2019-05-29 19:30 2019-06-01 21:30 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Pinocchio

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« Rien n’est plus important que de vivre dans sa vérité. » Ce Pinocchio relate le parcours initiatique d’un pantin vil et ingrat vers l’état d’humain. Débarrassant le conte du bestiaire merveilleux, il présente le réel dans sa vérité crue et dans toute son inquiétante étrangeté. Un objet théâtral exceptionnel comme seul Joël Pommerat sait en tailler....

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Théâtre Babs Asper ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
29 mai - 1 jun 2019
29 mai - 1 jun 2019

≈ 1 heure et 15 minutes · Sans entracte

Dernière mise à jour: 15 mai 2019

« Changer les mots de l’œuvre »

Je considère tous les éléments concrets sur la scène (la parole fait partie de ces éléments concrets) comme les mots du poème théâtral.

En fait, entre un auteur comme je le suis devenu et un metteur en scène, c’est juste une question de développement du geste.

Si un metteur en scène a déjà écrit une dizaine de fois « sur une pièce » sans changer un seul mot de l’œuvre (ce qui est selon moi déjà une façon de réécrire la pièce), il finira peut-être, tout naturellement, par avoir envie de réécrire la pièce plus encore, en allant même jusqu’à changer les mots de l’œuvre, franchir ce mur du respect de l’œuvre que je trouve suspect, parfois morbide. Je vois le travail du metteur en scène moderne comme un palimpseste. Réécrivant sur le manuscrit, le parchemin de l’auteur. Après avoir réécrit le sens à travers sa mise en scène sans en changer un mot, le metteur en scène commence un jour, et c’est normal, à avoir envie, comme moi je l’ai eu, de réécrire en grattant le manuscrit, en réécrivant par-dessus, ce qui est la définition exacte du palimpseste.

C’est ce processus proche de celui de la mise en scène moderne qui m’amène par exemple à ne pas monter Les trois sœurs de Tchekhov mais finalement à réécrire sur le parchemin des Trois sœurs, comme dans ma pièce Au monde.

Je suis un metteur en scène qui a poussé un peu plus loin le geste de la mise en scène. Ce processus était inévitable et je ne crois pas qu’il ne concerne que moi. Je pense qu’il va produire l’éclosion d’un grand nombre d’auteurs d’aujourd’hui, pleins de leur histoire de théâtre et concernés par leur présent.

C’est aussi une conception de l’écriture qui considère que nous sommes profondément liés aux autres, ceux qui nous ont précédés, qu’ils existent à travers nous. Nous ne créons pas à partir de rien, il n’y a pas de vide à l’intérieur de l’humain, il n’y a pas de vide à l’intérieur de la culture humaine.

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Extrait de Théâtres en présence, Actes Sud-Papiers, collection « Apprendre », 2OO7.

Les deux âmes de Pinocchio

par JEAN-CLAUDE ZANCARINI

Il faut tenir Pinocchio pour un livre qu’on ne peut réduire à une seule lecture, pour un livre qu’il faut accepter avec ses contradictions, ses hésitations, ses revirements, qu’il faut considérer dans sa complexité, sans le réduire à un seul de ses aspects. Si le discours pédagogique, le discours d’éducation, est incontestablement présent, il est toujours présenté avec son contraire, et le titre que Collodi finit par choisir lorsqu’il reprend sa narration le 16 février 1882, cédant aux prières de ses « petits lecteurs » et de la direction du Giornale per i bambini, est à prendre au sérieux : il s’agit bien d’« aventures », et d’un personnage qui incarne cet esprit, refuse de s’en tenir au monde connu et part en courant, dès qu’il en a l’occasion, sans écouter « ceux qui en savent plus que lui ». Il fait preuve de cet esprit d’aventure dès les premières pages du livre, à peine est-il ébauché par son père et s’est-il dégourdi les jambes : « il sauta dans la rue et décampa ». On sait que cette première fuite sera suivie par bien d’autres; elle est également un symbole qu’on fera bien aussi d’intégrer dans la lecture : le personnage, le livre échappent à leur créateur, à ses intentions éducatives et moralisatrices. […]

C’est qu’il y a deux âmes dans Pinocchio, deux logiques dans le livre : celle de Pinocchio le rebelle, celle de Pinocchio le petit garçon comme il faut. C’est la présence simultanée de ces deux âmes, de ces deux logiques, qui anime le livre et lui donne son mouvement, sa structure. [...]

On est face à une spirale qui pourrait se dérouler sans fin, et que l’on pourrait formuler ainsi : aventure, échec, bonnes résolutions, nouvelle aventure, nouvel échec, nouvelles bonnes résolutions, et cela jusqu’au moment où il faudra trouver une fin qui paraît bien improbable tant que Pinocchio est ce qu’il est...

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Extrait de Carlo Collodi, Les aventures de Pinocchio, édition bilingue, Flammarion, collection « GF », 2OO1.

Extrait de la pièce

L’HOMME ÂGÉ 
Excuse-moi mon petit garçon.
Je voulais te parler de quelque chose.

LE PANTIN
Quoi encore?

L’HOMME ÂGÉ
Maintenant que tu as mangé il serait peut-être temps de réfléchir un peu, tu ne crois pas?

LE PANTIN
Réfléchir ?
C’est tout ce que tu as à me proposer comme programme?
Il y a vraiment un problème ici
je m’ennuie c’est l’horreur je te jure
et tu voudrais que je réfléchisse? Mais à quoi?

L’HOMME ÂGÉ
Réfléchir à ce que tu vas faire plus tard dans la vie, tu peux pas rester ici à rien faire.

LE PANTIN
Qu’est-ce que tu me proposes à la place?

L’HOMME ÂGÉ
Eh ben d’aller à l’école par exemple.

LE PANTIN
L’école?
Qu’est-ce qu’on fait à l’école?

L’HOMME ÂGÉ
On travaille et on apprend un travail pour plus tard quand on devient adulte.

LE PANTIN
Mais moi j’ai pas envie de travailler, j’ai juste envie de m’amuser, j’ai envie d’être riche, j’ai pas envie de pas rigoler dans la vie, tu comprends ?

L’HOMME ÂGÉ
On ne peut pas faire que s’amuser dans la vie.

LE PANTIN
Moi si.

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Joël Pommerat, Pinocchio, Actes Sud-Papiers, collection « Heyoka Jeunesse », avec des illustrations d’Olivier Besson, 2008.

« Qu’est-ce qu’on fait à l’école ? »

par MARION BOUDIER

En quête de bonheur, Pinocchio aimerait « être heureux », il voudrait « changer », mais pour cela il lui faut apprendre à « reconnaître ce qui est vrai ». Comme nombre de personnages des pièces de Pommerat, il souffre d’un problème de perception. Dominé par ses pulsions, Pinocchio est « aveugle » comme l’était le Présentateur enfant : « Mes yeux n’ont appris à voir que très tard, bien après que mes jambes eurent appris à marcher. » À l’inverse de Sandra dans Cendrillon qui a une image dévalorisée d’elle-même, Pinocchio est persuadé de sa toute-puissance (« on est forts nous les pantins! »).

Pinocchio vit dans l’immédiateté de la pulsion et du désir : il se précipite sur la diva dans la baraque de foire; touché par la beauté de la Fée, il lui dit qu’il va l’embrasser! Ce dont il doit faire l’expérience, c’est de cette friction vitale et fondamentale entre principe de plaisir et principe de réalité. En termes psychanalytiques, le parcours initiatique de Pinocchio revient à sortir de l’hallucination, du rêve et de la pulsion, à travers un processus de sublimation et de conscientisation, pour admettre l’existence d’une réalité insatisfaisante ou frustrante. Les échecs de Pinocchio constituent l’épreuve de la réalité grâce à laquelle l’enfant pantin peut devenir un jeune homme, un « véritable être humain ».

Dans ce processus, l’éducation est l’une des médiations qui permet au principe de réalité de réguler le principe de plaisir, car il ne s’agit pas de renoncer à son désir mais d’apprendre à le différer et à le combler autrement. Comme le souligne Pommerat, l’éducation est une contrainte qui libère :

Il y a une allégorie forte dans Pinocchio : celle des enfants qui, n’allant pas à l’école, finissent comme des ânes, non pas seulement l’âne comme figure du mauvais élève mais l’âne comme celui qui porte le poids des autres, qui porte ce que les autres ne veulent pas porter. Intégrer le cadre d’une école, d’une autorité, d’une discipline, ce n’est pas simplement aller vers la norme, c’est aussi pour pouvoir échapper à une forme d’aliénation sociale. Si on ne va pas à l’école, on finit « esclave des autres » parce qu’on n’a pas les armes culturelles pour lutter, pour faire face aux autres, à la tentative de domination de l’autre. Dans l’Italie des années 1860, la culture et l’éducation étaient des questions primordiales par rapport à l’acquisition de la liberté. L’école n’était pas encore obligatoire, mais cela a encore des résonances aujourd’hui. Ce qui est paradoxal, c’est qu’à un moment donné, il faille aller vers une contrainte pour acquérir une liberté1.

Dans un premier temps, l’école n’apparaît pas à Pinocchio comme un lieu d’émancipation intellectuelle et sociale, mais comme un moyen pour « apprendre comment gagner de l’argent ». L’Homme âgé et la Fée lui enseignent en effet qu’il faut étudier pour travailler et travailler pour bien vivre, tandis que le mauvais élève refuse de « travailler au lieu de vivre ».

Devenir un être conscient de soi et du monde nécessite également d’exister dans le regard des autres. À l’inverse d’une pensée de l’individu-substance, individu indépendant et autosuffisant, Pommerat réaffirme à travers ses personnages que l’identité est relationnelle et évolutive.
 

1. Joël Pommerat, entretien en complément du film du spectacle, DVD de Pinocchio, réalisé par Florent Trochel, Arte, Axe Sud, 2010.

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Extrait de la postface de la pièce parue chez Actes Sud dans la collection « Babel » (2008 [2015]).

Pinocchio a été répété au CNCDC de Châteauvallon et au Théâtre Brétigny.

Le spectacle a été créé en mars 2008 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe.

La Compagnie Louis Brouillard est conventionnée et reçoit le soutien du Ministère de la Culture/DRAC Île-de-France et de la Région Île-de-France. Elle s’est vu décerner en 2016 le label de « Compagnie à rayonnement national et international ».

Joël Pommerat fait partie de l’association d’artistes de Nanterre-Amandiers.

La Compagnie Louis Brouillard est associée à la Coursive – Scène Nationale de La Rochelle et à la Comédie de Genève.

Tous les textes de Joël Pommerat sont publiés aux éditions Actes Sud-Papiers.

Artistes

  • Auteur-metteur en scène Joël Pommerat

Alliance internationale des employés de scène et de théâtre