≈ 1 heure et 20 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 18 novembre 2024
Intriguée par la tournure que prennent depuis quelques années les revendications sociales et identitaires dans l’espace public, j’ai entrepris en 2021 de fouiller et de lire sur l’éthique, la morale, la « montée du politically correct en art » et le « rétrécissement de nos libertés ». J’ai souvent eu l’impression que les discussions entourant ces luttes identitaires et bouleversements idéologiques vers plus d’équité et d’inclusion étaient hautement exclusives. Et que si plusieurs de mes collègues neurodivergent·e·s devraient être invité·e·s à la table, ces discussions n’étaient pas du tout accessibles, vu la complexité et le ton des échanges, la rapide évolution du vocabulaire, ainsi que les nombreuses nuances et références requises.
J’ai donc imaginé un processus de création qui permettrait d’aborder avec ouverture et simplicité les questions complexes et chargées que sont l’appropriation, la notion de privilège, la culture de l’annulation, la liberté de parole, le consentement, la légitimité, les biais systémiques, etc. Les discussions entourant ces sujets, à la croisée des revendications identitaires et des débats entourant le vivre-ensemble, sont parfois alourdies par la peur, le ressenti ou l’incompréhension. Notre pièce vise à présenter ces questionnements et leurs nombreux glissements de manière décomplexée et parfois même comique.
L’aventure commence donc par l’appropriation du titre de la pièce la plus connue de Luigi Pirandello. Écrite en 1921, Six personnages en quête d’auteur présente deux groupes s’opposant : des acteurs, professionnels de la fabrication de drame, puis des êtres « nés personnages » évoluant dans la vraie vie, offrant sans pudeur leurs drames intimes. Ces affrontements entre vécu et appropriation, ces déchirements entre interprétation et expérience, entre fiction et réalité, trouvent un écho inédit un siècle plus tard, tandis que la profession même d’acteur est remise en question, voire parfois mise au banc des accusés.
Comme pour chaque projet de Joe Jack et John, nous arrivons au bout du processus avec plus de questions que de réponses... et en faisant le constat que cette comédie risque même d’ajouter à la confusion ambiante!
Dans Cispersonnages en quête d’auteurice, vous abordez de front plusieurs questions éthiques très présentes dans le débat social ces dernières années. Quelle a été l’impulsion de ce spectacle?
Il y a plusieurs années, j’avais partagé, avec ma complice de création Pénélope Bourque, l’idée de faire un projet autour de ces postures sociales desquelles émane un certain dogmatisme et qui alimentent beaucoup les conversations ces derniers temps. Puis, dans ma vie professionnelle, une situation est survenue qui a éveillé en moi des interrogations profondes sur ma place et celle de la compagnie dans le milieu théâtral.
De par son positionnement artistique et politique, Joe Jack et John possède une certaine posture au milieu des débats sur les questions de la représentativité, de l’accessibilité des plateaux et des publics ainsi que sur la pensée féministe et l’engagement militant. J’ai toujours travaillé à cultiver l’ouverture et l’échange, mais je sais que parfois le fait d’avoir une vision très forte freine le dialogue. On sait aussi, bien sûr, que les humains se rassemblent autour de visions communes et que, à la longue, celles-ci peuvent devenir plus étroites, plus rigides. Pour tenter de déplacer mon regard et d’en conserver la souplesse, je me suis donc plongée dans des lectures mettant de l’avant des visions très différentes de la mienne, plus à droite dans le spectre politique.
Vous travaillez depuis longtemps avec des interprètes neurodivergent·e·s et des distributions diversifiées à tous les égards. En quoi pensez-vous que le travail avec une équipe inclusive peut éclairer certains aspects de ces sujets délicats?
Trop souvent, les questions éthiques sont abordées sous le joug de la peur. On redoute de partager son opinion, de parler de certaines choses, de se tromper… Je voulais saisir l’occasion de créer un espace plus libre. De plus, j’ai souvent eu l’impression que les discussions entourant les luttes identitaires et idéologiques vers plus d’équité et d’inclusion étaient en réalité plutôt exclusives… En fait, il y a plusieurs débats sociaux au sujet desquels je me dis : oui, c’est pertinent, mais si on invitait une véritable diversité d’intervenant·e·s autour de la table, dont mes collègues neurodivergent·e·s qui sont directement touché·e·s par ces enjeux, les conversations ne leur seraient pas du tout accessibles!
Je pressentais donc que de travailler avec une distribution inclusive contribuerait à déplacer la perspective. En s’assoyant autour de la table de travail avec l’équipe de Cispersonnages en quête d’auteurice, il a fallu définir les concepts et préciser entre nous un grand nombre d’éléments. Plusieurs fois, ces échanges ont suscité des débats difficiles, mais nous avons maintenu un climat de bienveillance qui permettait à tout le monde de s’exprimer. Dans ce contexte, les conclusions apparaissent moins évidentes et les points de vue ne peuvent pas être aussi tranchés. J’ai l’impression qu’une grande partie du public se retrouvera dans les réflexions qui animent les personnages de la pièce.
Chez Joe Jack et John, le texte est bien souvent élaboré en collectif au cours des répétitions. Pour Cispersonnages en quête d’auteurice, votre nom apparaît comme autrice principale. Qu’est-ce qui vous a amenée à prendre en charge l’écriture de ce spectacle?
Joe Jack et John est une compagnie de recherche et de création, donc ça fait partie de notre démarche d’œuvrer constamment à renouveler nos modèles et nos méthodes. Je crois qu’une certaine précarité est un moteur de dépassement, un terreau fertile à la création. J’utilisais cette métaphore dans Dis merci : il faut veiller à ne pas se caler dans un fauteuil trop confortable. Lorsqu’on se tient sur un tabouret, dans une position un peu bancale, on est nécessairement amené à rester dans l’action, plus vivant, vigilant, en phase avec le monde.
Dans le parcours de la compagnie, je me suis toujours vue comme une passeuse, celle qui va chercher le micro pour le tendre aux autres. Cette fois, j’ai voulu me donner une autre place. Ce spectacle est sans doute le moins collaboratif de l’histoire de la compagnie et peut-être aussi le moins éthiquement acceptable. À plusieurs égards, j’ai fait des choix différents. Notamment sur le plan du texte, qui, bien sûr, est nourri des échanges avec l’équipe, mais a été vraiment été construit à partir de mes préoccupations. Pour la première fois, je mets des mots dans la bouche de mes comédiennes et comédiens!
Cet entretien a été réalisé par le Festival TransAmériques (FTA) à l’occasion de la création du spectacle en mai-juin 2023.
Depuis 2003, Joe Jack et John crée des œuvres théâtrales engagées et innovantes, façonnées à même une écriture collective et des équipes inclusives, dont des artistes professionnel·le·s de la diversité fonctionnelle, notamment neurodivergent·e·s ou en situation de handicap intellectuel.
La compagnie a développé depuis 20 ans des processus de création à la fois accessibles et éthiques, qui utilisent l’interdépendance, l’autodétermination et l’écriture de plateau afin de faire émerger des paroles libres et intègres. Joe Jack et John permet ainsi l’éclosion d’un théâtre qui renouvelle la manière dont on se perçoit et se raconte et qui participe activement à la reconnaissance du travail d’artistes sous-représenté·e·s.
Les recherches esthétiques et dramaturgiques de la compagnie juxtaposent maîtrise formelle et faillibilité, fiction et réalité, personnel et politique. Les œuvres, riches de la pluralité des imaginaires et points de vue des équipes, abordent des enjeux contemporains et des thèmes à résonnance sociale. Joe Jack et John travaille ainsi le lien entre le théâtre et la vie, comme si l’un était le prolongement de l’autre, une manière de l’interroger, de la fouiller et, surtout, d’y prendre part.
Ses valeurs humanistes sont des principes qu’elle défend avec ferveur, dont le leadership des personnes neurodivergentes ainsi que l’accessibilité des publics les plus divers. Cette approche influence les modes de production de la compagnie où des équipes tricotées serrées collaborent avec lenteur, bienveillance et humour. La compagnie vise être un vivier reconnu pour ses processus qui tracent de nouvelles voies, ses artistes singuliers qui bousculent et inspirent, ainsi que ses œuvres qui brillent et se distinguent. Rien de moins.
Pour en connaître davantage sur la compagnie, consultez le site en cliquant ici.
La représentation du vendredi 6 décembre à 20h sera offerte en audiodescription aux spectateurs aveugles et malvoyants.
18h30: Accueil des spectateurs devant le Studio Azrieli du CNA*
19h: Soutien technologique et visite tactile
20h: Représentation (80 minutes, sans entracte) et rencontre d’après-spectacle en salle (20 minutes)
21h50: Fin de l’événement
* Le Studio Azrieli est situé au rez-de-chaussée, tout près de la Fontaine, et est accessible par l’entrée se trouvant en face du Canal Rideau. Pour y accéder, on peut emprunter la ruelle Lawrence Freiman, au niveau du croisement des rues Queen et Elgin.
Pour plus d’informations ou pour réserver votre place, contactez Véronique Marcus, Adjointe à la programmation Enfance/jeunesse, à veronique.marcus@cna-nac.ca ou au 613-806-4471.
Une fois inscrits, vous pourrez vous procurer vos billets et bénéficier d’un tarif inclusif à 15$ / billet (taxes et frais de service inclus). L’entrée est gratuite pour l’accompagnateur·rice.
L’audiodescription est une technique de description destinée aux personnes aveugles ou malvoyantes. Elle consiste à décrire les éléments visuels du spectacle en donnant les éléments essentiels à la compréhension de l’œuvre (décors, personnages, actions, gestuelle). Le texte est livré en direct et est calé entre les dialogues et les bruitages du spectacle.
Réservée aux personnes aveugles ou semi-voyantes et à leurs accompagnateur.ice.s, la visite tactile du théâtre permet de découvrir l’espace scénique dans lequel les comédiens vont évoluer. En touchant des objets, des accessoires et des morceaux de costumes utilisés durant le spectacle, les spectateur·rice·s aveugle ou malvoyant.es bénéficieront d’une meilleure perception des volumes et des espaces.
Catherine Bourgeois dirige la compagnie Joe Jack et John, qu’elle a cofondée en 2003. Après avoir complété un BA en scénographie à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM (Montréal), elle a obtenu une maîtrise en mise en scène au Central School of Speech and Drama (Londres). Au fil des dix productions qu’elle a conçues et dirigées avec Joe Jack et John, elle s’est mérité diverses distinctions (prix MEC-Cas, Cochons d’or, Prix artiste mi-carrière de la Fondation de la Faculté des arts de l’UQAM, etc.) et a acquis une réputation de leader au sein de la communauté des arts vivants pour son esthétique unique et l’humanité de ses distributions. En plus de se consacrer à la reconnaissance et la pérennisation du mandat de la compagnie qu’elle défend avec passion depuis maintenant 17 ans, Catherine travaille et milite activement pour une plus grande reconnaissance de la pratique des femmes et des artistes en situation de handicap dans le milieu théâtral.
Texte, mise en scène et scénographie}
Catherine Bourgeois
Collaboration à l’écriture
Edon Descollines, Jean-François Huppé, Hubert Lemire, Michael Nimbley, Audrey Talbot, Anne Tremblay, Pénélope Bourque, Louis Girandello, Maryline Chery, Guy-Philippe Côté et Pénélope Goulet-Simard
Avec
Maryline Chery, Guy-Philippe Côté, Edon Descollines, Pénélope Goulet-Simard, Hubert Lemire, Michael Nimbley et Audrey Talbot
Assistance à la mise en scène
Alexie Pommier
Conseil à la dramaturgie
Sara Fauteux
Lumière
Jean Jauvin
Scénographie et costumes
Amy Keith
Assistance à la scénographie
Alizée Milot
Assistance aux costumes
Carolie Delisle
Conception sonore
Alexander MacSween
Sonorisation
Andréa Marsolais-Roy
Accompagnement et coaching de jeu
Paul Patrick Charbonneau
Direction de production
Pénélope Bourque
Direction technique et régie de tournée
Pierre Tripard
Assistance technique et accompagnement
Matthew Lawler
Traduction des surtitres
Bobby Theodore
Production
Joe Jack et John
Coproduction
Festival TransAmériques et Théâtre Gilles-Vigneault
Avec le soutien du
Théâtre français du CNA
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre