≈ 2 heures · Avec entracte
Dernière mise à jour: 9 mars 2020
C’est une œuvre pleine de nostalgie. Elle exhale le parfum des siècles passés, dans le baroque grandiose de l’introduction qui l’amorce, puis dans le thème mélancolique, faisant écho à un hymne ancien – à moins qu’un air folklorique n’y soit dissimulé? L’œuvre joue sur une certaine ambivalence, donnant l’impression qu’aller de l’avant est trop dangereux, mais que revenir en arrière est aussi un chemin semé d’embûches… La musique qui en résulte, qui menace tant de fois de sombrer dans la tragédie, ne s’allège qu’à six mesures de la fin, avec un accord massif de do majeur qui nous mène à la triomphale conclusion.
La Cinquième symphonie de Beethoven est particulièrement chère au cœur des trombonistes. C’est l’un des plus anciens exemples d’intégration du trombone dans l’univers symphonique. C’est une œuvre dans laquelle le trombone solo, après avoir attendu patiemment (et non sans appréhension) pendant les trois premiers mouvements, entame le quatrième mouvement sur un do aigu, et doit « accrocher » ostensiblement, peu après, la note la plus élevée de tout le répertoire orchestral pour trombone – un fa aigu, presque une octave et demie au-dessus du do central. C’est comme un rêve qui se réalise!
Une vieille plaisanterie circule sur la place du tromboniste dans l’orchestre : « Un ennui mortel entrecoupé de moments de pure terreur. » Dans le cas de cette pièce, la boutade n’est certainement pas sans fondement. Néanmoins, l’attitude revêt tant d’importance dans ce boulot que je préfère me plonger dans la sublime musique des trois premiers mouvements, tout en me préparant à livrer une prestation à la hauteur. Il n’y a pas beaucoup de notes pour le trombone, en comparaison aux violons, mais ici, la qualité prime nettement sur la quantité! C’est un honneur et un privilège d’avoir pu interpréter cette pièce à maintes reprises au fil de mes 35 ans avec l’Orchestre du CNA.
J’associe toujours la Cinquième de Beethoven avec le CD Beethoven Lives Upstairs de Classical Kids, que j’ai tant écouté dans mon enfance. Aujourd’hui encore, je peux entendre les récits de la vie de Beethoven qui s’entremêlent aux thèmes de sa symphonie emblématique, à mesure que je la joue. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre « éprouvée » de mon répertoire, elle pose toujours les mêmes défis – exigeant par moments une délicatesse et un équilibre parfaits, et ailleurs, une énergie et une puissance inouïes. Ce concert revêt une saveur particulière pour moi, non seulement parce que c’est le genre de moment musical qui est la raison d’être des altistes, mais aussi parce que la dernière fois que j’ai interprété cette œuvre, c’était ici même, sur la scène de la Salle Southam, pour la ronde finale de mon audition d’entrée à l’Orchestre du CNA, il y a environ un an. Quelle joie de pouvoir la jouer pour vous ce soir avec l’orchestre tout entier!
« L’oubli mène à l’exil; la mémoire est le secret de la rédemption », disait le mystique juif du XVIIIe siècle Ba’al Shem Tov. Cet énoncé saisissant apparaît des plus à-propos alors que l’Orchestre du Centre national des Arts présente ce soir un concert pour commémorer le 75e anniversaire de la libération des Pays-Bas grâce aux forces armées du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale, et célébrer en musique le lien privilégié qui continue d’unir les deux pays.
Dirigé par Jessica Cottis, ce programme s’articule en deux parties qui suivent des trajectoires psychologiques similaires, pouvant être interprétées sous l’angle du souvenir menant à la rédemption, au soulagement et au renouveau. La première partie met à l’honneur trois œuvres de compositeurs néerlandais, et s’ouvre sur Thème avec variations pour orgue d’Hendrik Andriessen (1949), interprété par Thomas Annand. Andriessen a écrit cette œuvre puissante après avoir été empêché de composer pendant l’occupation allemande des Pays-Bas parce qu’il avait refusé, en signe de résistance, de rejoindre la Kultuurkamer. La deuxième pièce au programme est la Symphonie no 2 (« Journaux de guerre d’enfants », 2010–2019) du compositeur néerlando-canadien Jaap Nico Hamburger. Celui-ci a puisé son inspiration dans les journaux intimes de cinq adolescents assassinés pendant la guerre, et dans une visite faite avec sa mère, une survivante de plusieurs camps de la mort nazis, au Mémorial des enfants de Yad Vashem, à Jérusalem.
Pour succéder au mémorial musical d’Hamburger, la première partie du concert se conclut sur une œuvre qui célèbre l’amitié : le double concerto de Michel van der Aa intitulé akin (2018–2019). Dans ce concerto, la relation entre les parties solistes, interprétées ce soir par les musiciennes néerlandaises Simone Lamsma et Harriet Krijgh, « n’est ni contrapunctique ni conflictuelle […] », souligne le compositeur, mais bien plus « une conversation animée entre bons amis », dans laquelle l’orchestre est l’alter ego des solistes jumelés.
Avec sa Symphonie no 5 (1804–1808), Beethoven a créé une œuvre phare dans laquelle il a ouvert à la symphonie classique tous les possibles du champ narratif. Il a recours, ici, aux éléments constitutifs de la musique elle-même pour entraîner l’auditeur dans un parcours qui va de l’ombre à la lumière; la mémoire est même évoquée dans un passage du quatrième mouvement, avant le triomphe final contre l’adversité. La force du message de la Cinquième explique pourquoi son célèbre motif d’ouverture est devenu un signal de ralliement pour les Forces alliées de la Deuxième Guerre mondiale – et pourquoi cette symphonie demeure, aujourd’hui encore, l’une des compositions pour orchestre les plus populaires et appréciées du répertoire.
Hannah Chan-Hartley
Hannah Chan-Hartley, docteure en musicologie, œuvre dans la sphère publique en tant qu’écrivaine, conférencière et chercheuse. Twitter : @hanchanhartley
Haarlem, Pays-Bas, 17 septembre 1892
Haarlem, Pays-Bas, 12 avril 1981
Hendrik Andriessen appartenait à une illustre lignée de compositeurs néerlandais qui comprenait son père et son frère Willem, et aujourd’hui ses fils, Jurriaan et Louis. De son vivant, il était considéré comme l’un des plus éminents organistes des Pays-Bas, ayant détenu des chaires prestigieuses à l’église Saint-Joseph de Haarlem, puis à la cathédrale d’Utrecht. Écrivant dans un style singulier qui associait la musique du début du Moyen Âge aux techniques de composition modernes, il a créé un catalogue d’œuvres si influentes qu’elles ont orienté l’évolution de la musique néerlandaise au XXe siècle.
À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, au cours de laquelle son refus d’adhérer à la Kultuurkamer avait sérieusement limité ses activités artistiques, Andriessen a composé Thema met variaties pour orgue en 1949, au cours d’une période particulièrement productive. L’œuvre est dédiée à Lady Susi Jeans (1911–1993), une organiste autrichienne à laquelle il avait rendu visite en Angleterre au cours de l’été de la même année. L’œuvre porte toutes les marques du style du compositeur : à la suite d’une introduction majestueuse, le thème, une mélodie modale descendante, est exposé dans un dépouillement contemplatif, après quoi il est ingénieusement développé sous forme de variations, où Andriessen fait montre de ses talents d’improvisateur renommé. La pièce se construit graduellement sur chacune des variations successives – par l’ajout du contrepoint et des harmonies polytonales (ces dernières faisant écho à la musique de César Franck et d’Anton Bruckner, deux compositeurs-organistes qu’Andriessen admirait) – jusqu’à son impressionnante conclusion, alors que le mode mineur s’illumine, à la fin, d’un ultime accord en majeur.
– Note de programme d’Hannah Chan-Hartley
Amsterdam, Pays-Bas, 1957
Habite aujourd'hui à Vancouver, Colombie-Britannique, Canada
« L’oubli mène à l’exil; la mémoire est le secret de la rédemption. » Ces mots du mystique juif Ba’al Shem Tov ornent la sortie du Mémorial des enfants de Yad Vashem, à Jérusalem, que Jaap Nico Hamburger a visité en 2010 avec sa mère, alors âgée de 89 ans, pour présenter l’autobiographie qu’elle venait de publier sur ses expériences à Auschwitz et dans plusieurs camps de la mort nazis. La visite du Mémorial, qui rend hommage aux quelque 1,5 million d’enfants juifs assassinés pendant la Shoah, a particulièrement bouleversé le compositeur. Une dizaine d’années plus tôt, il avait lu le recueil de Jacob Boas Nous en sommes témoins. Cinq journaux intimes d’adolescents qui sont morts dans l’Holocauste. Le souvenir de ces journaux de David Rubinowicz, Yitzhak Rudashevski, Moshe Zh’ev Flinker, Eva Heyman et Anne Frank, allié à son sentiment d’avoir été, comme il le dit lui-même, « accablé par la brutalité [qu’évoque le] Mémorial des enfants, en quittant l’édifice, et en plongeant dans le jour éclatant de soleil à Jérusalem [ont éveillé en lui] les contours d’une nouvelle œuvre symphonique ». Le compositeur ajoute : « Je suis rentré chez moi et je l’ai écrite. »
Composée pour orchestre de chambre, la symphonie se caractérise pas ses textures cristallines et le recours à un large éventail d’instruments à percussion pour produire un effet évocateur. La musique est empreinte d’une certaine candeur, comme si on « entendait » la guerre à travers des oreilles d’enfants, ce qui ne la rend que plus sombre et troublante, compte tenu des atrocités dont ils ont été témoins, à mesure que leurs villes et leurs villages – situés, dans le cas des diaristes adolescents, en Pologne, aux Pays-Bas, en Lituanie et en Hongrie – étaient envahis et occupés par les troupes d’Hitler.
Le premier mouvement, avec son dynamisme entraînant, évoque la peur et la terreur devant l'imminence de la guerre; dans le deuxième, le bugle, puis l’alto et le violoncelle expriment l’angoisse et le désarroi. Selon Hamburger lui-même, la vie de famille est évoquée une dernière fois dans un émouvant trio pour piano (enfant), violon (mère) et violoncelle (père) au troisième mouvement. Ce climat se maintient dans le mouvement suivant avec un douloureux choral des cordes et du piano, magnifié plus tard par la trompette, les cors et le basson, et encadré de murmures. Dans le finale, le sentiment d’urgence et les couleurs orchestrales du premier mouvement reviennent, mais se résolvent à la fin dans une jubilation pleine de défi, qui témoigne de l’incapacité des aspects les plus sombres de la nature humaine à détruire l’humanité en nous.
– Note de programme d’Hannah Chan-Hartley
« Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert; j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi; je ressens la souffrance de millions de personnes, et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que cette brutalité aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. En attendant, je dois garder mes pensées à l’abri, qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir! »
— ANNE FRANK Journal, entrée du 15 juillet 1944 (traduction de Philippe Noble et Isabelle Rosselin-Bobulesco,
Anne Frank : L'intégrale, Éditions Calmann-Levy, 2017)
par Hannah Chan-Hartley
Quelles sont vos principales influences et sources d’inspiration comme compositeur?
Mes influences et mes sources d’inspiration fluctuent énormément – en fait, elles changent chaque semaine. Je m’intéresse à un grand nombre de disciplines artistiques et chacune d’elles, à sa façon, m’influence ou m’inspire. J’adore le théâtre, le cinéma, la danse et les arts visuels, et j’écoute beaucoup la musique de mes pairs. Mes goûts musicaux sont assez éclectiques – j’écoute de la musique classique contemporaine, des musiques du monde, de la pop indie et de l’électro.
Comment voyez-vous le rôle et les responsabilités (artistiques, politiques, sociales) du compositeur aujourd’hui? Comment intégrez-vous ces objectifs à votre démarche?
Je me considère comme un humaniste à cet égard. Il est rare que mes œuvres aient une thématique politiquement ou socialement chargée, mais j’aborde des sujets humains au sens large, comme la solitude, l’anxiété et le sentiment d’aliénation. Un thème récurrent dans mes opéras et mes pièces instrumentales est l’aspiration de chacun à entrer en contact avec les autres. J’aborde souvent cette question sous l’angle du rapport entre un individu, ou quelques-uns, et leur environnement immédiat.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre méthode de composition?
Je suis enclin à associer la composition « à l’ancienne », avec plume et papier et essais au piano, à l’emploi d’un ordinateur. Si je travaille avec des instruments électroacoustiques, j’utilise l’ordinateur pour les intégrer et les minuter. Pour l’opéra, j’aime à m’asseoir au piano en m’efforçant de fredonner les lignes mélodiques. Pour les œuvres conceptuelles et instrumentales, je tâche d’écrire directement sur papier, souvent à la main.
Quelle est l’importance, à vos yeux, de collaborer avec les artistes qui interprètent vos œuvres? Quel sens revêt pour vous le mot « interprétation »?
C’est pour moi d’une importance cruciale, surtout quand j’écris des concertos pour instruments solos, ou avec des chanteurs précis en tête pour mes opéras. Je choisis mes collaborateurs parce qu’ils m’inspirent à écrire pour leur instrument ou leur voix. C’est souvent l’interprète qui vient en premier, puis son instrument ou sa voix. Bien entendu, une fois que la pièce est composée, je n’ai absolument aucune objection à ce que d’autres la jouent, mais au moment de l’écrire, il me faut une muse pour être véritablement inspiré par les interprètes eux-mêmes.
Comment voyez-vous le rapport de l’auditeur à votre œuvre?
Quand j’écris, je m’efforce d’être moi-même – je n’ai pas d’autres critères que mes propres goûts. Une fois l’œuvre achevée, je fais tout ce que je peux pour la faire connaître du plus large public possible, et la réaction de l’auditoire ne m’importe pas moins à cet égard. Évidemment, si un auditoire apprécie l’œuvre, je m’en réjouis, mais cela n’entre guère en considération dans ma démarche créatrice : lorsque je compose, je ne pense pas beaucoup à l’auditoire, et je n’écris jamais en fonction d’un public précis.
Décrivez cette œuvre à l’aide de trois à cinq adjectifs.
Théâtrale. Audacieuse. Une discussion animée et passionnée entre bons amis.
Décrivez vos ambitions artistiques pour cette composition.
Cette pièce porte en grande partie sur les liens de parenté qui unissent les deux instruments solistes, de même que les solistes et l’orchestre. Dans leurs échanges, je vois les solistes comme s’ils formaient une seule voix, un peu à la manière de jumeaux. Mais tout comme les jumeaux, chacun possède sa personnalité propre et ses enjeux particuliers.
Initialement, akin a été écrit pour la violoniste Patricia Kopatchinskaja et la violoncelliste Sol Gabetta. Dans quelle mesure ces musiciennes en ont-elles influencé la composition?
Patricia et Sol sont des interprètes que j’adore, tant pour leur approche de l’œuvre que pour la théâtralité de leur jeu. Quand je les vois sur scène, je crois en ce qu’elles font, en leur façon de jouer. Comme auditeur, elles me happent dans leur sphère. Je trouve leur amitié et la chimie qui opère entre elles des plus inspirantes.
Savoir que Simone Lamsma et Harriet Krijgh vont interpréter cette œuvre à Ottawa me remplit de bonheur et d’enthousiasme. Il est toujours intéressant pour moi d’entendre différents musiciens jouer mes œuvres, parce que chacun fait les choses à sa façon et me donne, par le fait même, de nouvelles idées. Chaque interprète apporte sa touche personnelle à la pièce.
Quel rôle joue l’orchestre dans cette œuvre?
L’orchestre ne se limite pas à accompagner les deux solistes : il joue un rôle à part entière. Par moments, les solistes injectent leur énergie à l’orchestre, et celui-ci l’élève à un niveau supérieur. Il y a donc un dialogue en cours, mais l’orchestre a aussi une voix qui lui est propre, et certains passages lui sont exclusivement réservés.
VERS QUOI FAUT-IL TENDRE L’OREILLE?
(minutages approximatifs)
« Le premier mouvement se développe à partir d’une ouverture intimiste, encapsulant l’énergie tel un incubateur, tandis que le deuxième est beaucoup plus énergique et virtuose, comme si la valve d’un autocuiseur relâchait la pression. » – Michel van der Aa
I.
0:00 | Introduction calme et contemplative, deux harpes.
0:25 | Entrée du violon solo, puis du violoncelle solo, en un duo lyrique; la texture orchestrale s’étoffe graduellement.
2:25 | Mouvement ascendant, énoncé par le violoncelle, amorçant le dialogue avec le violon.
2:55 | Retour du duo lyrique, qui s’intensifie.
4:05 | Section animée avec échange rapide de notes répétées entre les solistes et les cordes.
5:20 | Retour du duo lyrique, soutenu par les cordes.
7:25 | Le tempo s’accélère; les solistes dialoguent ensemble avec l’orchestre.
9:15 | Sujet dynamique et rythmé joué ensemble par le violon et le violoncelle, et par l’orchestre; le sujet atteint son paroxysme.
10:10 | Passage semblable à une cadence pour violon et violoncelle avec incursions des cordes.
10:55 | Retour final du duo lyrique qui s’évanouit sur un carillon.
II.
13:10 | Duo violon et violoncelle exigeant, virtuose.
16:30 | Épisode orchestral avec accords des cuivres.
16:45 | Reprise du duo violon et violoncelle.
18:00 | Les solistes dialoguent avec les cordes.
19:00 | Épisode orchestral, avec nappes de cuivres évoquant un choral.
19:45 | Retour du violon et du violoncelle dans un duo dynamique.
21:05 | L’orchestre prend le dessus; les solistes se fondent dans la texture sonore.
22:10 | L’intensité diminue, épisode lyrique pour le violon et le violoncelle.
23:20 | Regain d’énergie avec un mouvement ascendant du violon; effet propulsif.
24:35 | L’orchestre atteint progressivement un paroxysme… mais le dernier mot revient au violon et au violoncelle.
Bonn, Allemagne, 17 décembre 1770
Vienne, Autriche, 26 mars 1827
« C’est irrésistible comme cette magnifique œuvre transporte l’auditeur à travers des climats grandissant jusqu’au royaume spirituel de l’infini », écrivait E.T.A. Hoffmann à propos de la Symphonie no 5 de Beethoven en 1810. L’œuvre avait été créée deux ans plus tôt, le 22 décembre, au Theater an der Wien et y avait reçu un accueil assez tiède; sans aucun doute, le contexte dans lequel ce concert a eu lieu – à commencer par sa longueur excessive (le programme, étalé sur plus de quatre heures, comportait également la création de la Symphonie no 6 et de la Fantaisie chorale, ainsi que le Concerto pour piano no 4, interprété par Beethoven lui-même, et des extraits d’œuvres diverses), en plus du froid mordant qui régnait dans la salle et du manque de préparation de l’orchestre – a contribué à cet accueil mitigé. Toutefois, après la parution de la critique historique d’Hoffmann, l’avis général sur la Cinquième a changé; l’œuvre n’a pas tardé à s’imposer comme un pilier du répertoire classique, titre qu’elle a conservé jusqu’à nos jours. Elle demeure l’une des symphonies les plus jouées, et continue de faire affluer les auditoires dans les salles de concert du monde entier.
Que l’on entende cette symphonie pour la première ou la énième fois, on ne peut qu’être saisi par l’explosive ouverture du premier mouvement avec son célèbre motif « brève-brève-brève-longue », dit du « destin frappant à la porte ». À partir de cette semence, l’Allegro con brio se propulse avec une furieuse énergie, se développant de façon quasi organique. Le motif devient obsessionnel et réapparaît dans les mouvements subséquents sous divers aspects : sous forme de second sujet triomphal, exposé par les cors et les trompettes dans le deuxième mouvement; sous les habits d’une marche militaire, également entonnée par les cors, dans le scherzo; et en tant que sujet vivement contrasté, joué par les violons, dans le finale.
En dernière analyse, la force de la Symphonie no 5 qu’Hoffmann évoque avec tant d’enthousiasme tient à la façon dont Beethoven dépeint la trajectoire du triomphe sur l’adversité au fil des quatre mouvements de l’œuvre. En effet, le motif « brève-brève-brève-longue » n’est que l’un des nombreux moyens auxquels le compositeur a recours pour les relier entre eux en une trame narrative cohérente. Un autre est l’usage qu’il fait du mode, depuis le pathos et le drame tempétueux de la tonalité de do mineur dans les premier et troisième mouvements, qui encadrent un mouvement lent lyrique en la bémol majeur, jusqu’au jubilatoire do majeur du finale. Qui plus est, le triomphe de la tonalité de do majeur est préfiguré dans chaque mouvement : dans la reprise du second sujet du premier, dans le sujet lumineux du deuxième et dans l’énergique trio du troisième. Une transition merveilleusement insolite qui relie directement le troisième mouvement au quatrième – amorcé par les timbales qui tapent le motif principal sur un do grave, par-dessus un long la bémol des violoncelles et des contrebasses – intensifie encore la progression dramatique vers la résolution finale. Cependant, même au cœur de l’exubérance de l’Allegro final, Beethoven nous rappelle brièvement, dans un rappel du thème de « marche » du scherzo, la détresse exprimée par la tonalité plus sombre de do mineur, avant l’ultime délivrance en pleine lumière, sur laquelle nulle ombre ne pèse plus, jusqu’à l’extatique conclusion de la symphonie.
– Note de programme d’Hannah Chan-Hartley
LE « V » DE LA VICTOIRE DE BEETHOVEN
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le motif d’ouverture de la Cinquième de Beethoven est devenu un puissant symbole pour les Forces alliées. Elles ont opté pour ce motif musical comme signal de ralliement en raison de sa ressemblance, purement circonstancielle, avec le symbole de la résistance, « V » (pour Victoire), en code Morse : trois points et un trait. Dans le cadre de la « campagne des V », une carte postale « V pour la Victoire » a été produite avec la notation musicale de ce motif, surmontée des drapeaux des Alliés.
La cheffe d’orchestre Jessica Cottis est reconnue pour sa programmation captivante et originale et son leadership musical inspirant. Cette communicatrice née décrite comme « flegmatique, très éloquente et intéressante » (The Scotsman) a fait sa marque parmi ses compatriotes australiens et est sollicitée par les orchestres du monde entier.
Cette saison 2024-2025 marque ses débuts très attendus avec l’Orchestre philharmonique de Turku et la poursuite de ses collaborations avec l’Orchestre du Centre national des Arts à Ottawa, l’Orchestre symphonique d’Edmonton, l’Orchestre symphonique du Queensland, l’Orchestre symphonique de Gävle, l’Orchestre de chambre d’Uppsala, l’Opéra Britten Pears, la Philharmonie Luxembourg pour la création d’œuvres de Tonia Ko et Larry Goves, et la Sinfonietta de Bâle dans un programme d’œuvres contemporaines écrites par des femmes.
Jessica Cottis amorce une deuxième saison comme partenaire artistique du Västerås Sinfonietta en Suède et reprend son rôle de cheffe d’orchestre principale et de directrice artistique avec l’Orchestre symphonique de Canberra pour une quatrième saison. Sous sa conduite visionnaire, cet ensemble a lancé plusieurs initiatives majeures et primées, dont d’importantes commandes, des collaborations avec des artistes autochtones et des activités de promotion d’œuvres australiennes.
S’attirant des éloges pour sa grande curiosité musicale et son affinité pour la création, Jessica Cottis a dirigé des productions opératiques contemporaines estimées, dont The Handmaid’s Tale de Poul Ruders à l’Opéra royal du Danemark, The Death of Klinghoffer de John Adams pour le Norrlandsoperan, Itch de Jonathan Dove à l’Opera Holland Park, Mamzer Bastard de Samantha Newton et Rachel C. Zisser pour le Royal Opera au Hackney Empire, The Intelligence Park de Gerald Barry pour le London Sinfonietta au Linbury Theatre et The Monstrous Child de Gavin Higgins et Francesca Simon pour l’Aurora Orchestra au Royal Opera House. Elle a été directrice musicale pour The Blue Woman, la nouvelle œuvre de Laura Bowler au Royal Opera House, et se réjouit à l’idée de renouer avec le Britten Pears Opera cette année pour la première d’un nouvel opéra de Colin Matthews. Elle a aussi dirigé des productions saluées par la critique de La traviata de Verdi pour l’Opéra d’Australie, de La petite renarde rusée de Janáček pour l’Opera Holland Park et de Macbeth de Verdi pour le Norrlandsoperan.
Jessica Cottis a amorcé sa carrière en tant qu’organiste. Diplômée avec distinction de l’Université nationale d’Australie, elle a poursuivi ses études à Paris, aux côtés de la célèbre organiste française Marie-Claire Alain. Forcée d’interrompre sa carrière de musicienne à la suite d’une blessure au poignet, elle a entrepris des études en direction d’orchestre à la Royal Academy of Music de Londres, avec Colin Metters et sir Colin Davis. Elle est ensuite devenue cheffe adjointe de l’Orchestre symphonique écossais de la BBC et de l’Orchestre symphonique de Sydney, travaillant étroitement avec ses mentors sir Donald Runnicles, Charles Dutoit et Vladimir Ashkenazy. Nommée en 2019 artiste classique à suivre par The Times, elle s’est vu récemment décerner les titres de membre associée de la Royal Academy of Music et de membre invitée distinguée de l’École de musique de l’Université nationale d’Australie.
Jessica Cottis habite actuellement à Stockholm. Dans ses temps libres, elle se passionne pour les papillons du monde entier.
L’Orchestre du Centre national des Arts (CNA) du Canada est reconnu pour la passion et la clarté de son jeu, ses programmes d’apprentissage et de médiation culturelle visionnaires et son soutien indéfectible à la créativité canadienne. Situé à Ottawa, la capitale nationale, il est devenu depuis sa fondation en 1969 l’un des ensembles les plus encensés et les plus dynamiques du pays. Sous la gouverne du directeur musical Alexander Shelley, l’Orchestre du CNA reflète le tissu social et les valeurs du Canada, nouant des liens avec des communautés de tout le pays grâce à sa programmation inclusive, ses récits puissants et ses partenariats innovants.
Alexander Shelley a façonné la vision artistique de l’Orchestre depuis qu’il en a pris les rênes en 2015, poursuivant sur la lancée de son prédécesseur, Pinchas Zukerman, qui a dirigé l’ensemble pendant 16 saisons. Le maestro Shelley jouit par ailleurs d’une belle renommée qui s’étend bien au-delà des murs du CNA, étant également premier chef d’orchestre associé de l’Orchestre philharmonique royal au Royaume-Uni ainsi que directeur artistique et musical d’Artis—Naples et de l’Orchestre philharmonique de Naples aux États-Unis. Au CNA, Alexander Shelley est épaulé dans son rôle de leader par le premier chef invité John Storgårds, un maestro et violoniste de renommée internationale qui a dirigé certains des plus grands ensembles du monde, et par le premier chef des concerts jeunesse Daniel Bartholomew-Poyser, connu pour ses programmes communautaires audacieux et mobilisateurs. En 2024, l’Orchestre a ouvert un nouveau chapitre avec la nomination d’Henry Kennedy au nouveau poste de chef d’orchestre en résidence.
Au fil des ans, l’Orchestre a noué de nombreux partenariats avec des artistes de renom comme James Ehnes, Angela Hewitt, Renée Fleming, Hilary Hahn, Jeremy Dutcher, Jan Lisiecki, Ray Chen et Yeol Eum Son, assoyant ainsi sa réputation d’incontournable pour les talents du monde entier. L’ensemble se distingue à l’échelle internationale par son approche accessible, inclusive et collaborative, misant sur le langage universel de la musique pour communiquer des émotions profondes et nous faire vivre des expériences communes qui nous rapprochent.
Depuis sa fondation en 1969, l’Orchestre du CNA fait la part belle aux tournées nationales et internationales. Il a joué dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada et a reçu de nombreuses invitations pour se produire à l’étranger. Avec ces tournées, l’ensemble braque les projecteurs sur les artistes et les compositeurs et compositrices du Canada, faisant retentir leur musique sur les scènes de l’Amérique du Nord, du Royaume-Uni, de l’Europe et de l’Asie.
L’Orchestre du CNA possède une riche discographie qui comprend notamment plus de 80 œuvres de commande, dont :
Par ses initiatives d’éducation et de médiation culturelle, l’Orchestre du CNA cherche à créer des programmes inclusifs et accessibles pour les publics de la région de la capitale nationale et de tout le Canada. Pour ce faire, il propose des spectacles pour toute la famille, le programme Cercle musical, dont les ateliers sont conçus pour les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme, et des concerts adaptés aux sensibilités sensorielles. L’Orchestre propose en outre une programmation riche pour les élèves, les pédagogues et les publics curieux de tous les âges, dont des matinées scolaires, des répétitions publiques, des ateliers de musique et des ressources en ligne, veillant ainsi à ce que l’éducation artistique et le contact avec la musique demeurent une priorité pour les jeunes publics et pour toute la communauté. Enfin, le Programme de mentorat annuel de l’Orchestre rassemble 50 instrumentistes en début de carrière provenant des quatre coins du monde pour une expérience de perfectionnement de trois semaines aux côtés d’un orchestre de calibre mondial. Avec ces initiatives, l’Orchestre du CNA continue de créer des liens puissants avec divers publics, faisant de la musique une expérience commune et inclusive.
Thomas Annand a étudié sous Graham Steed, John Grew, et Marie-Claire Alain. Il a remporté le premier prix à la Compétition nationale d’orgue du CRCO en 1987, et mène une carrière active depuis ce temps comme interprète d’orgue et de clavecin, ainsi que chef d’orchestre. Annand est également directeur musical de l’église St Andrew’s, à Ottawa, depuis 1992, où il a offert plus de 200 concerts, dont une série hebdomadaire de concerts où il interprétait un vaste répertoire comprenant les dix symphonies de Widor, ainsi que l’intégrale des compositions pour orgue de Liszt, Franck et Mendelssohn. Comme claveciniste, il a interprété toutes les œuvres majeures de Bach lors de sept concerts marathons en 2004-2005. Il s’est produit comme soliste avec l’Orchestre du Centre national des Arts et Les Violons du Roy, accompagnant ces derniers en tournée à Carnegie Hall à trois reprises. Il a été artiste invité au Early Music Festival de Boston, au Carmel Bach Festival, au Congrès international des organistes et au Festival international de musique de chambre d’Ottawa. Comme chef d’orchestre, il a fondé Capital BrassWorks avec qui il a enregistré pour la série CBC SM5000, en plus d’être chef invité à plusieurs reprises pour Thirteen Strings. On a pu le voir au cinéma (Le Règne de la beauté de Denys Arcand) et au petit écran, en plus de l’entendre à la radio. De plus, sa musique pour chorale a été publiée et interprétée, et il apporte régulièrement des contributions à des éditions de musique ancienne. Thomas Annand est membre du CRCO, pour qui il a agi comme examinateur et membre de jury pour le Concours d’orgue, et ancien président du Centre d’Ottawa.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre