« L’élément fondamental du théâtre est la métamorphose. »
– Heiner Müller
Il est devenu ardu de justifier publiquement la nécessité de l’art dans nos vies. L’art est-il utile au sens d’une valeur financière ? Pouvons-nous quantifier ce qu’il nous apporte, comme on le ferait de n’importe quel objet de consommation ? Pouvons-nous garantir qu’une représentation, une exposition, un livre, un concert nous en donne pour notre argent ?
Certainement pas.
Le théâtre est un luxe, sa fabrication mystérieuse, complexe, humaine. Il nous nourrit, nous déstabilise, nous allume, nous provoque. Il n’est pas toujours aimable. Il nous cause parfois embarras, ennui, inconfort, voire déplaisir sans qu’on puisse « changer de poste ».
Mais à la différence de la télévision, de Facebook ou de Twitter, le théâtre possède un atout inestimable : il nous offre une expérience vivante.
Spectateurs, nous sommes assis face à une scène, un objet d’art dont nous ne savons rien, ou si peu : des mots dans un programme, des photos dans les journaux, des entrevues attrapées au vol. Rien qui nous parle avec authenticité de l’expérience à venir.
Il fait noir, nous avons chaud, nous entendons le souffle du voisin, sa respiration, son rire ou son ronflement. Puis quelque chose se passe sur scène et agit sur nous : la force de la parole ou la beauté d’un mot, d’un geste, d’un rayon de lumière qui nous transforment subtilement et modifient notre rapport à l’autre, à côté de nous, et de proche en proche, la collectivité.
Acteurs, nous sommes sur scène, travaillés par le texte, la lumière, l’espace, et par le souffle des spectateurs. Celui-ci nous réchauffe, chatouille notre peau et réveille nos sens, nous appelle à plus de générosité, d’abandon, d’intelligence et de dépassement.
Cette conjonction de souffles constitue le lien vibrant entre la scène et la salle : nous nous transmuons mutuellement, nous agissons les uns sur les autres. Nous nous aidons à vivre des expériences uniques. Au théâtre, chaque soir est différent, ce n’est jamais exactement le même spectacle, il n’y a pas de reprise. Chaque représentation est exceptionnelle.
Les spectacles que j’ai la joie de vous présenter au cours de la saison 2014-2015 ont ceci de particulier, qui les lie, les réunit : chacun d’eux témoigne de façon personnelle, par le fond ou la forme, d’une métamorphose, d’une alchimie, de changements intimes, sociaux ou politiques.
Ces textes et ces formes dissemblables sont des œuvres d’artistes et non des objets formatés par des fabricants de divertissement codé.
Le Théâtre français accompagne plusieurs artistes tout au long de la création, participant au risque de l’aventure. Cette implication artistique, humaine et financière nous procure – à toute l’équipe – une grande fierté.
À travers ces univers originaux, personnels, je souhaite ardemment que nous puissions nous parler, partager tous ensemble la joie et le plaisir de vivre des expériences uniques, riches de sens et de beauté.