Quelque chose de la lenteur

© Stéphanie Laurin
© Julien Morissette
© Stéphanie Laurin
© Karina Pawlikowski
Cet entretien s’est tenu à Saint-Pierre-de-Wakefield, le vendredi 30 juillet 2021, dans le cadre de la résidence de création Champ libre sous l’invitation du Théâtre français du Centre national des Arts (CNA). Étaient présents lors de la rencontre, le binôme formé de Karina Pawlikowski et Julien Morissette, accompagné de l’auteur et ami Antoine Charbonneau-Demers. Nous tenons à remercier le CNA ainsi que le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) pour leur soutien financier.

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[00:22:27.140] - Antoine

Si c'est pas indiscret, vous, comment vous vivez ça? Le rapport entre l'écriture et votre vie? Si vous avez envie d'en parler.

[00:22:42.560] - Karina

Ce qui est vraiment bizarre c'est qu'on travaille en couple, dans la création. Ça fait quelques années déjà qu'on a amorcé cette pratique ensemble, même si on a des pratiques individuelles, on a quand même une pratique commune. Puis, on a provoqué par l'écriture un désir d'ouverture dans le couple. Pour vérifier ce que ça pouvait générer.

[00:23:17.070] - Antoine

Vous l'avez vraiment provoqué dans le projet, dans l'esprit...

[00:24:21.520] - Karina

Oui, pis c'est de la fiction, mais j'veux dire...

[00:24:24.370] - Julien

C'est de l'hyperréalisme.

[00:24:24.450] - Karina

C'est des dialogues là-dedans, pis y'a des dialogues, qu'on aurait pu se taper puis faire des verbatims avec pis ça serait exactement la même chose ou à peu près là....

[00:24:32.360] - Julien

Ça se confond. C'est ça, ça se confond, mais c'est super cool aussi parce que y’a parfois des délais de certains mois entre une lecture et une relecture et un dialogue qui a eu à ce sujet là. Mais oui, je pense que ça a provoqué le désir de changer la trajectoire, de se laisser influencer.

[00:25:10.490] - Karina

Autant qu'on a envie de le vivre pour vrai, on a envie de voir ce que ça fait comme effet. C'est pour tester le, pour vérifier le contenu de l'œuvre. C'est… ça nourrit l'œuvre aussi. Fait que c'est pour ça qu'on le provoquait d'une certaine façon, tout en y allant doucement, sans non plus... Mais ce qui est bizarre aussi, c'est qu'en provoquant ça, ça nuit au travail parce que ça implique des conversations infinies.

[00:25:44.010] - Julien

Ben oui, cette semaine y'a trois jours durant lesquels on a quasiment pas travaillé, parce que chaque fois, le travail nous menait à discuter de ça. Comme, à l'appliquer dans notre couple et pas dans le cadre du projet.

[00:25:54.940] - Antoine

Mais comment vous faites la différence?

[00:25:58.960] - Karina et Julien

Y'en a comme pas.

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[00:28:17.310] - Karina

Mais ensuite, ce qui est arrivé cette semaine dans nos discussions. À un certain point, qu'on avait des discussions difficiles sur comment amalgamer cette relation là de non-monogamie avec tsé plein d'autres choses. Et on a réfléchi à l'idée de performer une rupture dans notre couple pour vérifier ce que ça faisait. Puis c'est là que c'est devenu quand même...

[00:28:41.200] - Julien

C'est inconfortable.

***

[00:48:06.730] - Julien

Ça te rend tu inconfortable comme discussion?

[00:48:07.720] - Antoine

Non, pas du tout, au contraire, c'est vraiment intéressant. J'espère que vous, ça vous rend pas inconfortable de le partager avec moi.

[00:48:20.540] - Julien

Ben non, au contraire.

[00:48:20.540] - Karina

Ça me rend pas inconfortable, j'essaie de me rappeler plus de manière théorique, ce sujet là par rapport aux autres, pour vérifier, humm, la nécessité ou l'importance de ce sujet, dans ce projet là? J'suis pas contre...

[00:48:47.720] - Julien

Non, mais c'est peut-être, mais c'est drôle, mais je me demande pourquoi ça intervient/

[00:48:52.810] - Karina

/tout le temps

[00:48:53.410] - Julien

/tout le temps. On s'est dit les bases, le projet s'appelle pour l'instant La Lenteur.

[00:48:59.050] - Antoine

Ouin…

[00:48:59.050] - Julien

Pis. Des fois, je me demande si on essaie pas de rentrer à la crowbar le sujet de la non-monogamie dans ce projet là aussi, parce qu'on n'a pas fini de l'épuiser avec le projet précédent, Les amours extraordinaires.

 
[00:49:11.440] - Antoine

Mais pourquoi? Si vous avez l'impression que c'est sur ce sujet là que vous voulez travailler, pourquoi vous focussez pas sur celui-là?

[00:49:24.060] - Karina

La non-monogamie?

[00:49:24.060] - Antoine

Ouin?

[00:49:24.420] - Karina

Parce que c'est épuisant...

[00:49:26.450] - Antoine

C'est la vie.

[00:49:29.440] - Karina

C'est ça qui fait que c'est bon aussi.

[00:49:30.546] - Antoine

C'est ça qui fait que c'est bon.

[00:49:31.405] - Julien

Ah ouin, hein?

[00:49:58.340] - Julien

Mais je ne m'attendais pas à.. Ce que tu viens de dire, Karina, par rapport au fait que c'est épuisant. Je ne m'attendais pas à ce que tu dises ça.

[00:50:03.320] - Karina

Ah c'est épuisant, moi je suis drainée, depuis hummm... mais c'est une des raisons pourquoi j't'allée dormir à Aylmer, j'étais drainée, j'avais besoin d'avoir une nuit chez nous. Dans mes affaires.

[00:50:12.875] - Julien

Ouin.

[00:50:14.360] - Karina

J'étais tellement fatiguée. Comme tout le contexte actuel me draine totalement, toute mon énergie, c'est.... fait que c'est pour ça que si y'a quelque chose qui me fait peur, ce serait de poursuivre l'exploration de ce sujet là aussi dans la création parce que... parce qu'il implique beaucoup.

[00:50:38.560] - Julien

Et ça affecte tout, ça devient un projet total, mais ça, on l’a nommé cette semaine, moi je me suis dit si on s'embarque dans ce projet là, ça met... je sais pas, on dirait que ça fragilise tous les autres projets qui touchent pas à ça, la famille, le couple. C'est, c'est...

[00:50:54.070] - Karina

C'est ça qui est intense…C'est parce qu'il a quelque chose aussi dans trop nommer les choses. Je ne sais pas si tu le sens? T’sais ce matin quand on s'est réveillé, on était vraiment amoureux, ça... ça c'est comme replacé. Pis là, on vient de réexplorer ce sujet là, je sais pas si tu t'en rends compte, mais c’est…?

[00:51:40.000] - Julien

Tendu entre nous deux?

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[00:53:15.180] - Antoine

Y'a peut-être moyen de travailler là-dessus, justement... sur la lourdeur. Peut-être que justement, d'en faire quelque chose de productif, ça va apporter le bonheur.

[00:53:28.910] - Julien

« La lenteur » est devenue « La lourdeur » ...

[00:53:33.200] - Antoine

Parce que des fois, justement, c'est drainant, parce qu'on ne sait même pas qu'est-ce qu'on va en faire? Je sais pas, je suis loin d'être à votre place, mais si c'est si drainant, c'est sûrement parce que c'est aussi comme si puissant tsé. Des fois de re-canaliser cette énergie là vers… t’sais, la productivité, c'est aussi. Justement, prendre les affaires qui nous... qui sont importantes - qu'on le veuille ou non - qui prennent la place puis les transformer en production positive, heureuse, joyeuse... L'écriture, pour moi, c'est aussi ça, c'est produire quelque chose avec ce qui me hante, ou ce qui m'empêche de vivre pleinement. Ou me tire tout mon jus. Et là, de produire, ça peu, je suis sûr que ça peut faire que c'est pu drainant. Parce que quand t'es drainé c'est parce que ça s'en va dans rien.


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