Le 30 septembre, le Canada observe la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, une journée visant à reconnaître les répercussions des pensionnats autochtones et le long cheminement vers la guérison. À cette occasion, nous invitons les Canadiennes et les Canadiens à lire et à écouter I Lost My Talk (« J’ai perdu ma langue »), un poème touchant de l’aînée mi’kmaq Rita Joe.
En 2017, l’Orchestre du Centre national des Arts du Canada a fait paraître Réflexions sur la vie, un album qui braque les projecteurs sur les histoires fortes de femmes canadiennes. L’une des pièces les plus profondes, « I Lost My Talk », est inspirée de l’aînée et poète mi’kmaq Rita Joe, dont les mots relaient le traumatisme personnel, mais aussi un appel à la guérison collective.
Le poème de Rita Joe, I Lost My Talk, évoque le poids émotionnel de son expérience au pensionnat Shubenacadie, en Nouvelle-Écosse. Il fait écho à la douleur de l’effacement culturel, tout en tendant une main réconciliatrice dans un plaidoyer pour la compréhension et l’espoir en l’avenir.
« Elle disait qu’écrire était sa thérapie. Elle portait de nombreux souvenirs douloureux et avait besoin de les extérioriser, raconte Ann Joe, fille de Rita Joe. Elle était devenue écrivaine parce qu’on lui avait interdit d’écrire. Plus on cherchait à la briser, plus elle n’en faisait qu’à sa tête. » Par ses mots, elle entendait inspirer les gens, autochtones ou non, à trouver la force de faire face à l’adversité et encourager la guérison au sein des communautés partout au Canada.
« Elle était devenue écrivaine parce qu’on lui avait interdit d’écrire. »
Dans le cadre d’une puissante collaboration, l’Orchestre du CNA a commandé une interprétation musicale du poème au compositeur primé John Estacio. Il en est ressorti une trame musicale riche et émouvante, jouée en synchronie avec un film poignant de la célèbre réalisatrice Barbara Willis Sweete. Interprétée pour la première fois en 2016, la pièce I Lost My Talk a depuis été présentée partout au Canada et en Europe, touchant le public avec son message de résilience.
▶ Écouter I Lost My Talk
John Estacio décrit sa composition comme divisée en quatre mouvements sans pause, en écho aux quatre strophes du poème. « Rita Joe décrit la crainte bouleversante d’être dépouillée de sa culture », explique le compositeur. Le solo de flûte en ouverture évoque le monde paisible avant le traumatisme des pensionnats autochtones, mais cette sérénité est bientôt bouleversée par un changement soudain dans la musique. Les cordes jouent un hymne qui se fait de plus en plus hostile, et la mélodie de la flûte se perd dans un paysage dissonant, métaphore du déplacement culturel vécu par la poète.
Dans le mouvement final, un hymne flamboyant émerge, symbole de réconciliation. La narratrice, comme Rita Joe dans son poème, tend une main, jouant pleinement son rôle de messagère de la paix et de la compréhension entre les deux mondes. Les mots, « je tends la main tout doucement » inspirent une résolution musicale alors que la partition de John Estacio parvient à un moment d’espoir, marquant le cheminement de la perte culturelle à la guérison.
Un poème d’espoir et de réconciliation
Le poème de Rita Joe résonne profondément aujourd’hui alors que les conversations sur la vérité et la réconciliation se poursuivent. Ses mots nous aident à comprendre le traumatisme personnel et collectif vécu par les peuples autochtones au Canada, tout en appelant à la guérison et à l’unité :
J’ai perdu ma langue,
La parole que vous m’avez retirée
Lorsque j’étais petite fille
à l’école Shubenacadie.
Vous me l’avez arrachée :
Je parle comme vous
Je pense comme vous
Je crée comme vous
La confuse ballade de la parole qui est la mienne.
Je parle de deux manières
Et des deux manières, je dis
Que votre manière est la plus forte.
Alors, je tends la main tout doucement :
Laissez-moi retrouver ma langue
Pour que je puisse vous apprendre
qui je suis.
(Traduction : Pascale Cormier)