Le virus et la proie

Théâtre manifeste en forme de brûlot politique

2023-11-22 20:00 2023-11-25 22:00 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Le virus et la proie

https://nac-cna.ca/fr/event/33686

Événement en personne

L’expression est éculée, mais pas ici : voici une véritable pièce de théâtre coup de poing! Quatre interprètes de feu se partagent ce brûlot – fulgurant réquisitoire contre l’injustice et la violence de l’ordre établi – comme un seul souffle, un cri, celui de l’intellectuel et auteur Pierre Lefebvre. La proie ouvre sa gueule et l’avaleur est, pour une fois,...

Read more

Studio Azrieli ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
22 - 25 nov 2023
22 - 25 nov 2023

≈ 1 heure et 35 minutes · Sans entracte

Dernière mise à jour: 3 novembre 2023

Mot de l’auteur

Je ne sais pas si vous connaissez la chanson de Maurice Chevalier qui s’intitule « Quand un vicomte »? Les paroles vont comme ça :

Quand un vicomte
Rencontre un autr’ vicomte
Qu’est-ce qu’ils s’racontent?
Des histoires de vicomtes

Mais quand une personne n’ayant aucun pouvoir s’adresse à un « monsieur » qui les a tous, qu’est-ce que celle-ci peut bien lui raconter? Et comment l’autre peut-il bien lui prêter l’oreille?

La pièce que vous allez voir tente de répondre à la question.

Bon spectacle!

Mot du metteur en scène

Plonger dans un texte et avoir l’impression d’en émerger. L’entendre nous révéler ce qui en nous demeurait vague, indicible mais violemment ressenti. Y découvrir, fluide, précis, le déroulement d’une pensée incarnée, profonde, qui rend limpide notre propre désarroi, notre colère, notre impuissance. Notre béance aussi. Il est vrai que parfois les écrits nous révèlent à nous-mêmes, qu’ils ont le pouvoir d’élargir notre expérience humaine. Le virus et la proie est de ceux-là. Il donne une parole à l’humain étouffé par ce système qu’il a lui-même conçu, nourri, et qui, aujourd’hui, s’emballe et le rejette. Un système intangible qui rend irréelle la réalité. C’est la voix d’un looser face à un winner. Un looser que nous avons, sur scène, multiplié par quatre, mais qui aurait pu être porté par des millions de voix. La scène comme un espace littéraire incarné où la parole surgit de la moelle des os, des tripes et des poumons. Et du cœur bien entendu. Une parole unique mais solidaire.

Présentation de la pièce

« Réussir, monsieur, y pensez-vous? Quelle tristesse. Je ne connais pour ma part rien de plus honteux, de plus humiliant, de plus dégradant que la réussite. De plus horrible, aussi. L’état du monde, monsieur, sa misère lamentable, sa boursouflure grotesque, les ravages accomplis chaque jour par l’industrie, n’importe laquelle – pétrolière, minière, pornographique, culturelle –, d’où pensez-vous que ça découle si ce n’est de la réussite de ceux et celles qui réussissent? »

Qui n’a jamais ressenti ce sentiment d’impuissance face à ceux et celles qui détiennent le pouvoir? Qui n’a jamais éprouvé le besoin urgent d’apostropher ces puissants et puissantes, qui semblent évoluer dans un monde à part? Ne pouvant plus se taire, quatre personnages s’adressent à « Monsieur », figure indéfinissable qui représente différentes factions du pouvoir. Ensemble, ils tentent le tout pour le tout et lancent une charge directe contre l’injustice.

L’écrivain et intellectuel Pierre Lefebvre mobilise sa plume percutante et son indignation pour signer un texte empli de lucidité, de sensibilité et d’ironie. Avec cette prise de parole affutée et tremblante de vérité, l’auteur met en relief toutes les toutes les infections sociales qui minent l’égalité des chances au sein de notre système néolibéral. Une charge frontale contre la violence du statu quo et surtout un plaidoyer pour la poésie, pour ce qui, en nous, s’avère fragile et si difficile à nommer.

La mise en scène, signée Benoît Vermeulen, mise sur un plateau totalement dépouillé, sculpté par la lumière, laissant toute la place au jeu et à la parole des interprètes.

Le spectacle a été créé le 27 mai 2022 au Festival TransAmériques (FTA), à Montréal.

Le texte Le virus et la proie, de Pierre Lefebvre, est publié aux éditions Écosociété (2022).

En septembre 2023, l’auteur recevait pour son texte le tout premier Prix de l’essai LQ, créé par la revue Lettres québécoises en collaboration avec Les Correspondances d’Eastman.

Entretien avec Pierre Lefebvre et Benoît Vermeulen

Entretien réalisé et rédigé par Paul Lefebvre

Pierre Lefebvre, qu’avez-vous écrit au juste?

Pierre Lefevre : J’ai écrit un essai sur l’impact de la politique sur le corps, conçu pour avoir deux vies : une vie sur papier et une vie sur scène. Tout est parti d’un court texte qu’Olivier Choinière m’avait demandé en 2016 pour son second 26 lettres : Abécédaire des mots en perte de sens. Il m’avait confié la lettre L pour « Libéral » – l’idée, par le parti. Alors j’ai adressé ma lettre à Philippe Couillard, le premier ministre à l’époque. J’y abordais deux questions. Un : il n’existe pas d’endroit où lui et moi pouvons nous parler. Si tu n’as pas toi-même de pouvoir, toute conversation avec François Legault, Pierre Karl Péladeau, Jeff Bezos ou Alain Bouchard est concrètement impossible…

Deux : pour justifier ses mesures d’austérité, Couillard avait fait valoir qu’elles étaient nécessaires pour ne pas faire baisser le statut du Québec auprès des agences de cotation de New York, pour ensuite se réjouir du succès de sa stratégie. Qu’un premier ministre supposément souverain dans ses fonctions brime ses concitoyens pour obéir à des instances privées étrangères a soulevé chez moi la question : comme citoyen, à qui me fait-on obéir?

Par la suite, j’ai participé comme dramaturge au projet de Système Kangourou avec des adolescents intitulé Le pouvoir expliqué à ceux qui l’exercent (sur moi); ce travail m’a fait revisiter la pensée de philosophes comme Hannah Arendt, Tocqueville, Montaigne, La Boétie et Rancière dans un cadre théâtral sous le signe de l’oralité.

De plus, au cours des années, des comédiens comme Alexis Martin et Sébastien Ricard ou des metteurs en scène comme Dominic Champagne et Christian Lapointe avaient porté de mes textes non théâtraux à la scène, lesquels y acquéraient une dimension supplémentaire.

Benoît Vermeulen, quels sont les défis de porter à la scène une telle écriture?

Benoît Vermeulen : Je ne connaissais pas vraiment l’écriture de Pierre lorsqu’il m’a proposé d’explorer la théâtralité son texte au cours d’un laboratoire très libre. Et dès que j’ai lu Le virus et la proie, j’ai tout de suite perçu son potentiel théâtral. Cela dit, théâtraliser efficacement cette écriture pour qu’elle passe de la scène à la salle n’est pas évident.

La langue est dense, à première vue intellectuelle, mais dès que l’on se la met en bouche, elle investit le corps. Aussi, il fallait faire en sorte que le rapport entre la scène et la salle serve à établir un rapport de citoyen·e·s à citoyen·e·s. L’évidence de cet impact corporel nous a guidés. Avec les interprètes, il a d’abord fallu accomplir un travail de décorticage du sens. Nous avons passé parfois trois heures sur une seule page – ça, c’est jouissif! –, mais une fois ce travail fait, un phénomène étonnant se produit : le texte devient très facile à comprendre à l’audition, beaucoup plus qu’à la lecture. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré la lecture publique que nous en avons faite au FTA en 2021.

Il fallait aussi dynamiser le texte, qui donne d’abord la fausse impression d’avancer régulièrement, et mettre en valeur ses contrastes et ses tensions : il n’y a pas de conflits internes, mais des allers-retours entre l’intime et le politique qu’il faut mettre en lumière. Il a fallu diviser le texte, l’attribuer. J’étais d’accord avec Pierre sur l’intérêt de démultiplier cette parole plutôt que d’en faire un monologue. Le fait d’avoir une distribution d’âge et d’origine diversifiés donne davantage de puissance au portrait de la déshumanisation quotidienne que porte le texte. C’est un phénomène qui affecte toutes les classes sociales, toutes les cultures. Et comme Le virus et la proie ne cesse de mettre en lumière un état de fait révoltant, il fallait aussi éviter le cynisme et la colère continuelle, qui aurait poussé les interprètes à jouer de façon enragée du début à la fin.

La pandémie a-t-elle influencé le développement du spectacle?

Pierre Lefebvre : La pandémie a créé un trou dans le travail, mais ce temps d’arrêt a provoqué un mûrissement au sein de l’équipe. À la reprise du travail, tout s’est naturellement déposé dans une sorte d’essentiel : incarner la parole en toute simplicité. Les interprètes sont arrivés là où ils doivent être : dans leur corps, pas dans leur tête.

Benoît Vermeulen : Cette idée de simplicité s’est encore davantage imposée pour la théâtralité du spectacle. Certes, il y a une scénographie, mais ce n’est pas un décor. Pour ce qui est des accessoires, des costumes, de la lumière, nous avons été à l’écoute de l’énonciation du texte par les interprètes et n’avons apporté – un à un – que les éléments qui, au fil du travail, nous ont paru nécessaires pour rendre le sens plus limpide.

(Publié dans le programme du spectacle lors de sa création au FTA en mai 2022)

Le Nouveau Théâtre Expérimental

Le Nouveau Théâtre expérimental (NTE) est l’une des compagnies résidentes et fondatrices d’Espace Libre, une ancienne caserne de pompiers de la rue Fullum à Montréal transformée en espace de jeu à géométrie variable. La compagnie a été fondée en 1979 par Robert Claing, Robert Gravel, Anne-Marie Provencher et Jean-Pierre Ronfard. Le NTE privilégie un théâtre de de recherche et de création qui représente un espace de liberté unique en son genre dans le paysage culturel québécois. Daniel Brière et Alexis Martin assurent conjointement la direction artistique de la compagnie. Parmi les œuvres du tandem Martin/Brière, on retrouve la trilogie L’histoire révélée du Canada-français, 1608-1998, Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie, Animaux, Bébés, Les morts ainsi que la pièce Une conjuration, créée à Espace Libre à l’automne 2023.

Artistes

  • Pierre Lefebvre
    Texte  Pierre Lefebvre
  •  Mise en scène  Benoît Vermeulen

Crédits

Texte
Pierre Lefebvre

Mise en scène
Benoît Vermeulen

Interprétation
Tania Kontoyanni, Alexis Martin, Ève Pressault et Madani Tall

Assistance à la mise en scène et régie
Ariane Lamarre

Lumière
Anne-Sara Gendron

Musique
Guido Del Fabbro

Costumes et accessoires
Estelle Charron

Maquillage
Sandrine Bisson

Conseil au mouvement
Line Nault

Direction technique
Caroline Turcot

Assistance à la direction technique
Clara Desautels

Direction de production
Isabelle Gingras

Surtitrage, traduction, révision et découpage des surtitres
Élaine Normandeau

Production déléguée
Nouveau Théâtre Expérimental

Coproduction
Festival TransAmériques, Théâtre français du CNA et Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Alliance internationale des employés de scène et de théâtre