≈ 60 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 14 mars 2024
Dans un doux trouble
« La littérature du nord est nourrie – nous sommes en Norvège – d’une mythologie ancienne où vie et mort, parole et mutisme, sagesse et folie, nuit et jour, ont des frontières très peu visibles. […] Tarjei Vesaas écrit une lumière inconnue, hésitante, pleine de soubresauts. Elle tire sa force de son origine : le noir. » – Claude Régy
Il y a des romans qui ne nous lâchent pas, une fois qu’on les a lus, ils font partie de nous pour toujours et nous travaillent patiemment de l’intérieur. Le palais de glace fait partie de ceux-ci. Je l’ai lu pour la première fois il y a une vingtaine d’années. J’ai été subjuguée alors par l’histoire de Siss et Unn. À onze ans, elles sont frappées d’un choc amoureux, une amitié magnétique qui les unie quasi instantanément, à la vie et à la mort. À onze ans, on a un pied dans l’enfance et l’autre dans l’âge adulte, on a donc un peu tous les âges. Tant de choses sont vécues intensément parce qu’elles sont inédites, mais on a aussi la capacité de faire des choix, de mener son chemin coûte que coûte. Dans ce roman, qui n’est pas a priori écrit pour les enfants, jamais Vesaas n’infantilise ses personnages. Il les peint puissantes, les yeux grands ouverts face au trouble qui les habite et les entoure. Une de mes premières intuitions était que cette histoire pouvait s’adresser à toutes et à tous, peu importe l’âge. C’est devenu un défi que nous nous sommes lancé : faire un spectacle tout public, gorgé de trouble et de beauté.
Carnet de voyage
Au-delà du récit, à la fois simple et plus grand que nature, les climats et les paysages sont au premier plan dans Le palais de glace. Jamais on ne s’appesantit sur les sentiments des personnages. Siss et Unn préservent leur mystère. Les paysages qui les entourent nous sont, eux, dévoilés dans leurs moindres secrets. Ils vibrent au rythme de ce qui traverse les personnages, le temps d’un hiver en Norvège. Cette écriture atmosphérique appelle la scène. Dans la lignée de White Out, nous avons eu envie de continuer à creuser ces ambiances du nord, de plonger nos corps entiers dans les climats de Vesaas, de se glisser dans la tête de Siss, sur les traces d’Unn et d’amener les spectateurs·rice·s, petit·e·s et grand·e·s, avec nous.
Enregistrer les montagnes
Pour donner vie aux paysages dans lesquels se déroule le roman, il fallait en prendre le pouls. Nous sommes donc partis en Norvège pour écouter le vent, observer les arbres et enregistrer les montagnes. Un sentiment de familiarité dosé d’une équivalente part d’étrangéité a teinté notre voyage. Les forêts ressemblent aux nôtres, mais elles nous sont apparues plus profondes, à la hauteur du mystère que sème Tarjei Vesaas dans son magnifique Palais de glace et dans tous ses écrits, d’ailleurs. Le vent, les oiseaux, les craquements de la glace, le déferlement de la cascade y sont aussi importants sinon plus que les humains qui les côtoient. Cela ouvrait un terrain de jeu infini pour le déploiement des environnements sonores.
Se perdre dans la lumière
La lumière nordique nous obsède. Diffuse et insaisissable, elle provient uniquement de la réflexion sur les nuages d’un soleil qui, l’hiver, ne se lève pas au-delà de l’horizon. Enveloppante, elle fait vibrer différemment les paysages et semble remuer nos corps. Rare, on s’émerveille à chaque instant de sa qualité. C’est peut-être pour cela qu’elle est si présente et puissante dans le roman.
Ce qui ne l’empêchait pas, ce soleil tardif et froid, de conserver une grande partie de sa force. Les rayons traversaient l’épaisseur des murs de glace [...], tout sans exception dansait dans cet océan de lumière qui déferlait à l’intérieur.
De glace est une invitation à ausculter l’obscurité et à en apprécier les nuances infinies. Dans le sillage d’Unn, nous sommes amenés à se perdre dans la lumière, à s’abandonner tout entier à ce qu’elle fait surgir autour et à l’intérieur de nous.
- Anne-Marie Ouellet, Chercheuse d’art
- Thomas Sinou, Ingénieux du son
- Nancy Bussières, Prospectrice de lumière
L’immense palais de glace se révélait sept fois plus grand et plus extravagant quand on se tenait en bas.
D’ici, les murs de glace lui apparaissaient aussi hauts que le ciel ; ils grandissaient à mesure qu’elle y réfléchissait. Unn flottait dans un état d’ivresse. L’endroit fourmillait de pavillons et de chapiteaux, tant et tant qu’il lui était impossible de les dénombrer. L’eau avait contraint l’édifice à se dilater dans toutes les directions tandis que, au centre, la cascade se précipitait en chute libre, en se ménageant un espace rien qu’à elle.
Certaines surfaces délaissées par l’eau avaient achevé leur construction, elles étaient luisantes et sèches. D’autres étaient tapissées de buée et de gouttes, de ruissellements qui en un clin d’œil se transformaient en une glace turquoise.
C’était un château enchanté! Il fallait absolument essayer d’y pénétrer, pour peu qu’il y ait une ouverture. L’intérieur regorgeait à coup sûr de portails et de couloirs biscornus – oui, décidemment, il fallait y entrer. Le somptueux palais de glace avait un aspect si singulier que, devant lui, Unn oublia tout. Un seul désir l’animait : entrer.
Tarjei Vesaas, Le palais de glace, roman traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Éditions Cambourakis, « Babel », 2016.
Tarjei Vesaas est né en 1897 à Vinje, au sud de la Norvège, et mort en 1970, à quelques kilomètres de la ferme familiale. La vie paysanne, l’exaltation de la vie et de la terre, l’enfance et sa psychologie, comptent parmi les thèmes majeurs de son œuvre. Le palais de glace a été distingué en 1963 par le grand prix du Conseil Nordique, et est, avec Les oiseaux, l’un des romans les plus emblématiques de l’art de Vesaas. Aux éditions Cambourakis, son œuvre est traduite en français par Jean-Baptiste Coursaud et Marina Heide, dont Le palais de glace, Nuit de printemps, Les ponts et Les oiseaux.
Fondée par Nancy Bussières, Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou.
Que ce soit sur un lac gelé ou dans un CHSLD, L’eau du bain se déplace pour créer, sort de la boîte noire pour aller à la rencontre de nouveaux paysages, d’autres personnages.
Basé à Chelsea en Outaouais, l’organisme puise sa matière première dans le réel et la façonne pour créer des univers enveloppants dans lesquels les trames fictionnelles apparaissent et s’évanouissent. Les installations comme les œuvres théâtrales de L’eau du bain déploient un langage scénique et numérique où le son et la lumière sont conçus pour faire vibrer le corps interne du spectateur ou de la spectatrice, qu’iel soit adulte ou enfant. À chaque création, des nouvelles règles de jeu sont statuées et des nouvelles machines sont inventées.
Le travail avec et pour les communautés est central à la démarche de L’eau du bain, il la façonne de l’intérieur. Les artistes de la compagnie créent avec des gens de tous âges et d’horizons variés pour accueillir les différences et sortir des territoires familiers. L’aspect plus sensoriel que narratif des expériences que L’eau du bain propose permet une grande accessibilité.
Dans les dernières années, l’organisme a présenté White Out et La chambre des enfants (au Centre national des Arts, au Festival TransAmériques et au Carrefour international de théâtre), ainsi que Solarium (au Mois Multi et au BIG BANG – Ottawa, Lille, Rouen et Anvers) et Le Musée de la famille (à la biennale Zones Théâtrales et à la Maison Théâtre).
Julien Morissette s’est récemment entretenu avec deux inspirantes artistes de la saison 2023-2024 du Théâtre français : Anne-Marie Ouellet et Anne-Marie Guilmaine. Ensemble, elles ont échangé autour de leurs créations respectives pour tout public : De glace (du 13 au 17 mars 2024) et Dérive de nuit (les 5 et 6 avril 2024).
Anne-Marie Ouellet, auteure et metteure en scène, c’est l’infatigable prospectrice de la compagnie L’eau du bain (Nous voilà rendus, Le son de l’ère est froid, Impatience). Aidée de son allié Thomas Sinou, elle fouille le réel pour y trouver la pépite d’or/d’art à mettre sur scène, et c’est toujours un jeu espiègle, parfois déroutant, entre le public et les acteurs, entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean, Anne-Marie a beaucoup voyagé pour parfaire sa formation, de Chicoutimi à Paris (Conservatoire), en passant par Montréal (UQAM). Elle enseigne aujourd’hui à l’Université d’Ottawa.
Prospectrice de lumière
Depuis près de vingt ans, Nancy Bussières traque la lumière! Éclairagiste de renom, elle collabore à une foule de performances, de productions de théâtre, de cirque et d’opéra, notamment avec les compagnies L’eau du bain et Champ libre. Cette professeure à l’Université du Québec à Montréal et chercheure à Hexagram, un organisme international en art médiatique, sculpte aussi cette matière évanescente en créant ses propres installations lumineuses. Nancy Bussières s’intéresse fortement aux nouvelles technologies, aux approches novatrices pour mettre la lumière en mouvement, et réfléchit sur la place qu’elle occupe, non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Bref, des questions brillantes!
Thomas Sinou, c’est l’astucieux créateur sonore derrière les œuvres de la compagnie L’eau du bain. Né à Marseille, il reçoit sa formation à l’Institut supérieur des techniques du son, puis il immigre au Québec en 2006. Thomas s’intéresse aux installations et à l’interactivité entre le public, les acteurs et l’espace scénique. Pour concevoir des spectacles hybrides qui donnent « la parole à la vie muette », lui et sa complice Anne-Marie Ouellet n’hésitent pas à infiltrer divers milieux, que ce soit un centre de personnes âgées (Nous voilà rendus) ou un groupe d’adolescents (Impatience).
Texte
Tarjei Vesaas
Traduction
Jean-Baptiste Coursaud
Adaptation
Mélanie Dumont et Anne-Marie Ouellet
Mise en scène
Anne-Marie Ouellet
Lumière
Nancy Bussières
Son
Thomas Sinou
Avec
Émilie Camiré-Pecek
Justine Fortin-Lacombe
Odile Gagné-Roy
Marie-Pier Lajoie
Guillaume Saindon
Dramaturgie
Mélanie Dumont
Assistance à la mise en scène
Elyse Gauthier et Guillaume Saindon
Scénographie et costumes
Karine Galarneau
Conception multimédia
Guillaume Saindon
Direction de production
Mégane Trudeau
Direction technique
Charlie Loup S. Turcot
Production
L’eau du bain et Théâtre français du CNA
Isabelle Bélisle, Sylvain Schryburt, David Poisson, Marie-Mance Simard, Laval Ouellet, Département de théâtre de l’Université d’Ottawa, École supérieure de théâtre de l’UQAM et Théâtre Denise-Pelletier
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre