vit dans une société conçue pour les personnes entendantes. C’est pourquoi j’essaie de trouver une nouvelle façon de communiquer et de créer des liens par les couleurs...
Exposer les œuvres de personnes sourdes ou en situation de handicap de façon permanente dans les musées, les galeries d’art ou des installations comme la Lanterne Kipnes du CNA nous donne de la visibilité auprès du public. Personne d’autre que nous ne peut expliquer qui nous sommes et dire de quoi nous sommes capables. Les personnes non handicapées entretiennent des idées préconçues sur la façon dont les personnes en situation de handicap habitent leur corps, ce que j’essaie fort de changer. La réalité, c’est que nous avons des corps et des capacités différentes.
Je crois aussi qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer une œuvre visuelle ou de communiquer son impact par les mots. Le silence a sa beauté!
Un besoin de connexion
Je veux me connecter à moi-même et aux autres par les couleurs.
Dans certaines de mes œuvres, les pixels représentent ma personne, ou peut-être de multiples versions de moi. Parfois, si les pixels sont trop serrés, j’étouffe. C’est pourquoi j’insère des blancs ici et là pour donner de l’air aux couleurs (et à moi-même). Les lignes de pixels peuvent aussi représenter des trajectoires qui se croisent, quelqu’un qui marche dans la rue. Les pixels peuvent représenter n’importe qui.
En définitive, je veux que les gens abordent mes œuvres avec leurs propres expériences, tels qu’ils sont. Mon travail, c’est de rendre mon art visible. Il suffit ensuite d’ouvrir les yeux...
« Ma traversée des couleurs »
Une des œuvres que j’ai créées pour la Lanterne Kipnes est composée de carrés concentriques. Quand je la regarde, je m’imagine là, à l’entrée des carrés. Je marche ensuite à travers le violet, vers la lumière au centre, de plus en plus vive, qui m’incite à traverser une jungle verte jusqu’au cœur orange. On pourrait y voir un coucher ou un lever de soleil...
Peu importe ce que c’est, c’est un lieu chaleureux, paradisiaque.