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Dernière mise à jour: 13 janvier 2025
Qaumma raconte une histoire personnelle, une histoire de transmission. Celle d’une famille à la bravoure admirable victime d’une terrible injustice. À la lumière des excuses tardives présentées en novembre dernier par Ottawa pour l’abattage des chiens au Nunavik, la présentation de cette œuvre au CNA prend aujourd'hui une toute nouvelle dimension. C’est un grand honneur d’accueillir ces artistes fantastiques et de partager avec vous ce spectacle d’une puissance inouïe.
Ici, au Théâtre autochtone du Centre national des Arts, nous disposons d’un rare privilège : celui de tisser des liens avec des artistes d’exception, des gens inspirants comme Laakkuluk Williamson Bathory et Vinnie Karatek. Leur compréhension de leur culture et leur empressement à partager ce savoir à travers l’écriture d’histoires fascinantes, intenses et percutantes sont le moteur d’une transformation profonde. Véritables sources d’inspiration au quotidien, ces œuvres portent en elles l’espoir et la promesse d’un avenir meilleur.
Quelle chance de pouvoir soutenir des artistes du Nord de si grand talent et de les voir concrétiser les projets artistiques qui leur tiennent à cœur en prolongeant le processus de développement! Le processus de création de Qaumma était ambitieux et unique. Il a réuni des artistes, des créateurs et des créatrices entre Iqaluit et Montréal pour donner vie à cette œuvre généreuse.
L’investissement de 95 000 $ du Fonds national de création a soutenu la dernière étape de développement de l’œuvre, en permettant à l’équipe de création de faire de Qaumma la pièce de théâtre sculpturale élaborée avec soin que les artistes ont en tête depuis des années. Grâce au soutien du Fonds, l’équipe de création a terminé la conception des décors, des éclairages et de la vidéo, notamment lors d’une résidence à Montréal et de répétitions à Iqaluit.
Cette entrevue a été réalisée par Julie Burelle pour la présentation du spectacle au Festival TransAmériques 2023, avec une traduction de David Dalgleish.
Le spectacle, comme certaines de vos autres œuvres, célèbre les femmes en tant que détentrices du savoir, de secrets et d’une force incroyable.
L.W.B. : Ce que nous avons vécu, nous, les Inuits, tout au long de la colonisation, du changement climatique et de l’industrialisation dans l’Arctique, est un renversement patriarcal tout-puissant de notre souveraineté. Et, pour nous réapproprier notre espace et la terre natale des Inuits, nous devons simplement nous montrer féministes, et je ne parle pas du féminisme occidental ou blanc, mais de notre propre vision de ce qu’il convient de faire pour rendre leur pouvoir aux femmes, à la féminité et à des façons non binaires et queers de vivre en ce monde. Dans mon œuvre, je mets l’accent sur le féminisme et l’expérience féminine non seulement comme femme inuk, mais comme quelqu’un qui comprend que notre retour vers la souveraineté sur nos terres passe par le féminisme.
Vous interagissez directement avec les spectateurs dans Qaumma, vous leur parlez, vous les incitez à agir.
L.W.B. : Cette proximité et l’appel à la participation des spectateurs reposent en fait sur l’uaajeerneq, la danse du masque groenlandaise, qui est une pierre angulaire de ma pratique artistique. Elle définit ma manière d’interagir dans le monde, à la fois sur le plan artistique et sur celui du courage, de ma démarche et de mes champs d’intérêt. L’uaajeerneq vise à élargir le regard que nous, acteurs et spectateurs, portons sur le monde en repoussant les limites du confort pour que nous puissions découvrir ce dont nous sommes capables, dans nos réactions, nos compliments ou nos désaccords.
En tant que personne, il nous faut comprendre que notre chemin dans la vie est multiple, mais que nous sommes seuls à décider de ce qui nous arrive. C’est la vision du monde inuit. Dans Qaumma, nous nous adressons aux spectateurs et spectatrices parce que nous voulons leur faire ressentir l’expérience d’être colonisés. Au début du spectacle, nous échangeons des regards avec le plus grand nombre possible pour que le public comprenne que l’espace est animé par lui et par nous. Que nous sommes ici tous ensemble.
V.K. : La danse du masque peut susciter un malaise, oui, mais nous abordons aussi le malaise dans nos conversations. Nous sommes un peuple de conteurs ; raconter nous paraît plus naturel que de peindre un tableau en espérant que quelqu’un en tirera quelque chose. J’ai une histoire personnelle à raconter. Nous traitons de l’histoire de la colonisation et du christianisme, non pas d’une manière colérique ou blessante, mais à partir des faits. Nous nous demandons pourquoi nous nous conformons, pourquoi nous sommes confinés par ces contraintes artificielles alors qu’il pourrait en être autrement. Nous évoquons et élaborons des pensées qui donnent à réfléchir. Il ne s’agit pas de répondre aux questions, mais de les garder à l’esprit.
Pendant Qaumma, il y a ce soulèvement, ce moment de rassemblement qui n’est pas une résolution. Pouvez-vous nous en parler ?
L.W.B. : Il ne s’agit pas pour nous de résoudre quoi que ce soit ni d’absoudre qui que ce soit. Il s’agit de faire comprendre aux gens que nous réclamons notre espace, notre culture, notre langue et notre histoire et que cette démarche est pétrie de difficultés. Et ce sentiment est si exaltant quand il nous est reflété qu’il nous soulève tous. Ils doivent faire l’expérience de ce sentiment.
V.K. : Qaumma signifie « lumière » et j’ai toujours imaginé que la lumière que porte mon peuple est protégée des attaques venant de toutes parts. Maintenant, nous voulons affirmer que « notre lumière est de retour. Utilisez-la, jouez avec elle, grandissez avec elle, montrez-la ou gardez-la pour vous, elle vous appartient ! »
D’ascendance groenlandaise, Laakkuluk Williamson Bathory naît à Saskatoon et vit à Iqaluit depuis 2005. La nécessité de faire exister les récits fondateurs de sa culture sur les ravages du colonialisme est indissociable de sa pratique artistique qui se diversifie et se transforme continuellement depuis une trentaine d’années.
Membre fondatrice et directrice artistique de Qaggiavuut jusqu’en 2021, un organisme qui promeut la conservation, le développement et la transmission des arts inuits, Williamson Bathory est également curatrice, sculptrice, actrice, metteuse en scène et poète.
Dans l’installation Nannuppugut! (2021), qui lui a valu le prestigieux Prix Sobey pour les arts, elle expose la peau d’une ourse polaire qu’elle a abattue pour défendre sa famille et honore son âme en y projetant une vidéo où elle exécute une danse au tambour, en prise directe avec la matérialité et la vie spirituelle de la chair, humaine comme animale. Elle accorde une place centrale à la conversation, notamment avec les aînés dont les histoires sont l’objet d’amour et de révérence dans Kiviuq Returns (2017-2019).
Vincent « Vinnie » Karetak est une icône culturelle de l’Inuit Nunangat (la terre des Inuits). Son visage est instantanément reconnu par les Inuits, jeunes et moins jeunes, pour son travail en humour, en journalisme, dans les arts du spectacle, au théâtre et au cinéma.
Qu’il joue dans une émission très appréciée d’APTN comme Qanurli, sonde le chagrin d’amour dans ses propres courts métrages, plaide en faveur d’un centre d’arts de la scène inuit au Nunavut, ou cocrée Kiviuq Returns avec Laakkuluk Williamson Bathory, son dévouement pour les arts ne se résume pas à un seul genre.
Il se passionne pour l’inuktitut et sa place légitime en tant que langue de travail au Nunavut, pour les Inuits qui créent de l’art pour les Inuits, pour les processus de communication qui remettent en question la colonisation, et pour les liens familiaux inuits.
Charlotte Qamaniq est une artiste de performance, actrice et chanteuse de gorge, pratiquant à la fois les styles contemporain et traditionnel, originaire d’Iglulik, au Nunavut. Elle est une Inuk du nord de Baffin, surtout connue pour son travail au sein du duo de chant de gorge Silla et du groupe Silla and Rise, nommé deux fois aux prix Juno.
Parmi les faits marquants de sa carrière figurent une performance musicale et un rôle d’actrice dans la quatrième saison de la série télévisée True Detective: Night Country de HBO, ainsi que des rôles dans les productions théâtrales Unikkaaqtuat, Kiviuq Returns: An Inuit Epic et Qaumma. Elle a sorti cinq albums, dont trois ont été en nomination aux prix Juno, et a collaboré avec des artistes de renom tels que Tanya Tagaq, Keiino et Laakkuluk Williamson Bathory.
Aqqalu Berthelsen, également connu sous le nom de Uyarakq, est né à Nuuk (Groenland) au milieu des années 80. Il est un producteur de musique autodidacte, compositeur et DJ avec une formation en musique métal.
Ayant grandi à Uummannaq, dans le nord du Groenland, et à Nuuk, la capitale, ces lieux ont joué un rôle important dans sa formation en tant que musicien polyvalent entre deux mondes. En 2021, avec Hanan Beannamar, il a créé la performance This Is Our Body à Harstad, lieu de naissance du missionnaire Hans Egede, marquant les 300 ans de colonisation des Kalaallit Nunat. Il travaille actuellement beaucoup dans la scène hip hop et rap autochtone circumpolaire, avec un pied sur deux continents, l'Arctique nord-américain et l'Arctique européen. Il vit désormais à Inari, dans le nord de la Finlande / Sápmi.
Elysha Poirier a débuté sa carrière en design graphique avant de se tourner vers l’animation pour des courts-métrages, le VJing, puis la conception de projections pour la scène. En combinant des sources numériques et analogiques, elle crée des univers propres, reflétés dans des environnements mêlant médias mixtes et 3D numérique. Le travail d’Elysha est étroitement lié au mouvement et au son, où elle traduit l’audio et les gestes en animations graphiques en temps réel. Elle a réalisé un large éventail d’installations et participé à des performances en direct pour la danse, la musique expérimentale, le théâtre et le web. Elle a également collaboré avec Laakkuluk Williamson Bathory sur Kiinalik: These Sharp Tools (Buddies In Bad Times Theatre). Parmi ses récents projets figurent All Of Our Dreaming (Dreamwalker Dance Company) et World After Dark (Shannon Litzenberger Contemporary Dance).
Jean Gaudreau a travaillé comme assistant metteur en scène et régisseur sur plus de soixante-quinze spectacles depuis 1993, et sur plus d’une centaine d’autres en tant que compositeur et concepteur sonore membre de Larsen Lupin. Il a aussi gouté à la mise en scène, et même à l’écriture, et se régale joyeusement de toutes ces professions.
On le retrouve surtout au théâtre, mais aussi en danse contemporaine, et au cinéma. Quelques exemples dans un ordre échevelé : Zéro, La machine de Turing, Le vrai monde?, Mashinikan, La Queens’ (en balado et en scène), toutes les versions de Un. Deux. Trois, Boisbouscache : Territoire sous influence, Ceux qui se sont évaporés, Marc Messier : seul… en scène!, L’énéide, 21, Ground, Hidden Paradise, Des souris et des hommes, Neuf [titre provisoire], Le déclin de l’empire américain (au théâtre) et Dimanche napalm.
Catherine Fée-Pigeon, éclairagiste des arts vivants depuis 2013, allie habilement sa passion pour l’éclairage et les arts médiatiques. C’est au cours de ses études en Intermedia and Cyberarts à Concordia qu’iel fait ses premiers pas dans le monde de la scène en éclairant les performances du Art Matters Festival. Dès lors, l’éclairage devient le pilier central de sa pratique artistique et reste toujours étroitement lié aux nouvelles technologies.
Ses créations sont souvent le fruit d’une approche technique complexe, mêlant programmation avancée, utilisation de logiciels tiers et dispositifs électroniques. Forte de ses expériences dans le domaine musical, Catherine élargit ses compétences en programmation live, enrichissant ainsi ses conceptions pour le théâtre et la danse. De manière réciproque, son travail dans le domaine musical imprègne ses créations d'une dimension théâtrale unique.
Au cours des dernières années, Catherine a tourné avec le spectacle Crash des Louanges, et a conçu les éclairages pour les derniers spectacles de Claire Renaud, Laakuluk Williamson Bathory, Pénélope Deraîche-Dallaire et Claudia Chan Tak. Son implication ne se limite pas à l’éclairage ; iel a également incarné un personnage secondaire dans le spectacle Explosion de Pleurer Dans la Douche, tout en continuant de mettre en lumière l'ensemble de la production.
Catherine D Lapointe est une scénographe et artiste visuelle originaire de La Prairie, dont le parcours s’enracine dans une exploration intime et sensible des matières végétales, textiles et environnementales. À travers son métier de scénographe et de fleuriste, Catherine tisse un dialogue constant entre le corps, la matière et l’espace. Son travail s’articule autour de la quête de repossession de soi, en puisant dans la vulnérabilité et les traumas comme vecteurs de création.
En alliant végétaux, textiles et matériaux de construction, elle explore des thèmes tels que l’éphémère, l’écologie et la transformation. Son approche unique donne lieu à des installations à échelle humaine et des relectures photographiques intégrant broderie et matières organiques. Parmi ses œuvres marquantes, les séries Perce neige (2021) et Florimorphe (2023), réalisées en duo avec la photographe Camille Gladu-Drouin, traduisent une esthétique puissante où se mêlent charge émotive et female gaze.
Depuis 2020, Catherine multiplie les collaborations en scénographie et installations immersives. Elle signe des conceptions pour des événements majeurs tels que le Festif! de Baie-St-Paul, le Festival TransAmériques et le Festival du Nouveau Cinéma de Montréal. Elle a également marqué la scène théâtrale en collaborant à des productions comme Atteintes à sa vie de Philippe Cyr (Usine C, 2022).
En mai 2024, son exposition Averses passagères, présentée chez Gham & Dafe, a offert une réflexion poétique et introspective sur le rapport individuel face aux clichés véhiculés autour du mythe de la personne borderline. Prolongeant sa recherche artistique sur les cycles de vie, la mémoire des corps et la résilience, cette œuvre souligne la puissance créatrice contenue dans la vulnérabilité.
Qaumma fait partie des collaborations les plus humainement riches auxquelles Catherine a eu le privilège immense de participer, consolidant son désir de création ancré dans l’authenticité et le partage.
Depuis plus de dix ans, Claudie Gagnon a occupé divers postes au sein de l'écosystème artistique montréalais, notamment ceux de directrice technique, régisseuse et assistante à la mise en scène pour des compagnies telles qu'Onishka et La Fratrie. Par son travail, elle souhaite contribuer au développement des arts de la scène au Québec, tant à l'échelle locale qu'internationale.
Co-création et mise en scène
Laakkuluk Williamson Bathory
Co-création/Interprète
Vincent Colin Karetak
Interprète
Charlotte Qamaniq
Musique
Aqqalu Berthelsen
Conception des projections
Elysha Poirier
Conception sonore
Jean Gaudreau
Conception d'éclairage
Catherine Fée-Pigeon
Scénographie
Catherine D. Lapointe
Produit par
Tulaffik
Contenus vidéo et images présentés dans Qaumma :
Kikkik E1-472 (Film, 2007)
Scénario de Elisapee Karetak (fille de Kikkik, mère de Vinnie Karetak)
Réalisateur : Martin Kreelak
Disponible sur : Isuma TV
The Living Stone (Film, 1959)
Réalisateur : John Feeney
Les images de ce film sont incluses dans le but de la réappropriation et de redéfinir les récits autour de la représentation des Inuits au cinéma.
Photos de famille fournies par :
Laakkuluk Williamson Bathory
Charlotte Qamaniq
Vinnie Karetak
Directeur artistique
Kevin Loring
Directrice administrative
Lori Marchand
Production / Département de la Production
Spike Lyne
Productrice
Michelle Yagi
Productrice associée
Brit Johnston
Stagiaire en production
Jessica Campbell-Maracle
Porte-parole culturelle
Mairi Brascoupé
Coordonnatrice d’éducation
Kerry Corbiere
Stratège communication
Ian Hobson
Stratège marketing
Marie-Pierre Chaumont
Chef de studio
Stephane Boyer
Assistant
David Reynolds
Audio
Rob Burgess
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre