≈ 1 houre et 15 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 11 décembre 2024
Barbara Hannigan, soprano
Bertrand Chamayou, piano
OLIVIER MESSIAEN Chants de terre et de ciel (Songs of Earth and Heaven) (28 minutes)
I. Bail avec Mi (pour ma femme)
II. Antienne du silence (pour le jour des Anges gardiens)
III. Danse du bébé-Pilule (pour mon petit Pascal)
IV. Arc-en-ciel d'innocence (pour mon petit Pascal)
V. Minuit pile et face (pour la mort)
VI. Résurrection (pour le jour de Pâques)
ALEXANDER SCRIABIN Poème-Nocturne, op. 61 (8 minutes)
ALEXANDER SCRIABIN Vers la flamme, op. 72 (6 minutes)
JOHN ZORN Jumalatteret (22 minutes)
Proem—invocation d’ouverture
I. Päivätär (déesse du soleil)
II. Vedenemo (mère des eaux)
III. Akka (reine de l’ancienne magie)
IV. Louhi (hôtesse du monde souterrain)
V. Mielikki (la chasseresse)
VI. Kuu (déesse de la lune)
VII. Tellervo (esprit de la forêt)
VIII. Ilmatar (esprit de l’air)
IX. Vellamo (déesse de la mer)
Postlude
Il n’y aura pas d’entracte.
Finnois avec traduction française
Ton œil de terre,
mon œil de terre,
nos mains de terre,
Pour tisser l’atmosphère,
la montagne de l’atmosphère.
Étoile de silence
à mon cœur de terre,
à mes lèvres de terre,
Petite boule de soleil
complémentaire à ma terre.
Le bail,
doux compagnon de mon épaule amère.
Ange silencieux,
écris du silence dans mes mains,
alleluia.
Que j'aspire le silence du ciel,
alleluia.
Pilule, viens, dansons.
Malonlanlaine, ma.
Ficelles du soleil.
Malonlanlaine, ma.
C’est l’alphabet du rire aux doigts de ta maman.
Son oui perpétuel était un lac tranquille.
Malonlanlaine, ma.
Douceur des escaliers, surprise au coin des portes.
Tous les oiseaux légers s’envolaient de tes mains.
Oiseaux légers, cailloux, refrains, crême légère.
En poissons bleus, en lunes bleues,
les auréoles de la terre et de l’eau,
un seul poumon dans un seul rosseau.
Io, io, malonlaine, ma.
L’œil désarmé, un ange sur la tête,
ton petit nez levé vers le bleu
qui s’avale,
ourlant de cris dorés
les horizons de verre,
tu tendais ton cœur si pur.
Chanter, chanter, chanter, ah!
chanter, glaneuses d'étoies, tresses de la vie,
pouviez-vous chanter plus délicieusement?
Le vent sur tes oreilles, malonlaine, ma,
joue à saute mouton, malonlaine, ma.
Et la présence verte et l’œil de ta maman.
En effeuillant une heure autour de mon sourire.
Malonlaine, ma.
Autour de mon sourire.
Malonlaine, ma, ma, ma, ma, io!
ha, ha, ha, ha, ha! io, io!
Pilule, tu t’étires comme une majuscule
de vieux missel.
Tu es fatigués; regardes ta main.
Jouet incassable,
les ressorts fonctionnent toujours;
mais on ne peut pas le lancer par dessus bord
comme la jolie poupée en coton.
Rêve aux plis de l’heure;
tresse, tresse des vocalises autour du silence :
le soleil t’écrira sur l’épaule du matin
pour lancer des oiseaux dans ta bouche sans dents.
Sourire, sourire, ce que tu chantes,
chanter, chanter, t’a appris à sourire.
Ce que tu ne vois pas,
sauras-tu en rèver?
Viens, que je te catapultes dans le jour
comme la libellule avivateur!
Te voilà plus haut que moi;
que plaisir de dominer tous ces géants!
Attache à tes poignets fins
les arcs-en-ciel d’innocence
qui sont tombés de tes yeux,
fais les frémir dans les encognures du temps.
Très loin, très près;
recommençons cent fois le jeu!
Où est-il? si haut qu’on le voit plus?
Saute, mon bilboquet Pilule!
Tu t’agites comme un battant de cloche pascale.
Bonjour, petit garçon.
Ville, œil puant, minuits obliques,
clous rouillés enfoncés aux angles de l’oubli.
Agneau, Seigneur!
Ils dansent, mes péchés dansent!
Carnaval décevant des pavés de la mort.
Grand corps tout pourri des rues,
sous la dure lanterne.
Carrefour de la peur !
Couverture de démence et d’orgeuil !
Rire, aiguise-toi, rire, avale-toi :
ces flambeaux sont des montanges de nuit.
Nœuds bien serrés de l'angoisse,
Bête inouïe qui mange.
Qui bave dans ma poitrine.
Tête, tête, quelle sueur!
Et je resterais seul à la mort qui m’enroule?
Père des lumières,
Christ, Vigne d’amour,
Esprit Consolateur,
Consolateur aux sept dons!
Cloche, mes os vibrent, chiffre soudain,
décombres de l’erreur et des cercles à gauche,
neuf, dix, onze, douze.
Oh! m’endormir petit!
sous l’air trop large, dans un lit bleu,
la main sous l’oreille,
avec une toute petite chemise.
Alleluia, alleluia.
Il est le premier, le Seigneur Jésus.
Des morts il est le premier-né.
Sept étoiles d’amour au transpercé,
revêtez votre habit de clarté.
“Je suis ressuscité, je suis ressuscité.
Je chante : pour toi, mon Père, pour toi, mon Dieu, alleluia.
De mort à vie je passe.”
Un ange. Sur la pierre il s’est posé.
Parfum, porte, perle, azymes de la Vérité.
Alleluia, alleluia.
Nous l’avons touché, nous l’avons vu.
De nos mains nous l’avons touché.
Un seul fleuve de vie dans son côté,
revêtez votre habit de clarté.
“Je suis ressuscité, je suis ressuscité.
Je monte : vers toi, mon Père, vers toi, mon Dieu, alleluia.
De terre à ciel je passe.”
Du pain. Il le rompt et leurs yeux sont dessillés.
Parfum, porte, perle, lavez-vous dans la Vérité.
Original French text by Olivier Messiaen
Texte finnois originale
Mieleni minun tekevi, aivoni ajattelevi lähteäni laulamahan, saa’ani sanelemahan, sukuvirttä suoltamahan, lajivirttä laulamahan. Sanat suussani sulavat, puhe’et putoelevat, kielelleni kerkiävät, hampahilleni hajoovat. ylistykseksi jumalattaret!
Traduction française
Aux prises avec un désir impulsif, une puissante poussée intérieure, je peux maintenant chanter, entonner le chant de louange aux déesses!
Viel’ on muitaki sanoja, ongelmoita oppimia:
il y a d’autres mots magiques, des incantations que j’ai apprises
siitti siivet sulkinensa kuuhuen käsin tavoitti
a fabriqué une paire d’ailes à plumes, à mains nues, par sa magie
Keksi piirtämän kivessä, valeviivan kalliossa.
signe secret tracé sur le rocher
Parempi olisi ollut ilman impenä elää,
il eût mieux valu pour moi que je reste la vierge aérienne
Ellös täältä ilman pääskö,nousko, kuu, kumottamahan, pääskö, päivä, paistamahan, kun en käyne päästämähän, itse tulle noutamahan yheksän orihin kanssa, yhen tamman kantamalla!
Lune d’or et Soleil d’argent, Cachez vos faces dans les cavernes De la montagne lugubre du Pohyola; Ne brillez plus pour égayer le pays du Nord, Jusqu’à ce que je vienne vous rendre la liberté, Tirée par des coursiers au nombre de neuf, Coursiers noirs d’une seule mère!
I. Bail avec Mi (pour ma femme)
II. Antienne du silence (pour le jour des Anges gardiens)
III. Danse du bébé-Pilule (pour mon petit Pascal)
IV. Arc-en-ciel d'innocence (pour mon petit Pascal)
V. Minuit pile et face (pour la mort)
VI. Résurrection (pour le jour de Pâques)
À la suite de son mariage avec la violoniste Claire Delbos en 1932, le compositeur français Olivier Messiaen (1908-1992) a trouvé l’inspiration pour écrire deux cycles de mélodies pour soprano et piano : Poèmes pour Mi (« Mi » était le petit nom qu’il donnait à Claire) en 1936, et Chants de terre et de ciel en 1938, un an après la naissance de leur fils, Pascal. Pour ces deux œuvres, il a écrit ses propres textes qui, comme l’explique le critique musical Paul Griffiths, « évoquent les relations conjugales et parentales avec un mélange d’imagerie biblique et de langage dérivé des poètes surréalistes qu’il admirait à l’époque, en particulier Pierre Reverdy. » La soprano Jane Manning qualifie le second cycle de « mélange merveilleusement séduisant du physique et du spirituel », les parties vocales et pianistiques étant très singulières et virtuoses, chacune à leur manière. Les Chants de terre et de ciel, tout comme les Poèmes pour Mi, ont été composés à l’origine pour la soprano dramatique Marcelle Bunlet, qui les a créés le 6 mars 1939 aux Concerts du Triton, à Paris, avec le compositeur au piano.
Les références terrestres et célestes sont juxtaposées de manière éloquente dans les mélodies ainsi que dans la disposition du cycle, que Griffiths décrit avec justesse comme un « triptyque de diptyques ». Les deux premières mélodies semblent mettre en parallèle la vie sur terre avec une épouse (« Bail avec Mi ») et la sécurité apaisante d’une relation avec un ange gardien (« Antienne du silence »). Ici, le mot « bail » renvoie à l’idée que l’épouse et l’époux sont littéralement « prêtés » l’un à l’autre par Dieu pendant leur passage sur terre, contrairement à l’union éternelle (et idéale) du Christ et de son Église. Le texte énumère de nombreux détails physiques autour d’une image céleste de Mi comme « étoile du silence », et la musique ralentit alors pour un moment de contemplation émerveillée. Dans la seconde mélodie, très éthérée, cette image prend une valeur entièrement spirituelle, sous la forme d’un ange silencieux.
La paire centrale de mélodies est consacrée au petit Pascal, le fils de Messiaen que ce dernier surnommait affectueusement « Pilule ». La « Danse de bébé-Pilule », la plus longue mélodie du cycle, brosse le portrait charmant d’un enfant en train de s’amuser devant ses parents aimants qui l’encouragent à danser, à jouer et à chanter pour leur plus grand plaisir. Ici, la musique bourdonne avec énergie sur des rythmes animés et guillerets, assortis de changements rapides de tempo et de dynamique. Un refrain chantant de syllabes dépourvues de sens ajoute à l’atmosphère enjouée tout au long de la mélodie. À cette joyeuse exubérance succèdent, dans « Arc-en-ciel d’innocence », les tendres réflexions d’un parent qui veille sur son fils endormi. La voix passe d’une ritournelle aux airs de récitatif à des fragments mélodiques et à des phrases plus longues, culminant deux fois dans des lignes qui s’envolent et que viennent compléter les accords soutenus du piano – la première fois, sur les mots « le soleil t’écrira », et plus tard, dans l’appel touchant et protecteur « Attache à tes poignets fins les arcs-en-ciel d’innocence ». À la fin, le père, avec une profonde affection, salue son fils qui se réveille.
Le dernier diptyque oppose le cauchemar chaotique, putride et angoissant de « l’enfer » dans « Minuit pile et face » au confort serein du paradis, que l’être humain ne peut atteindre que par la foi en la grâce salvatrice du Christ et en sa résurrection. La musicologue allemande Siglind Bruhn fait remarquer que Messiaen a sans doute voulu exprimer le double aspect de minuit en substituant « et » à « ou » dans l’expression consacrée « pile ou face ». Le texte du poème évoque les conséquences terrifiantes du péché humain; en témoigne la « danse des péchés », au rythme diabolique, qui s’amorce au piano. Plus tard, des trémolos mettent en évidence les « nœuds de l’angoisse », pour arriver finalement à un grand point culminant avec des suppliques désespérées à Dieu pour obtenir une consolation. Vers la fin, le pandémonium cède la place à une coda empreinte de nostalgie, dans laquelle la voix, sur des accords flottants du piano à la main droite, souhaite un sommeil simple et paisible à un enfant innocent.
La mélodie finale apporte réconfort et espoir en évoquant le renouveau de l’univers par la résurrection du Christ. On remarquera que les strophes ont une structure équilibrée, avec les mêmes alléluias d’ouverture (ou des alléluias similaires), une citation centrale sur la résurrection et une ultime vision du paradis. Ces éléments communs sont reliés par des paraphrases des récits bibliques de la résurrection du Christ : l’ange assis sur la pierre roulée du tombeau de Jésus; l’histoire de Thomas le sceptique, qui a touché le Christ ressuscité; et Jésus rompant le pain avec ses disciples et leur permettant de le reconnaître. Tout au long de la mélodie, la musique est extatique, avec des lignes vocales très virtuoses auxquelles le piano répond par des gestes éclatants.
Note de programme par Hannah Chan-Hartley, Ph. D. (traduit de l’anglais)
Le compositeur russe Alexandre Scriabine (1872-1915) est une personnalité musicale hors du commun dont le mysticisme personnel, la synesthésie (perception simultanée du son et de la couleur) et le langage musical particulier ont suscité beaucoup de fascination et d’analyses musicologiques. Pianiste exceptionnellement doué, Scriabine a écrit de nombreuses pièces pour l’instrument solo; à l’âge adulte, ce sont les seules qu’il a jouées en public. Ses sonates et ses « poèmes » comptent parmi ses œuvres les plus connues. Dans ces derniers, il a transformé le concept de « poème symphonique » (appliqué à l’origine à la musique orchestrale par Franz Liszt) en le faisant passer de la représentation en musique d’une idée extramusicale à des microcosmes sonores qui, selon la pianiste Marilyn Nonken, visent à générer « des perceptions et des états de conscience nouveaux » chez l’auditoire.
Un aspect essentiel du processus de composition de Scriabine était la manipulation des sons; il s’intéressait profondément à leurs propriétés acoustiques, à la manière dont ils sont produits et à leur effet sur l’esprit et le corps. Il percevait lui-même non seulement les notes entendues, mais aussi les sonorités « inaudibles » qui résonnent comme des vibrations sympathiques avec elles pour créer leurs couleurs sonores spécifiques (c’est-à-dire les partiels d’une série harmonique). Après 1909, Scriabine a commencé à expérimenter, dans sa musique pour piano, la synthèse à partir du clavier de complexes harmoniques reflétant des sonorités inaudibles, comme celles qu’il entendait et ressentait dans les sons des cloches et des gongs. Il a conçu « l’accord synthétique » composé de six sons (et plus tard sept), basés sur les septième à quatorzième partiels de la série harmonique naturelle, qu’il a empilés en quartes. Cette entité, appelée accord « mystique » ou accord « de Prométhée » (en raison de son utilisation dans le poème orchestral Prométhée de Scriabine), est devenue la principale source de couleur sonore et d’harmonie pour les œuvres ultérieures du compositeur, notamment son Poème-Nocturne, opus 61, datant de 1911.
Comme le suggère son titre, le Poème-Nocturne est une musique de nuit qui oscille entre une brume langoureuse et onirique et des épisodes sensuels évoquant l’éveil d’un désir érotique ou mystique. La partie de piano est jalonnée d’indications colorées, la section d’ouverture passant d’une « grâce capricieuse » à « un murmure confus » (avec un passage dans lequel la main droite vagabonde) à un motif ascendant d’ornements et de notes détachées, qui appelle un jeu « cristallin, perlé ». Dans la section centrale, des moments de passion déferlante alternent avec de brusques accès de langueur, pour finalement aboutir à deux points culminants, le second se réverbérant sur une sonorité de quartes empilées, retentissant d’abord dans les profondeurs, et se prolongeant par des arpèges et des accords répétés qui tintent en surplomb. Un « murmure confus » ramène à une reprise variée de la première section. La musique s’intensifie encore brièvement – la main droite dans les aigus par-dessus des passages scintillants – mais elle redevient soudainement langoureuse, et le Poème-Nocturne se conclut sur des réitérations évanescentes du motif « cristallin, perlé ».
Note de programme par Hannah Chan-Hartley, Ph. D. (traduit de l’anglais)
Vers la flamme (1914) a commencé comme une esquisse de la onzième sonate pour piano de Scriabine, mais le compositeur en a rapidement fait une œuvre à part entière. Décrite à juste titre par Lincoln Ballard et Matthew Bengtson, spécialistes de Scriabine, comme « un tour de force de couleur pianistique et de propulsion rythmique », cette pièce exige beaucoup de l’interprète, notamment de fréquents croisements de mains, des polyrythmies délicates (comme le rythme de neuf sur cinq) et « un équilibre minutieux entre le son et l’élan rythmique ». Elle exige également un jeu de pédales nuancé pour créer l’effet d’une « superposition multidimensionnelle de sons, avec des tonalités individuelles résonnant à des intensités différentes », comme le fait remarquer la pianiste Marilyn Nonken. « Il y a une concentration obsessionnelle sur des registres particuliers, dont la résonance est captée et soutenue par la pédale », précise-t-elle. Scriabine établit ainsi « des plans indépendants de couleurs sonores continuellement rafraîchis, parfois superposés les uns aux autres. »
L’arc de Vers la flamme passe « du brouillard à la lumière aveuglante », mais dans une perspective spirituelle, ainsi que l’a décrit Scriabine à son ami le critique et musicologue Leonid Sabaneïev. L’œuvre commence tout doucement, sur des accords austères ressassés dans le registre grave, avec des motifs tournés vers l’intérieur, comme s’ils étaient pris au piège. À la main droite émerge une phrase mélodique avec un motif en demi-tons descendant. Ce motif descendant domine à mesure que la musique s’anime en arrière-plan (Scriabine indique ici « avec une émotion naissante »). Bientôt, « avec une joie voilée », le motif descendant commence à monter progressivement vers le registre supérieur, comme s’il était attiré par la lumière. Il se poursuit, indique Scriabine, « avec une joie de plus en plus tumultueuse », débouchant enfin sur des trémolos. Dans un épisode subséquent portant l’indication « Éclatant, lumineux », les trémolos (qui apparaissent maintenant avec le motif descendant) évoquent non seulement le sentiment d’être près d’une flamme ou d’une lueur, mais aussi un état extatique d’accomplissement divin, vibrant d’euphorie. Plus tard, la main droite exécute des accords construits sur des intervalles de quarte, ce qui leur confère un éclatant son de cloche. Pour finir, ils retentissent dans le registre le plus aigu et le plus étincelant du piano, amenant la pièce à sa radieuse conclusion.
Note de programme par Hannah Chan-Hartley, Ph. D. (traduit de l’anglais)
Proem—invocation d’ouverture
I. Päivätär (déesse du soleil)
II. Vedenemo (mère des eaux)
III. Akka (reine de l’ancienne magie)
IV. Louhi (hôtesse du monde souterrain)
V. Mielikki (la chasseresse)
VI. Kuu (déesse de la lune)
VII. Tellervo (esprit de la forêt)
VIII. Ilmatar (esprit de l’air)
IX. Vellamo (déesse de la mer)
Postlude
Note de programme par John Zorn et Barbara Hannigan
Jumalattaret (2012), qui utilise des fragments de textes tirés de l’épopée finlandaise Kalevala, est un cycle de chants à la gloire de neuf déesses finlandaises issues du chamanisme sami : Päivätär, déesse de l’été; Vedenemo, la mère des eaux; Akka, déesse du monde souterrain; Louhi, une puissante sorcière et métamorphe; Mielikki, la déesse de la chasse; Kuu, la déesse de la lune; Tellervo, déesse des forêts; Ilmatar, l’esprit vierge de l’air; Vellamo, la déesse de l’eau. La musique a recours à un éventail de techniques et de genres musicaux, et passe d’une simplicité folklorique lyrique à des pyrotechnies atonales et texturales plus complexes.
John Zorn :
Barbara Hannigan était à New York pour se produire dans Written on Skin de George Benjamin au Lincoln Center à l’été 2015. Des amis communs nous ont présentés pour notre première rencontre, le temps d’un repas mémorable au restaurant thaïlandais Somtum Der sur l’avenue A. Nous sommes restés des heures à parler à cœur ouvert de la musique, de la vie, des collaborations, de l’improvisation, du monde de la musique classique, des chefs d’orchestre, et de bien d’autres sujets. Ce fut merveilleusement inspirant et nous avons commencé à envisager de donner suite à cette conversation. Me souvenant de Jumalattaret, je lui ai envoyé la partition et lui ai proposé d’en faire notre première aventure musicale commune.
Barbara Hannigan :
Ma rencontre avec John en 2015 a marqué un tournant dans ma vie de créatrice. La connexion musicale entre nous a été immédiate et magnétique. J’ai commencé à travailler sur Jumalattaret en 2016-2017, mais j’ai vite pris conscience que j’avais frappé mon « Waterloo » eu égard aux exigences virtuoses de l’œuvre. Je n’étais pas du tout certaine de pouvoir y arriver, même si je m’étais déjà attaquée à de nombreuses pièces « impossibles à chanter » auparavant. Finalement, j’ai trouvé le courage d’écrire à John pour lui faire part de mes inquiétudes. J’espérais qu’il rendrait certains passages un peu plus « abordables » pour moi.
Nous avons échangé plusieurs courriels et John s’est montré incroyablement réceptif aux vulnérabilités dont je lui faisais part. Je n’avais jamais bénéficié d’un tel soutien de la part d’un compositeur. Il n’était pas offensé. Il était vraiment avec moi dans ma démarche.
John m’a écrit ce qui suit :
on ne peut rien transcender en restant en terrain sûr
et c’est dans ces moments intenses que l’on peut trouver des vérités plus profondes, réunir l’esprit et le cœur – et commencer à comprendre l’âme et son fonctionnement
dans ce moment de courage où on lâche prise et on se lance, la musique prend vie d’une façon particulière et héroïque – qui va bien au-delà des simples notes sur le papier
John :
Le long parcours de Barbara vers la maîtrise du morceau est magnifiquement raconté dans le documentaire pénétrant de Mathieu Amalric, Zorn III, qui se concentre sur nos échanges et le long processus d’apprentissage, d’acharnement et de répétition qui l’a amenée à interpréter Jumalattaret.
Barbara :
Parce que John croyait en moi, je me suis sentie investie d’une énergie nouvelle, et j’ai ramassé toutes mes forces pour me jeter dans la musique jusqu’à ce que j’y sois complètement immergée et qu’elle devienne une partie de moi. J’ai interprété cette œuvre à maintes occasions à la faveur de festivals qui célébraient la musique de John Zorn, et j’ai voulu la placer dans un nouveau contexte d’interprétation en la programmant avec le cycle des Chants de terre et de ciel de Messiaen. Ces deux œuvres sont profondément spirituelles, mystérieuses, tendres et extatiques. Alors que le cycle de Messiaen est davantage axé sur l’homme (le Dieu de la foi catholique), celui de John [Zorn] s’inspire de la puissance féminine, comme bon nombre de ses compositions.
John a écrit cinq autres œuvres pour ma voix, avec différentes combinaisons d’instruments, et il ne se passe pas une saison sans que je n’interprète sa musique quelque part. Il est devenu un ami très cher et un mentor inspirant.
Incarnant la musique avec une sensibilité dramatique incomparable, la soprano et chef d’orchestre originaire de la Nouvelle-Écosse Barbara Hannigan est une artiste à l’avant-garde de la création. Forte de plus de 30 ans d’expérience, elle a noué de merveilleuses relations professionnelles avec des grands noms de la musique, de la mise en scène et de la chorégraphie et s’est produite dans le monde entier. Parmi ses collègues artistiques, on compte John Zorn, Krzysztof Warlikowski, Simon Rattle, Sasha Waltz, Kent Nagano, Vladimir Jurowski, Andreas Kriegenburg, Andris Nelsons, Esa-Pekka Salonen, Christoph Marthaler, Antonio Pappano, Katie Mitchell et Kirill Petrenko. Le regretté chef d’orchestre et pianiste Reinbert de Leeuw a eu une influence inestimable et a été une incroyable source d’inspiration dans son parcours.
Primée aux Grammy et aux Juno, la musicienne canadienne est résolument engagée envers la musique de notre temps. Elle a présenté en première mondiale près de 100 nouvelles créations et a étroitement collaboré avec des compositrices et compositeurs tels que Boulez, Zorn, Dutilleux, Ligeti, Di Castri, Stockhausen, Khayam, Barry, Dusapin, Dean, Benjamin et Abrahamsen.
Musicienne passionnée assumant des choix singuliers et courageux, Barbara Hannigan est reconnue pour ses programmes de concerts novateurs, qui mêlent répertoire d’hier et d’aujourd’hui de façon hautement dramatique et authentique. Elle a débuté sa carrière comme soprano après avoir étudié à l’Université de Toronto avec Mary Morrison, en s’attaquant à certaines pièces parmi les plus difficiles et virtuoses du répertoire. Elle s’est ensuite tournée vers la direction d’orchestre. Elle a fait ses débuts en 2011 au Théâtre du Châtelet à Paris, et navigue aujourd’hui entre le chant et la direction d’orchestre, suivant librement son chemin unique. Elle occupe le poste de première chef invitée à l’Orchestre symphonique de Göteborg depuis 2019, et en 2026, elle deviendra chef d’orchestre principale et directrice artistique de l’Orchestre symphonique d’Islande. Elle a été décorée de l’Ordre du Canada en 2016.
Ces dernières années, elle a dirigé des orchestres de renommée mondiale comme le Royal Concertgebouw et l'orchestre de Cleveland, l’Orchestre symphonique de Londres et l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome. Elle poursuit ses collaborations avec des festivals, tels que ceux d’Aix-en-Provence et de Spoleto, et elle s’est produite en tant que soprano vedette dans des opéras, entre autres au Covent Garden de Londres, au Teatro San Carlo de Naples, au Palais Garnier de l’Opéra de Paris et dans les opéras de Berlin, Hambourg et Munich.
L’un des plus brillants pianistes de notre époque, Bertrand Chamayou est reconnu pour ses interprétations révélatrices d’une virtuosité puissante, d’une grande imagination et d’une beauté à couper le souffle. Grand interprète de la musique française, il compte dans son vaste répertoire plusieurs œuvres majeures, dont l’intégrale des œuvres pour piano de Ravel, les Études d'exécution transcendante et les Années de pèlerinage de Liszt ou encore Vingt regards sur l’Enfant-Jésus de Messiaen. Il nourrit également une grande passion pour la création, ayant travaillé avec des compositeurs comme Pierre Boulez, Henri Dutilleux, György Kurtág, Thomas Adès, Bryce Dessner et Michael Jarrell.
Il se produira cette saison avec l’Orchestre symphonique de Londres à Gstaad et La Côte-Saint-André, donnera une soirée de musique de chambre au Wigmore Hall, jouera avec l’Orchestre symphonique de Seattle, l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre de chambre de Bâle, l’Orchestre de chambre d’Europe, l’Orchestre philharmonique de la BBC, l’Orchestre symphonique de Bâle, l’orchestre Les Siècles, l’Orchestre du Gürzenich Cologne, l’Orchestre national de Belgique et l’Orchestre symphonique de Detroit. En tournée avec Barbara Hannigan, il sera de passage à Montréal, Toronto, Vancouver, Victoria, La Jolla, Rochester, Philadelphie, New York, Ottawa, Washington et Paris pour des récitals en duo. Il donnera aussi des récitals en duo avec Sol Gabetta au Konzerthaus de Vienne, au Gewandhaus de Leipzig, au De Doelen de Rotterdam ainsi qu’à Trieste et à Bologne, et des récitals en solo à Clermont-Ferrand, Metz, Poitiers, Perth, Paris, Dijon, Lyon, Aix-en-Provence, Toulouse, Lille et Oeiras.
Bertrand Chamayou joue aux côtés des plus prestigieux ensembles : l’Orchestre philharmonique de Vienne et celui de New York, les orchestres de Cleveland, de San Francisco, de Pittsburgh, de Chicago, d’Atlanta, de Montréal, de Vienne et de Londres, l’Orchestre de Paris, l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, l’Orchestre national de France et l’Orchestre philharmonique de Radio France, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, le Deutsche Kammerphilharmonie de Brême, les orchestres des radios de Munich, de Francfort, de Cologne et de Copenhague ainsi que l’Orchestre symphonique de la NHK, l’Orchestre philharmonique de Séoul et l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Il a eu le privilège d’être dirigé par Pierre Boulez et sir Neville Marriner et collabore avec divers chefs d’orchestre dont Esa-Pekka Salonen, Herbert Blomstedt, Semyon Bychkov, Charles Dutoit, Mikko Franck, Santtu-Matias Rouvali, Krzysztof Urbański, Philippe Herreweghe et Gianandrea Noseda, Philippe Jordan, Andris Nelsons, François-Xavier Roth, Tugan Sokhiev, sir Antonio Pappano et Elim Chan.
Chambriste très apprécié, il a pour partenaires des artistes de renom, notamment Sol Gabetta, Barbara Hannigan, Vilde Frang, Renaud et Gautier Capuçon, Leif Ove Andsnes, le Quatuor Ébène et Antoine Tamestit. Il est très impliqué dans la création et le nouveau répertoire, ayant collaboré avec Henri Dutilleux et György Kurtág, et plus récemment avec Thomas Adès, Bryce Dessner et Michael Jarrell, qui lui a dédié son dernier concerto pour piano.
Bertrand Chamayou a enregistré un grand nombre de disques à succès, dont un album de musique de César Franck sous étiquette Naïve qui a obtenu de nombreuses distinctions. Son enregistrement des concertos pour piano no 2 et 5 de Camille Saint-Saëns a été récompensé en 2019 du prix Gramophone du meilleur enregistrement de l’année. Sous contrat exclusif avec Warner/Erato, il est le seul artiste à avoir remporté les prestigieuses Victoires de la musique en France à cinq reprises et a obtenu le prix Echo Klassik pour son enregistrement des œuvres complètess pour piano solo de Ravel. Son nouvel album, Letter(s) to Erik Satie, regroupe des œuvres de Satie et de Cage.
Bertrand Chamayou est né à Toulouse; son talent musical est vite remarqué par le pianiste Jean-François Heisser, qui deviendra par la suite son professeur au Conservatoire de Paris. Il s’est perfectionné auprès de Maria Curcio à Londres. Il est depuis 2021 co-directeur artistique du Festival Ravel, nouvel événement international d’envergure du Pays basque français célébrant l’œuvre de Maurice Ravel.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre