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Dernière mise à jour: 26 avril 2022
Corinne et son mari médecin, Richard, ont emménagé à la campagne, comme pour fuir un passé qu’eux-mêmes cernent mal. Dans une ambiance qui aurait dû – dans leurs fantasmes – être champêtre, la jeune et troublante Rebecca, par sa présence au milieu de la nuit, lézarde leur monde fragile.
Corinne, Rebecca et Richard se regardent, mais ne se voient pas. Leurs yeux glissent sur l’enveloppe. Ils sentent à peine les bas-fonds qui pourtant ne cessent de se manifester.
Et dans la pénombre, il y a des seringues, un châle et une sacoche. Il y a aussi des souliers, une roche, des enfants qui ne se doutent encore de rien, et des malades qui meurent de solitude. Et ça craque, tout autour, et il vente, dehors, dans une nuit poisseuse qui n’en finit plus, malgré le soleil qui se lève lentement et qui, un peu, aide à la simulation. Parce que c’est justement ce qu’ils font, simuler, en s’y accrochant comme un héroïnomane à sa dose, comme nous tous à nos vies étroites et fragiles, sans vouloir entendre le monde qui gronde.
En 2005, au MAI (Montréal, arts interculturels), Jérémie Niel signe l’acte de naissance de sa compagnie, Pétrus, avec la création de La campagne, de l’auteur britannique Martin Crimp. Avec ce spectacle, le metteur en scène jette les bases d’une esthétique étonnamment cohérente, centrée sur une rigoureuse démarche d’exploration formelle qui s’adresse à la sensorialité du spectateur.
En 2016, il remonte La campagne, cette fois au Prospero, en collaboration avec le Groupe de la Veillée. « C’est de là que tout part. C’est une pièce qui m’habite depuis ; même dans les projets sans réel texte que j’ai pu monter par la suite, le fantôme de Crimp n’était jamais loin. » (Le Devoir)
Aujourd’hui, en 2022, Jérémie Niel présente en primeur au CNA une production inédite de ce qu’il appelle sa « pièce d’origine », avec une comédienne du projet original, Delphine Bienvenu, et deux nouveaux interprètes, Mathieu Gosselin et Chloe Giddings.
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Delphine Bienvenu, dans le rôle de Corinne
Mathieu Gosselin, dans le rôle de Richard
Chloe Giddings, dans le rôle de Rebecca
Martin Crimp est publié et représenté par L’Arche, éditeur & agence théâtrale.
Martin Crimp naît le 14 février 1956 à Dartford, dans le Kent. Élevé à Londres et dans le West Yorkshire, il fait ses études à l’Université de Cambridge, où il démontre des aptitudes pour les langues, la musique et la littérature anglaise. C’est là qu’il écrit en 1978 sa première pièce, Clang, inspirée par les univers de Beckett et d’Ionesco.
Il est l’auteur d’une vingtaine de pièces, dont Le traitement (1993), Atteintes à sa vie (1997), La campagne (2000), Face au mur (2002), Tendre et cruel, d’après Les Trachiniennes de Sophocle (2004), Dans la République du bonheur (2012) et Le reste vous le connaissez par le cinéma (2015) – laquelle a été présentée au CNA en novembre 2018 dans une mise en scène de Christian Lapointe. Elles sont jouées à Londres, à New York, à Montréal, à Québec, ainsi qu’en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et en Italie. En 1993, Crimp obtient le John Whiting Award for Drama pour sa pièce The Treatment (Le traitement).
Il est considéré comme un des auteurs les plus novateurs de sa génération. Figure essentielle du théâtre postdramatique en Angleterre, il n’a cessé de questionner la forme afin de redonner au théâtre une place dans un monde qui semblait ne plus lui en laisser. Ses pièces dressent le portrait d’une société contemporaine occidentale, consommatrice et centrée sur elle-même, qui se veut parfaite – saine, prospère et performante – mais sous le masque de laquelle se creusent de graves problèmes. L’univers de Crimp présente souvent des êtres troublés qui ont du mal à définir leur identité et qui entretiennent entre eux des rapports de force, des jeux de pouvoir et d’abus, de manipulation ou de dépendance.
Sous la plume de Crimp, le réel est déformé – exagéré – de façon à créer un effet d’étrangeté dans le regard du spectateur. L’univers est malsain, parfois cruel ou choquant, mais toujours empreint d’ironie (voire d’humour). Le théâtre qu’il propose est parfois énigmatique tant les notions d’histoire et de personnages sont évincées. Toutefois, sa langue est celle de la « vie normale » avec son rythme, ses répétitions et ses pauses.
On peut dire de Martin Crimp qu’il est un auteur critique. Cependant, il n’énonce pas d’opinion à proprement parler avec ses pièces. Au contraire, il travaille plutôt à déjouer les partis pris en considérant le monde dans toutes ses contradictions ; il utilise des stéréotypes déjà existant et les dégénère afin qu’ils parlent d’eux-mêmes.
Ce texte de présentation de l’auteur a été écrit par Sophie Devirieux.
Diplômé en mise en scène du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Jérémie Niel fonde la compagnie Pétrus en 2005 et en assure depuis la direction artistique et générale. Au sein de cette structure souple, il poursuit une rigoureuse démarche d’exploration formelle qui s’adresse à la sensorialité du spectateur. Sculptant la pénombre, déployant, dans une temporalité dilatée, de saisissants paysages sonores transpercés de silence, il fait de chaque pièce un univers hypnotique, nimbé d’une douce étrangeté, aux frontières du théâtre, de la danse, de la musique et des arts visuels. Poète de la réalité décentrée, il s’attache à révéler, en sondant l’envers des mots et des gestes, les zones d’ambiguïté et d’incertitude de la psyché humaine.
Jérémie Niel a mis en scène plus d’une douzaine d’œuvres qui ont été présentées à La Chapelle Scènes Contemporaines, au Festival TransAmériques, à l’Usine C, au Théâtre Prospero, à l’Agora de la danse, au Théâtre de Quat’Sous, au Centre national des Arts et au Théâtre national de Chaillot à Paris. Outre les activités de Pétrus, il collabore régulièrement, à l’invitation de différents producteurs, à la création de nombreux projets avec d’autres compagnies en théâtre, en danse et en musique, notamment avec les groupes We are Wolves et Dear Criminals. Depuis 2016, il fait partie du comité d’artistes associés au Théâtre de Quat’Sous.
Intérieur. Nuit.
Richard et Corinne.
Un temps.
Elle se met à rire.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- T’aurais dû te voir.
- Quoi, quand ça ?
- Quand t’es rentré. T’aurais dû te voir quand t’es rentré, avec la fille dans tes bras.
- Ah oui ? Qu’est-ce que j’avais ?
- Tu souriais.
- Comment ça, je souriais ?
- Aucune idée : t’étais là, avec une fille dans tes bras, pis tu souriais. Je me suis dit : ah ben, regardez-le, on dirait qu’il a perdu son sens de l’humour. On dirait qu’il a perdu son fameux / sens de l’humour.
- Mais en fait, non.
- En fait, non.
- En fait, mon fameux sens de l’humour est à toute épreuve.
- En fait — oui —, ton fameux sens de l’humour est / à toute épreuve.
- Tu me le dirais, hein ? Tu me le dirais si t’avais l’impression que j’avais fait quelque chose de mal ?
- Non non non, ce que t’as fait…
- Merci.
- Ce que t’as fait… si c’est mal ? Non.
- Merci. / Bon.
- T’as fait exactement… T’as fait exactement ce que quelqu’un aurait fait.
- On peut pas laisser les gens sur le bord de la route.
- Non, c’est vrai.
- On est pas en ville.
- Je comprends.
- On est pas en ville, tu peux pas juste…
- Je comprends.
Un temps.
Traduction de Guillaume Corbeil
Réalisée par Jérémie Battaglia, la série vidéo Portrait(s) : le théâtre à l’avant-plan ramène sur scène des artistes de la saison 2021-2022 du Théâtre français.
Brigitte Haentjens et Mani Soleymanlou ont rencontré Jérémie Niel le temps d’une riche entrevue autour de sa démarche artistique et de son travail de mise en scène sur la pièce de Martin Crimp.
Laissez-vous plonger dans l’univers étrange et troublant de La campagne en cliquant ici.
« Avec La campagne, je découvre le brouillard, que j’aime tant dans mes spectacles. Je découvre le doute. Je découvre la complexité du non-dit. Je découvre les éclairages sombres. Je découvre le jeu introverti. Je découvre tout, en fait, avec cette pièce-là. »
Jérémie Niel
Pétrus constate, en retrait, jauge le monde, mais ne le juge pas, et tente d’en tirer un sens esthétique, à défaut de pouvoir le comprendre. Pétrus ne montre aucune direction, il propose une interprétation artistique du désarroi face à la multitude des routes empruntables. Il lui semble que rien n’est plus riche que le vertige métaphysique de notre finitude, désespérante et pourtant belle parce qu’éternellement mystérieuse. C’est de ce vertige qu’il tire les thèmes qui animent ses œuvres ; le sens d’une vie vouée à la mort, la solitude et l’errance qui en découlent, l’impuissance face à ce destin funeste d’animal conscient, la complexité de l’humain révélée par cette errance. Pétrus danse sur la corde hélas tendue entre émotion et intelligence pour provoquer un semblant de trouble derrière les masques, pour essayer.
Pétrus crée, produit et diffuse des œuvres scéniques contemporaines. Pétrus a été fondé à Montréal en 2005 par Jérémie Niel.
Jérémie Niel : directeur artistique et général
Kevin Bergeron : directeur administratif et du développement
Ariane Fontaine : communications
Valérie Grig – RuGicomm : relations de presse
Baignant dans le théâtre depuis son enfance, Jérémie Niel a étudié les sciences, l’histoire, les sciences politiques avant d’entrer au Conservatoire d’art dramatique de Montréal pour y suivre une formation de mise en scène. Il fonde en 2005 sa compagnie, Pétrus. À travers ses mises en scène au croisement du théâtre, de la danse, de la musique et des arts visuels, il déploie des univers hypnotiques qui s’adressent directement à la sensorialité du spectateur.
Attiré par une multitude de formes et de médiums, il a collaboré avec la compagnie de danse La 2e Porte à Gauche ainsi qu’avec les groupes de musique We are Wolves et Dear Criminals. Depuis 2016, il fait également partie du comité d’artistes associés au Théâtre de Quat’Sous.
Sur scène, Delphine Bienvenu a interprété tant les classiques (Les trois sœurs de Tchekhov, Les jumeaux vénitiens de Goldoni) que des créations (L’éblouissement du chevreuil d’Evelyne de la Chenelière, 4 fois Mélanie 1/2 de Justin Laramée, Théâtre extrême de Jean-Guy Legault, Chante avec moi d’Olivier Choinière) et des textes du répertoire contemporain (La campagne de Martin Crimp).
Bilingue, elle a joué dans la version anglaise de Félicité (Bliss) d’Olivier Choinière, ainsi que dans The Bacchae, Blind et Motherhouse de David Fennario, au Centaur Theatre. Membre de différentes ligues d’improvisation, elle a sauté dans l’arène durant sept saisons avec la Ligue nationale d’improvisation avant d’y devenir entraîneuse.
Au cinéma, elle a fait partie de la distribution de plusieurs films, notamment À trois, Marie s’en va d’Anne-Marie Ngô, Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur et Ceci n’est pas un polar de Patrick Gazé.
Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Mathieu Gosselin s’illustre sur la scène culturelle comme acteur et auteur. Il a joué dans plusieurs pièces, dont Venise-en-Québec d’Olivier Choinière, Bob de René-Daniel Dubois et Suprême deluxe de Sébastien Dodge. Il a aussi fait partie de la distribution de Caligula (remix), sous la direction de Marc Beaupré, et de la pièce Des souris et des hommes, mise en scène par Vincent-Guillaume Otis. Il a en outre collaboré avec le Théâtre de la Pire Espèce pour Ubu sur la table et Persée, dont il est également le coauteur.
Mathieu Gosselin a été interprète dans J’aime Hydro, tant sur scène que dans les versions vidéo et audio. Récemment, il a porté sur les planches de La Licorne son propre texte solo, Gros gars, prise de parole poétique et analogique.
Au petit écran, il a joué dans différentes séries (Série noire, Le Phoenix, C’est pour ça que je t’aime et M’entends-tu ?) et, au cinéma, dans le populaire film Starbuck, réalisé par Ken Scott.
Diplômée d’abord en interprétation du John Abbott College, Chloe Giddings a ensuite étudié à l’École nationale de théâtre du Canada. Bilingue, elle débute sa carrière dans les deux langues. Elle a travaillé avec Mani Soleymanlou et Jérémie Niel (la Jeune Troupe du Quat’Sous), ainsi qu’avec Zach Fraser et Sophie Gee pour la 2Play Tour de Geordie Theatre.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre