In My Body : danser avec le temps !

Le danseur et chorégraphe Crazy Smooth connaît une chose ou deux sur les exigences imposées par le street dance et les multitudes de styles qui en découlent, une discipline qu’il pratique depuis plus de 20 ans. Arabesques, sauts, contorsions, les prouesses physiques sont nombreuses et défient parfois les lois de la gravité. Cette discipline qui n’a qu’une cinquantaine d’années, est encore portée à bout de bras par les danseurs de la première génération, les pionniers et pionnières qui l’ont fait connaître. Alors que la culture du street dance et du hip hop capitalisent sur les habiletés et la force du corps comme une forme d’invincibilité, la question se pose : les b-boy/b-girl peuvent-ils à la fois vieillir et poursuivre le perfectionnement de leur art?

Crazy Smooth a voulu se pencher sur cette question et oser parler du vieillissement dans le domaine de la danse et plus particulièrement du street dance à travers une toute nouvelle création intitulée In My Body. Nous l’avons rencontré afin d’en apprendre davantage sur sa démarche artistique et ses propres découvertes tout au long du processus.

Q : La prémisse de votre spectacle est le vieillissement des interprètes du street dance, une discipline extrêmement exigeante sur le corps humain. Est-ce que votre relation avec votre propre corps a changé au cours de votre processus de création?

Je dirais que oui et non. Oui, puisque j’ai été surpris par l’expérience que ça m’a offert. Je suis parti avec l’idée de mon corps à moi, de mes expériences, de mes quatre opérations au genou, etc. Mais le spectacle met en scène un collectif de neuf danseurs avec neuf expériences différentes. Des gens de toutes les générations du street dance. Le plus vieux de la troupe a 57 ans et les plus jeunes sont dans le début de la vingtaine. Ce sont les expériences de tous qui rayonnent sur la scène. Ma surprise fut à quel point j’apprécie et j’honore les expériences de tout le monde, de toutes les générations. Le titre, au début du spectacle est In My Body, et à la fin, ça devient In Our Body.

Et si je dis non, c’est que j’avais quand même l’idée que la ligne de temps du corps et la ligne de temps de l’esprit étaient deux choses différentes. L’hypothèse que j’avais au départ s’est avérée ma conclusion. La ligne de temps du corps est très déterminée. On peut faire plusieurs choses pour prendre soin de notre corps mais à la fin de la journée, la nature l’emporte. À l’opposé, l’esprit peut rester jeune pendant très longtemps.

Q. : Quelle est votre intention avec ce spectacle? Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens en retiennent?

Dans ce spectacle, nous formons une micro-société. Nul ne va échapper au vieillissement. J’aimerais que chaque personne se reconnaisse, ne serait-ce que dans un aspect du spectacle, et voir où il se situe dans la ligne de temps et puis de repartir avec la notion qu’on n’est rien l’un sans l’autre.

Dans le monde du street dance, si les aînés ne sont pas là, ça devient un cirque. On ne sait pas où on s’en va, on n’a pas de guide. Si la jeunesse n’est pas là, il n’y a pas d’énergie. Ça devient un centre de vieillesse !!! On a besoin de leur énergie et de cette volonté de toujours pousser l’enveloppe. Sans ma génération, celle du milieu, le pont comme je l’appelle, la communication ne se fait pas aussi bien. Nous sommes encore très, très près de la génération de la jeunesse mais nous savons que nous sommes en route vers celle des aînés. En gros, c’est de voir que nul ne peut exister sans l’autre. Dans notre communauté c’est encore plus important de bien communiquer puisque l’on interagit ensemble régulièrement. S’il y a un jam de break, notre forme de rassemblement social, toutes les générations seront présentes. C’est quelque chose qui est relativement unique à notre communauté. Il y a d’autres communautés de danse où les aînés sont là mais ils sont plus isolés. Notre communauté ressemble à la culture africaine ou autochtone.

Q. : Quel conseil aimeriez-vous donner aux jeunes interprètes de street dance qui aspirent à une carrière professionnelle?

Quand on veut faire carrière en danse, il y a des aspects qu’il ne faut pas ignorer. Sans le vouloir, on devient entrepreneur d’une certaine façon. Certains vont aller danser pour des compagnies mais ils sont quand même, sur un certain plan, des entrepreneurs.

Mon premier conseil serait d’apprendre la danse des finances ! Au Canada, nous avons un système de subventions. Il faut apprendre comment on peut financer nos projets. Même si on embauche une compagnie pour nous aider à écrire les demandes de subventions, il faut quand même comprendre comment ça fonctionne.

Mon deuxième conseil serait d’avoir l’esprit ouvert et de s’exposer le plus possible à différents styles de danses. Aujourd’hui, ceux qui réussissent à en faire carrière, ce sont ceux qui sont capables de faire plusieurs styles. Être spécialiste c’est très bien, mais règle générale, quand on peut faire plusieurs styles, c’est un atout.

Dernier conseil, il y a des choses qui restent universelles. On vit dans un monde qui est influencé par les médias sociaux. Certaines compagnies de danse vont regarder combien tu as d’abonnés sur les différentes plateformes. Je peux arriver avec un CV qui démontre que j’ai dansé pour les Grands Ballets, pour Bboyizm, et pour plein d’autres compagnies. Mais j’ai seulement dix abonnés qui me suivent sur Instagram. Si quelqu’un a moins d’expérience mais qui arrive avec ses centaines de milliers d’abonnés, il va avoir un peu plus de chances que moi d’être choisi. Moi je dirais aux gens de faire excessivement attention à ça. Rien ne peut remplacer l’expérience. Tôt ou tard, les gens vont réaliser que tu as camouflé les choses avec tes images et que tu n’as pas l’expérience nécessaire. Tes centaines de milliers d’abonnés ne peuvent pas remplacer l’expérience ! Donc, c’est un conseil important que je donnerais à la prochaine génération.

Q. : Le spectacle est accompagné de la musique de DJ Shash'U, de la poésie d'Alejandro Rodriguez et de différents médiums de projection. Pourquoi ce jumelage inusité?

DJ Shash’U, c’est certainement le meilleur compositeur dans le monde du street dance et c’est encore un danseur, donc il a une compréhension de nos besoins. Quand on discute ensemble dans le processus de création, je n’ai pas besoin de dire grand chose, il comprend l’énergie que je recherche. Puis un peu la même chose pour l’écrivain Alejandro Rodriguez. Ça fait déjà huit ans que je travaille avec lui, et lui aussi c’est un adepte de la culture du hip hop. C’était super intéressant de travailler avec lui puisque qu’il prenait les mots que disais dans une discussion et il composait un texte avec ceux-ci. Sa poésie est rythmée. Quand je relis les textes, j’entends un rythme. Le côté viscéral de la danse parle d’une façon que les écrits ne peuvent pas faire. Et vice-versa, les écrits peuvent nous amener quelque part où la danse ne peut pas. La musique et la technologie de projection qu’on utilise dans le spectacle forment la combinaison parfaite. Le bon dosage de chaque médium fait en sorte que l’expérience est complète. Je suis vraiment content d’avoir jumelé tous ces éléments-là pour venir soutenir la prémisse du spectacle. C’est la première fois que tous les membres de l’équipe de In My Body travaillent ensemble. Les gens qui ont accepté d’embarquer dans ce projet-là forment mon dream team !


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