≈ 50 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 13 mai 2019
Creuser un sillon, c’est suivre une intuition. C’est se pencher sur une question pendant longtemps, l’occasion de changer d’angle, de l’observer de différents côtés. Avec Traversée, créée en 2016, Milena défrichait une nouvelle piste, tissant sur scène un dialogue entre la parole et la langue des signes. Elle faisait le pari que ces deux modes d’expression pouvaient concourir à raconter une même histoire, tel le témoin qui passe de main en main lors d’une course à relais. Le texte d’Estelle Savasta appelait cette complicité, comme celui aujourd’hui de l’auteur-poète Marcel Cremer. Et de nouveau dans Le cheval de bleu, il importe à Milena de collaborer avec un acteur sourd, en duo avec une actrice entendante, plutôt que de faire appel uniquement à des entendants à même de signer la partition. Elle choisit ainsi d’embrasser dans ses créations la langue des signes comme langage, mais également comme vision et perception particulières du monde. Et c’est à cette rencontre des réalités, des expériences, que Milena nous convie à notre tour, dans le bleu de son sillon.
Il y a des projets qui vous vont droit au cœur, et Le cheval de bleu est l’un de ceux-là. Outre la rencontre avec des artistes d’exception, Le cheval de bleu, qui s’adresse aussi bien au public sourd qu’au public entendant, touche l’une de mes cordes sensibles : faire du théâtre qui rassemble, et qui soit accessible au plus grand nombre. Mais comment y arriver sans pour autant sacrifier à la recherche et à l’innovation artistiques? Voilà le défi relevé par toute l’équipe de création et par l’instigatrice de ce projet, Milena Buziak. J’espère que, comme moi, vous serez fascinés par le ballet de la langue parlée et de la langue des signes, par la beauté des images créées et par le charme mystérieux de ce texte de Cremer. Bon spectacle!
De Marcel Cremer
Il est parti.
Il s’est sauvé.
Alors elle pleure.
Jour après jour.
Car il est parti.
Le cheval de bleu.
Elle a un cheval rouge.
Un cheval jaune.
Un cheval de fer.
Un en bois.
Un en pierre.
Un cheval borgne.
Un qui a perdu sa queue.
Un rempli de paille.
Un qui vient d’Amérique.
Un autre qui vient même d’Afrique.
Il a des rayures obliques.
Pas assez.
Pas assez.
Il lui en font un
tout en bleu.
Un cheval de bleu.
Le cheval de bleu.
Voyageurs immobiles, Compagnie de création, s’est bâtie sur le paradoxe du déplacement et de l’immobilité. Ce que nous privilégions est le voyage intérieur de l’acteur et du public : un voyage à faire ensemble le temps de la représentation. Notre mission est de rassembler des artistes principalement issus de la diversité culturelle autour de projets contemporains qui transgressent librement les frontières entre les pays et les disciplines artistiques afin de créer des spectacles pour tous les publics d’aujourd’hui. Ce qui nous rassemble c’est l’art comme questionnement du présent et éveilleur de conscience par le dialogue. La langue pour nous n’est pas une barrière mais une force de créativité. Nous créons dans nos spectacles une poésie du langage, de la musique et des images qui interpellent l’intelligence, l’imagination et la capacité émotive du spectateur.
Le Théâtre de la Vieille 17 est un carrefour où se côtoient en toute complicité le théâtre pour enfants et le théâtre grand public. Un espace où se combinent la candeur de l’enfance et les préoccupations de l’âge adulte, un lieu où tous les publics sont interpelés tant par le contenu des œuvres que par leurs multiples formes, du théâtre d’acteur au jeu masqué, en passant par le théâtre de marionnettes.
Appelée à parcourir le pays et parfois même à sortir de ses frontières pour présenter ses créations, La Vieille 17 prouve son attachement à la communauté en lui offrant des projets théâtraux citoyens et rassembleurs qui ont un effet dans la collectivité.
Dans un univers de plus en plus virtuel, trop souvent inquiet des différences ou détaché de l’humanité, le Théâtre de la Vieille 17 veut émouvoir dans l’action, amuser dans l’interaction, faire réfléchir, ensemble.
Déclencheur
Marcel Cremer, auteur, metteur en scène, trouvait qu’il n’y a rien de plus intéressant chez l’acteur que sa propre histoire de vie. C’est pourquoi en 1980, dans une minuscule commune belge, il fonde Agora Theater, qui deviendra rapidement, dans le milieu jeunesse, une des grandes troupes d’Europe. Son approche, dite autobiographique, consistait à entraîner les acteurs et concepteurs dans des lieux inusités (un bois, un cimetière...) pour les faire improviser sur divers thèmes. Des histoires individuelles récoltées, il concoctait des textes à la poésie universelle. Décédé en 2009, il a laissé des œuvres marquantes, dont La femme corbeau (2002), Wanted Hamlet (2008), Le roi sans royaume (2010).
Artiste sans frontières
Fondatrice et directrice de la compagnie Voyageurs Immobiles, la metteuse en scène d’origine polonaise Milena Buziak prend plaisir à convoquer à sa table de création des gens de tous horizons, cultures, identités. En 2020, elle se voit remettre le prix John-Hirsch, qui souligne son talent et l’unicité de sa vision artistique.
Pour les jeunes, elle crée, entre autres, Traversée d’Estelle Savasta (présenté au CNA en 2017) puis Le cheval de bleu de Marcel Cremer (CNA 2019), qui rassemblaient tous deux une distribution mixte, composée d’actrices et d’acteurs sourds et entendants. Baptisé Cycle des utopies fertiles, son nouveau chantier de création invitera des créateurs européens, africains et autochtones à parler ensemble dans cette langue universelle qu’est l’art.