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Dernière mise à jour: 1 octobre 2018
Le temps est venu de prendre à nouveau au sérieux les arrangements que Leopold Stokowski a faits de Bach. Dans les années 1980 et 1990, on a assisté à une évolution dans l’interprétation de la musique baroque qui était saine et fort bienvenue, et la tendance en faveur de lectures plus authentiques a eu pour effet de faire disparaître presque entièrement des salles de concert des arrangements peu orthodoxes comme ceux de Stokowski, aussi vigoureux qu’un cheval au galop. Mais ces arrangements, comme le Prélude que nous entendons ce soir, sont brillants, intègres, touchants et divertissants! Ils
méritent d’être réhabilités de nos jours.
Alban Berg a été l’élève d’Arnold Schönberg et son Concerto pour violon est, selon moi, la plus belle pièce jamais écrite par un compositeur ayant fondé son œuvre sur le musique dodécaphonique (à intervalles de 12 notes) de Schönberg. C’est un rêve de pouvoir l’interpréter avec mon bon ami Christian Tetzlaff.
La dernière symphonie (achevée) de Schubert n’était pas seulement d’une « divine longueur » pour son époque : elle s’adresse de la plus merveilleuse façon à toutes les époques.
Les trois sonates et les trois partitas pour violon seul de Bach sont restées incomprises, sous-estimées et presque exclues du répertoire courant jusqu’à ce que Ferdinand David, violon solo du Gewandhaus Orchestra de Leipzig, les publie en 1843, près d’un siècle après la mort de leur compositeur. Depuis lors, elles ont été, en revanche, adoptées et chéries comme peu d’œuvres du répertoire pour violon. Ces sonates et partitas représentent le couronnement de la longue et riche tradition du violon baroque allemand, mettant l’accent sur la polyphonie et des accords pleins, bien espacés.
La Partita no 3 en mi majeur est la seule qui s’ouvre sur un prélude, ô combien remarquable! Elle se distingue aussi par la popularité de plusieurs de ses mouvements, dont on connaît de nombreux arrangements et transcriptions pour différents instruments et ensembles. Leopold Stokowski, qui s’est surtout fait connaître comme directeur musical du Philadelphia Orchestra de 1912 à 1941, a fait des arrangements vivement colorés, pour cordes ou pour orchestre entier, de dizaines d’œuvres, puisant surtout dans le catalogue de Bach. Parmi ces pièces, on retrouve l’ouverture de la Partita no 3 (dans l’arrangement de Stokowski, sous un titre légèrement modifié), dont Stokowski a fait un joyau pour la section complète des violons. Incidemment, Stokowski n’est pas le premier à avoir arrangé ce mouvement pour d’autres combinaisons d’instruments – Bach lui-même l’a remanié dans la sinfonia qui introduit sa Cantate BWV 29 (« Wir danken dir, Gott, wir danken dir »), où il ajoute des trompettes et des timbales à l’orchestre pour rehausser l’éclat de la musique.
Traduit d’après Robert Markow
L’Orchestre du CNA interprète l’arrangement de Stokowski du Prelude de la Partita no 3 de J.S. Bach pour la première fois.
Au début de l’année 1935, le violoniste américain d’origine russe Louis Krasner s’adresse à Berg pour lui demander d’écrire un concerto, avec pour objectif de contribuer au développement de la musique dodécaphonique. Berg se montre d’abord réticent, arguant que le violon ne lui est pas assez familier. Mais quelques semaines plus tard, une triste nouvelle va pousser le compositeur à écrire l’œuvre demandée : Manon Gropius, la fille d’Alma, veuve de Mahler, et du célèbre architecte Walter Gropius, meurt de la poliomyélite à dix-huit ans. Berg aimait Manon comme sa propre fille. Il l’admirait, comme tout son entourage, pour son intelligence, sa beauté, sa gentillesse et ses talents. Elle avait été choisie pour jouer le rôle d’un ange dans une production à venir de Jedermann, montée par Max Reinhardt à Salzbourg. « Elle n’a jamais joué l’ange », regrettera Berg, « mais elle en est devenue un », d’où le sous-titre du concerto, Dem Andenken eines Engels (« À la mémoire d’un ange »).
Le concerto s’articule en deux grandes parties, subdivisées chacune en deux sections enchaînées sans pause. L’ouverture du premier mouvement semble évoquer le portrait de Manon dans toute sa tendresse, sa sensibilité et sa grâce. La série dodécaphonique à la base du concerto apparaît tout d’abord dans la partie de violon solo à la quinzième mesure; les neuf premières notes sont arrangées en une suite de tierces liées entre elles, ce qui confère au concerto une bonne part de son lyrisme intrinsèque dans un contexte dodécaphonique. La seconde section, Allegretto, doit être jouée à la manière viennoise (wienerisch en allemand) : on retrouve alors la Manon vive et fantasque.
La tragédie frappe au deuxième mouvement. La composition fragmentaire, extrêmement dissonante, évoque le combat de la jeune fille contre la mort. Le point culminant survient avec une puissance dévastatrice : la section finale du concerto est le poignant Adagio, construit à partir du choral Es ist genug! (« C’est assez! ») de Johann Rudolf Ahle, tel qu’il est repris par Bach dans sa Cantate BWV 60 (O Ewigkeit, Du Donnerwort – « Ô éternité, toi, parole foudroyante! »).
Une impression de recueillement religieux plane alors sur la musique. Le violon solo et un quatuor de clarinettes, produisant une sonorité apparentée à celle de l’orgue, exposent en alternance les phrases du choral. Ce matériau est développé tandis que l’orchestration se densifie sans cesse, annonçant un nouveau sommet dramatique. Mais la tension se dissout, le violon solo atteint des hauteurs cosmiques, et le concerto « à la mémoire d’un ange » se conclut dans un climat de contemplation profonde orienté à la fois vers le chagrin présent, vers Bach et vers le ciel.
L’œuvre a été présentée en première à Barcelone, le 19 mars 1936, dans le cadre d’un festival organisé par la Société internationale de musique contemporaine. Hermann Scherchen dirigeait l’Orquestra Pau Casals et le soliste en était Louis Krasner. Ce dernier a ensuite présenté le concerto partout en Europe et aux États‑Unis, contribuant à en faire un pilier du répertoire.
Traduit d’après Robert Markow
C’est la deuxième fois que l’Orchestre du CNA joue le Concerto pour violon de Alban Berg. La première prestation de cette œuvre a eu lieu en 2005 avec Oliver Knussen au pupitre et Pinchas Zukerman
comme soliste.
Parmi les plus grands compositeurs, Schubert est celui qui eut la plus courte vie. Puisqu’il est mort à 31 ans à peine, on peut considérer ce qu’il a écrit comme une « œuvre de jeunesse ». Sa plus grande réalisation symphonique est la Symphonie no 9 en do majeur, composée au cours des dernières années de sa brève existence. On l’appelle Grande Symphonie, moins par jugement de valeur (bien que ce sous-titre serait tout à fait mérité) que pour la distinguer d’une autre symphonie en do, écrite antérieurement par Schubert, et que l’on nomme désormais Petite Symphonie en do majeur (no 6).
La Grande Symphonie appartient à la catégorie des chefs-d’œuvre dormant tranquillement sur une tablette jusqu’à ce qu’ils soient « découverts » accidentellement. C’est du moins ce qu’on peut généralement lire dans les innombrables textes de présentation de disques, notes de programme et biographies populaires. Toutefois, si l’on en croit les recherches effectuées récemment, la réalité serait légèrement différente. Robert Winter, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles et coéditeur de la revue 19th‑Century Music, fait remarquer que « l’œuvre a fait au moins l’objet d’une lecture en répétition par l’orchestre de la Société des amis de la musique de Vienne, à un certain moment entre l’été 1827 et la mort de Schubert en novembre 1828. Otto Biba, archiviste de la Société, écrit à ce sujet que “certains indices relatifs au papier et à l’écriture prouvent qu’à un certain moment au début des années 1830 et pour une occasion indéterminée, plusieurs copies des parties orchestrales furent réalisées. Par ailleurs, le finale de la symphonie fut exécuté en concert public à Vienne en 1836.” »
C’est à Robert Schumann que l’on doit d’avoir sorti de l’ombre la Symphonie no 9. En janvier 1839, il alla à Vienne rendre hommage à son patrimoine musical. Au cours d’une rencontre avec Ferdinand, frère de Schubert, Schumann eut accès à une pile de manuscrits dans laquelle se trouvait la Symphonie en do majeur. Schumann raconte ainsi l’événement : « Les richesses qui s’étalaient devant moi me faisaient trembler de plaisir. Par où commencer et où s’arrêter? Qui sait combien de temps ces richesses seraient restées ensevelies sous la poussière et dans l’ombre si je n’avais pas immédiatement convenu avec Ferdinand Schubert de les confier à la direction des concerts du Gewandhaus de Leipzig? » Le chef de cet orchestre, Félix Mendelssohn, adopta tout de suite la Symphonie no 9 et l’interpréta trois fois, non sans avoir effectué d’importantes coupures. Mendelssohn eut ces propos : « Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, d’une des plus belles œuvres qu’il nous ait été donné d’entendre récemment. Lumineuse, fascinante et originale du début à la fin, cette pièce figure en tête de liste des compositions instrumentales de Schubert. » Berlioz résuma ainsi sa réaction à cette œuvre : « Cette symphonie mérite à mon avis de compter parmi les productions les plus nobles de notre art. »
On comprend mieux les nombreuses coupures que Mendelssohn pratiqua dans la Symphonie no 9 lorsqu’on replace l’œuvre dans son contexte historique. À l’exception de la Symphonie no 9 de Beethoven, c’était la plus longue symphonie écrite jusqu’alors. Pour beaucoup d’auditeurs, elle paraissait aussi inutilement répétitive. Schumann n’était pas de cet avis, puisqu’il en parlait comme d’une « symphonie d’une longueur divine ». C’est une opinion que partagent la plupart des mélomanes de notre époque. Un autre élément à noter est la présence très sentie des trombones dans les quatre mouvements. Dès le début, la symphonie a été jugée extrêmement difficile à interpréter, et encore aujourd’hui, les orchestres y voient les mêmes défis; le dernier mouvement, en particulier, est l’un des plus ardus pour les cordes, qui doivent répéter des centaines de fois le même motif rythmique, un triolet rapide.
Cette symphonie est si féconde en moments magnifiques, en thèmes mémorables et en orchestration imaginative qu’on ne saurait les énumérer tous. Mentionnons seulement les mesures d’ouverture, magiques – un appel lancé tout en douceur par deux cors à l’unisson; l’énorme escalade de tension, enfin relâchée lorsque la lente introduction fait place à l’Allegro; le thème plaintif du hautbois (2e mouv.); le passage obsédant de ce même mouvement où les cors répètent neuf fois le sol, toujours plus doux, amenant le retour du thème principal joué au hautbois; la grâce toute viennoise du trio émergeant au milieu du troisième mouvement; et toute l'ampleur et la majesté du finale, qui s’étend sur 1 155 mesures, culminant dans une coda d’une puissance colossale et d’une splendeur glorieuse.
Traduit d’après Robert Markow
En 1975, Raffi Armenian dirigeait l’Orchestre du CNA pour la première prestation de la Symphonie no 9 de Schubert donnée par l’ensemble, et en 2013, Ainars Rubikis était chef d’orchestre pour sa plus récente interprétation de cette symphonie.
Premier chef invité de l’Orchestre du Centre national des Arts et chef d’orchestre de l’Orchestre philharmonique de la BBC et de l’Orchestre philharmonique de Turku, John Storgårds mène de front une carrière de chef d’orchestre et de violoniste virtuose, et est renommé pour ses programmes innovants et ses prestations à la fois fougueuses et raffinées. Il assure également depuis 25 ans la direction artistique de l’Orchestre de chambre de Laponie, renommé partout dans le monde pour ses prestations audacieuses et ses enregistrements primés.
Sur la scène internationale, Storgårds se produit régulièrement avec les orchestres philharmoniques de Berlin, de Munich et de Londres, l’Orchestre national de France et l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne, de même que les principaux orchestres scandinaves, y compris l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, dont il a été chef attitré de 2008 à 2015. Il retourne régulièrement diriger l’Orchestre de chambre de Munich où il a été partenaire artistique de 2016 à 2019. Sur les autres continents, il a été invité au podium des orchestres symphoniques de Sydney, de Melbourne, de la NHK à Tokyo et Yomiuri Nippon du Japon, ainsi que des orchestres symphoniques de Boston et de Chicago et de l’Orchestre philharmonique de New York.
La discographie primée du maestro comporte des enregistrements d’œuvres de Schumann, Mozart, Beethoven et Haydn, mais aussi des raretés de Holmboe et Vask, où on peut l’entendre comme soliste au violon. Avec l’Orchestre philharmonique de la BBC, il a gravé sous étiquette Chandos l’intégrale des symphonies de Nielsen (2015) et de Sibelius (2014), qui lui ont valu les éloges de la critique. En novembre 2019, il a publié le troisième et dernier volume des œuvres du compositeur américain d’avant-garde George Antheil. Leur dernier projet en date est l’enregistrement des symphonies tardives de Chostakovitch, notamment celui de la Symphonie no 11 paru en avril 2020. En 2023, Storgårds et l’Orchestre philharmonique de la BBC ont été en lice pour le titre d’orchestre de l’année décerné par le magazine Gramophone.
John Storgårds a étudié le violon auprès de Chaim Taub et la direction d’orchestre auprès de Jorma Panula et d’Eri Klas. Il a reçu le Prix de la musique de l’État finlandais en 2002 et le prix Pro Finlandia en 2012.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre