≈ 2 heures · Avec entracte
Dernière mise à jour: 10 janvier 2023
PROKOFIEV: Sarcasmes – Cinq pièces pour piano, Op. 17
PROKOFIEV: Sonate pour piano no2 en ré mineur, Op. 14
RACHMANINOFF: Sonate pour piano No 2, Op. 36 Interval
STRAVINSKY: Sonate pour piano en fa dièse mineur (1924)
CHAPLIN: The Immigrant, improvisation par Gabriela Montero
Il y a une séquence de 40 secondes dans The Immigrant (« L’Émigrant » en v.f.) qui résume exactement pourquoi je suis tombée amoureuse de Charlie Chaplin, comme des millions de personnes à travers le monde avant moi. Au moment où le bateau qui transporte le vagabond et ses compagnons immigrants s’approche des États-Unis, la statue de la Liberté apparaît. « Charlot » se mord la lèvre d’émotion, mais le charme est vite rompu alors que les stewards enferment les passagers dans un enclos comme du bétail. Il prend ensuite sa revanche à la manière typique du burlesque : en donnant un coup de pied au derrière d’une figure d’autorité.
L’espoir, l’émotion, l’ironie, la rébellion, le courage, les gamineries, la comédie se trouvent concentrés en une seule petite séquence. Dans tous ses films, Chaplin navigue ainsi constamment entre différents traits de l’esprit humain et les grandes questions sociales, en ayant recours à toutes les nuances de la lumière et de l’obscurité. Sans jamais prononcer un mot, il parle de nous avec une intelligence pénétrante et éloquente.
Sa sympathie va toujours aux opprimés, en l’occurrence aux personnes éprouvées qui viennent prendre un nouveau départ aux États-Unis. Quand le tournage a commencé en 1917, la loi américaine sur l’immigration venait d’être adoptée, restreignant l’entrée des « indésirables », des personnes originaires d’Asie et des analphabètes, et le problème était donc bien réel. Et pourtant, il nous donne aussi à rire avec la scène du vieil homme qui a le mal de mer, celle des joueurs assassins ou celle du repas pris en pleine tempête.
L’arrivée de Chaplin lui-même aux États-Unis fut nettement plus agréable. Il s’y rendit pour la première fois en 1910 sur le SS Cairnrona, à l’âge de 21 ans seulement, mais déjà en tant que star montante du music-hall londonien, au sein de la prestigieuse troupe de vaudeville de Fred Karno (aux côtés de Stan Laurel, qui allait plus tard devenir célèbre au sein du duo Laurel et Hardy). Commentant sa prestation dans The Wow-Wows, or A Night in a London Secret Society, le magazine Variety affirma : « Chaplin s’en sortira très bien en Amérique ».
Sa première tournée nord-américaine durera 21 mois, et il y reviendra quelques mois plus tard seulement, en octobre 1912. Cette fois, il s’exilera définitivement de son pays natal. Son talent comique sera repéré par les recruteurs de la Keystone Film Company et, en septembre 1913, il signera un contrat de 150 dollars par semaine en tant qu’acteur.
À partir de là, son ascension est fulgurante. En 1916, il rejoint la Mutual avec un salaire de 675 000 dollars pour réaliser douze films à deux bobines – dont The Immigrant – faisant de lui l’une des personnes les mieux payées au monde. En juin 1917, il signe avec la First National pour réaliser huit films pour un million de dollars, avec son propre studio et un contrôle total sur ses propres films. Il vit la quintessence du rêve américain.
Ce succès éclatant est d’autant plus remarquable qu’il a grandi dans une pauvreté et une précarité des plus extrêmes. Fils d’artistes de music-hall, il a été élevé par sa mère, Hannah Chaplin, mais elle a fait une dépression alors qu’il n’avait que sept ans, et il a été envoyé à Lambeth Workhouse avec son frère aîné Syd. Il a passé une grande partie de son enfance à faire la navette entre diverses institutions pour enfants démunis et la garde de son père alcoolique, également prénommé Charles.
Peut-être pour s’évader de ces malheurs, il a pris le goût du spectacle et a rejoint les Eight Lancashire Lads, une troupe de clog dancing (forme de danse à claquettes folklorique originaire du Pays de Galles et du nord de l’Angleterre) avec laquelle il a fait une tournée en Angleterre à l’âge de dix ans. Il a abandonné l’école à treize ans, mais est resté toute sa vie un autodidacte avide d’apprendre, prenant plaisir à parsemer ses écrits et ses interviews de mots rares qui le faisaient paraître quelque peu prétentieux.
Il était également passionné de musique depuis son plus jeune âge. Dans son autobiographie, il évoque en ces termes le moment où il s’est épris de cet art : « J’ai soudainement pris conscience, en écoutant l’échange entre un harmonica et une clarinette, qu’il en émanait un message à la fois étrange et harmonieux… C’était joué avec tant d’émotion que j’ai commencé à comprendre, pour la première fois, ce qu’est vraiment la mélodie. Mon premier éveil à la musique. »
Son sens musical était manifeste – lors d’une tournée à Paris en 1909, alors qu’il travaillait encore avec Karno, Debussy est venu le voir dans les loges et lui a dit : « Vous êtes instinctivement un musicien et un danseur ». Nijinski lui a dit un jour : « Votre comédie est ballet, vous êtes un danseur. »
Chaplin a appris le violon, le violoncelle et le piano en autodidacte, comme il l’expliquait lui-même : « Depuis l’âge de seize ans, je m’exerçais de quatre à six heures par jour dans ma chambre. Chaque semaine, je prenais des leçons avec le chef d’orchestre du théâtre ou avec quelqu’un qu’il me recommandait. Comme je jouais de la main gauche, mon violon était cordé pour la main gauche avec la barre de basse et la tige de résonance inversées. J’avais de grandes ambitions : je voulais devenir concertiste ou, à défaut, intégrer ma pratique musicale dans un numéro de vaudeville, mais avec le temps, je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais atteindre l’excellence, et j’ai donc abandonné. »
Il joue même du violon dans deux films – The Vagabond (« Charlot musicien » en v.f.) en 1916 et Limelight (« Les Feux de la rampe » en v.f.) en 1952 –, mais au fil du temps, son intérêt pour la musique s’est déplacé vers la composition. Il a écrit des partitions magnifiques et évocatrices pour ses longs-métrages, et plus tard dans sa vie, il est retourné à la composition pour bon nombre de ses films qui étaient projetés à l’origine avec un accompagnement musical en direct. À un moment donné, il a même possédé une maison d’édition musicale qui publiait ses mélodies, dont « Oh, that cello ».
Un communiqué de presse du studio rédigé en 1917, tout juste après la fin du tournage de The Immigrant, déclarait : « Son passe-temps de prédilection, cependant, est le violon. Chaque moment libre hors du studio est consacré à cet instrument. Il ne joue pas à partir de notes, sauf dans de très rares cas. Il peut exécuter des extraits d’opéras populaires à l’oreille et, s’il est de bonne humeur, il peut reprendre la célèbre gigue irlandaise ou une sélection d’airs [afro-américains] avec la facilité d’un artiste de vaudeville. Chaplin admet qu’en tant que violoniste, il n’est pas un Kubelik ou un Elman, mais il n’en espère pas moins pouvoir donner des concerts un jour ou l’autre avant longtemps. »
L’idée de The Immigrant était d’ailleurs, au départ, une idée musicale. Comme il l’a écrit : « Même dans ces premières comédies, je m’efforçais d’établir une ambiance; généralement, elle venait de la musique. Une vieille chanson intitulée ‘Mrs Grundy’ a créé l’ambiance de The Immigrant. L’air, empreint de tendresse et de mélancolie, évoquait deux vagabonds solitaires qui se mariaient par un triste jour de pluie. »
Inspiré par cet air, Chaplin a conçu la scène du café de la seconde moitié de The Immigrant. L’un des luxes que lui autorisait son statut au sein des studios était qu’il pouvait filmer encore et encore, improvisant jusqu’à ce qu’il soit satisfait : cette scène a nécessité 384 prises (sa partenaire Edna Purviance serait même tombée malade d’avoir mangé autant de fèves au lard). Ce n’est qu’une fois la scène achevée, alors qu’il cherchait des idées pour une deuxième bobine, qu’il a inventé l’histoire du bateau. À la fin du tournage, il avait 40 000 pieds de film à réduire à 1 800, une tâche qui lui a pris quatre jours et quatre nuits.
Le film est devenu l’un des plus populaires de Chaplin, et son seul court-métrage sélectionné par la Library of Congress en 1998 pour être conservé dans le US National Film Registry pour « son importance culturelle, historique ou esthétique » – aux côtés de plusieurs de ses longs-métrages ultérieurs.
En 1917, à l’époque de la sortie de The Immigrant, les films étaient muets et accompagnés au piano, à l’orgue ou par tout un orchestre, selon la taille de la salle. L’accompagnement pouvait être entièrement improvisé ou suivre les indications fournies par la compagnie cinématographique – Chaplin les supervisait pour ses premiers films.
Tout a changé en 1927 avec la sortie du film The Jazz Singer (« Le chanteur de jazz » en v.f.), mettant en vedette Al Jolson. La nouvelle technologie permettait d’entendre parler les personnages, et la musique devenait partie intégrante du film. Les vedettes au physique avantageux mais affligées d’une voix grinçante se sont retrouvées brusquement au chômage (comme le parodie Singin’ in the Rain) et les instrumentistes qui travaillaient en grand nombre dans les cinémas ont également perdu leur emploi.
Chaplin a résisté. Il savait que la force du vagabond, qui l’avait fait aimer de l’Argentine au Zimbabwe, reposait sur sa capacité de s’exprimer sans parler. En 1928, il a commencé à travailler sur City Lights (« Les Lumières de la ville » en v.f.), un film muet mais pour lequel il a créé, pour la première fois, sa propre bande sonore (bien qu’Arthur Johnson l’ait beaucoup aidé). Il a fait un autre compromis avec Modern Times (« Les temps modernes » en v.f.), dont le tournage a commencé en 1934 : le film comporte plusieurs effets sonores, et Chaplin interprète une chanson dans un sabir volontairement incompréhensible à la fin.
Chaplin n’a jamais appris à lire la musique, mais dans ses partitions pour City Lights et Modern Times, il fait montre d’un sens inné de la cadence, du rythme et de l’architecture musicale, et d’une compréhension des relations entre le drame et la musique. Il écrit : « Je me suis efforcé de composer une musique élégante et romantique pour encadrer mes comédies, en contraste avec le personnage du vagabond, car ce type de musique conférait à mes films une dimension émotionnelle. Peu d’arrangeurs musicaux l’ont compris. Ils voulaient que la musique soit comique… Je voulais qu’elle soit un contrepoint de grâce et de charme. »
Si l’intrusion du son dans le cinéma posait un sérieux problème à Chaplin, cette innovation a aussi attiré à Los Angeles une pléiade d’artistes de la scène musicale du monde entier, qui fuyaient les persécutions nazies en Europe (Schoenberg, Korngold, Waxman, Rózsa, entre autres) ou d’autres régimes tyranniques (Stravinsky, Prokofiev, Rachmaninov) – ou qui voulaient seulement profiter des débouchés créés par ce nouveau marché.
L’ancien cockney autodidacte qui aspirait à la grande culture était comme un enfant dans un magasin de bonbons. Des artistes illustres s’arrêtaient souvent dans son studio situé sur Sunset Boulevard ou venaient dîner chez lui, et l’autobiographie de Chaplin regorge d’anecdotes savoureuses sur ces rencontres.
Il décrit en ces termes son dîner avec Rachmaninov chez le pianiste Horowitz : « Rachmaninov était un homme à l’allure étrange, à la fois esthète et replié sur lui-même... Quelqu’un a abordé le sujet de la religion et j’ai avoué que je n’étais pas croyant. Rachmaninov s’est vite interposé : ‘Mais comment pouvez-vous avoir de l’art sans religion?’ Je suis resté interloqué un moment. ‘Je ne pense pas que nous parlions de la même chose’, ai-je répondu. ‘Ma conception de la religion est la croyance en un dogme – et l’art est davantage affaire de sentiment que de croyance.’ ‘La religion aussi’, a-t-il rétorqué. Après ça, je me suis tu. »
Chaplin a failli produire un film avec Stravinsky, inventant à l’occasion d’un dîner avec le compositeur une Passion dans laquelle la crucifixion se déroulait dans une boîte de nuit, entourée d’une foule hurlante et d’hommes d’affaires qui tiraient profit du divertissement. La seule personne qui s’offusquait de la scène était un ivrogne, qui se faisait jeter dehors. « J’ai dit à Stravinsky : ‘ils le jettent dehors parce qu’il dérange le spectacle’. J’ai expliqué que situer une Passion sur la piste de danse d’une boîte de nuit, c’était montrer à quel point le monde est devenu cynique et conventionnel dans sa pratique du christianisme. Le visage du maestro s’est assombri. ‘Mais c’est un sacrilège!’ s’est-il offusqué. »
Stravinsky (qui avait écrit Le Sacre du printemps en 1913) changea ensuite d’avis et écrivit à Chaplin pour qu’il fasse le film, mais l’attention de ce dernier s’était tournée vers d’autres intérêts.
Il n’y a pas de références directes à Prokofiev dans les écrits de Chaplin, mais le compositeur le mentionne dans ses propres journaux intimes, évoquant une rencontre en France en 1931 : « Demain, nous dînons avec Charlie Chaplin. Je ne l’ai encore jamais rencontré. Ce sera intéressant de le voir. »
L’histoire de l’immigration de Chaplin aux États-Unis n’a pas connu une fin heureuse. Le 18 septembre 1952, à 63 ans, il s’embarque avec sa famille pour Londres afin d’assister à la première mondiale de Limelight. Le lendemain, le procureur général des États-Unis révoque son permis de rentrée, sous réserve d’un entretien sur ses opinions politiques et son comportement moral. Il était dans la mire de J. Edgar Hoover, directeur du Federal Bureau of Investigation, depuis 1922 – ses dossiers s’étendaient sur 1 900 pages.
Des séquences
Les interprétations visionnaires et les talents de compositrice exceptionnels de Gabriela Montero lui ont valu les éloges de la critique et un public dévoué sur la scène internationale. Anthony Tommasini écrivait dans le New York Times que « son interprétation a tout ce qu’il faut : une rythmique éclatante et grandiose, des nuances subtiles, une puissance d’acier… un lyrisme émouvant… une expressivité sans fleur bleue. »
Pour la saison 2023-2024. Gabriela Montero joue son propre concerto « Latin » lors d’une longue tournée aux États-Unis avec l’Orquesta Sinfónica de Minería de Mexico et Carlos Miguel Prieto, ainsi qu’avec le New World Symphony, l’Orchestre symphonique national de la radio polonaise, l’Orchestre symphonique d’Anvers et l’Orchestre du CNA, avec lequel elle poursuit jusqu’en 2025 son partenariat créatif fécond.
Célébrée pour son talent exceptionnel et son don de l’improvisation, Gabriela Montero s’est produite avec plusieurs des grands orchestres du monde entier, dont l’Orchestre philharmonique de New York, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, l’Academy of St Martin in the Fields et l’Orchestre symphonique Yomiuri du Japon. Diplômée et compositrice associée de la Royal Academy of Music à Londres, récitaliste et musicienne de chambre, elle a donné des concerts dans de hauts lieux dont le Wigmore Hall, Carnegie Hall, le Vienna Konzerthaus, l’Opéra de Sydney et la Salle de concert nationale de Taipei.
Cette artiste de studio à succès primée a récemment fait paraître un album sous Orchid Classics, où l’on trouve son propre Concerto pour piano no 1 (le concerto « Latin ») ainsi que le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel, enregistrés en compagnie de l’Orchestre des Amériques à Frutillar, au Chili. Sa première composition officielle, Ex Patria, était un poème tonal illustrant et dénonçant la descente du Venezuela dans le chaos, la corruption et la violence.
Lauréate du quatrième Prix international Beethoven, Gabriela Montero est une grande défenseuse des droits de la personne dont la voix s’élève bien au-delà des salles de concert. Elle a aussi reçu le Prix Rockefeller 2012 pour sa contribution aux arts et a joué lors de l’investiture de Barack Obama en 2008.
THE IMMIGRANT (L’émigrant) a été restauré par la Fondazione Cineteca di Bologne et Lobster Films, à partir d’un contretype safety plein cadre de la colelction Backhawk Films (merci au MOMA), conservé à l’AMPAS.
Les intertitres ont été reconstruits d’après des cartons Mutual originaux d’époque.
Les éléments survivants proviennent de deux négatifs distincts. Le Négatif A a été utilisé autant que possible, le négatif B servant à reconstruire les plans manquants ou trop endommagés.
Scan : Technicolor Digital Services, Hollywood, 2011
Restauration : L’Immagine ritrovata laboratory, 2012
Restauré par Lobster Films et Cineteca di Bologna sous l’égide de l’Association Chaplin
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre