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Dernière mise à jour: 9 juin 2022
« Rien ne peut m’arrêter
Je suis remplie de titanium
De la tête aux pieds »
Le 28 mai 2013, alors qu’elle se rend à vélo à une répétition de théâtre, Audrey Talbot est frappée par un camion poids lourd. Son corps est broyé en une fraction de seconde, mais elle survit grâce à une suite miraculeuse de circonstances et un travail acharné. Entourée d’une distribution chorale (Francis Ducharme, Catherine Larochelle, Papy Maurice Mbwiti et Leni Parker), elle revient sur son périple surréel vers la renaissance.
Après des années passées dans les corridors des hôpitaux, les salles d’opération et les services de rééducation, l’autrice et comédienne quitte le mode survie et se réapproprie à la fois sa propre histoire et son métier. Gardant peu de souvenirs de ses mois de reconstruction, elle part sur les traces de sa renaissance en allant à la rencontre de ceux et celles qui l’ont accompagnée. Le récit de cette seconde chance, guidé par la rigueur sensible de Philippe Cyr à la mise en scène, nous entraîne dans une réflexion vertigineuse sur la nature humaine et sa résilience.
Mot de l’autrice
Si on m’avait dit qu’un jour, je vous raconterais cette histoire, jamais je n’y aurais cru.
Tout ça n’est pourtant pas de la fiction. Tout ce que vous entendrez m’est bel et bien arrivé.
Qui pouvait prévoir que je traverserais la mort pour revenir à la vie? Que mes atomes formeraient une armée qui clamerait haut et fort que mon heure n’était pas venue?
Le corps en morceaux, j’ai dû retrousser mes manches : pour regagner mes acquis, il a fallu que je m’astreigne à un entraînement spartiate. Encore fallait-il m’approprier cette nouvelle enveloppe qui fonctionne différemment de la première que j’ai eue.
Mais le travail a payé.
J’ai réussi à retrouver ma liberté.
Pari remporté!
Mais vraiment? Après tout ça, il y aurait une autre traversée?
Eh bien oui.
Pour quitter le mode survie et réintégrer véritablement le monde, j’ai eu besoin de connaître toute l’histoire.
Celle qui m’appartient et dont pourtant, je ne savais rien.
La nécessité de revenir à la source a alors pris toute la place.
Pas pour trouver des réponses : ça, je savais que ce serait peine perdue.
Mais pour connaître le chemin. Je devais rencontrer ceux et celles qui étaient là dans toutes les étapes, qui m’ont accompagnée. Revoir toutes les personnes qui m’ont permis de pouvoir vous raconter.
Ce tunnel a été très long et très noir. Ce n’est pas facile, vivre dans un corps titan. Mais j’ai fini par trouver toutes les fissures où la lumière a fait son chemin. C’est vers le soleil que j’ai envie de m’approcher avec vous.
- Audrey Talbot
Audrey Talbot termine sa formation en interprétation au Collège Lionel-Groulx en 2001. Depuis sa sortie, elle a participé à une vingtaine de productions théâtrales, dont plusieurs destinées au jeune public : L’oiseau vert, commedia dell’arte puis Münchhausen, les machineries de l’imaginaire ainsi que Pinocchio avec le Théâtre Tout à Trac sous la direction de Hugo Bélanger, Le pays des genoux et Le bruit des os qui craquent de la compagnie Le Carrousel, deux spectacles mis en scène par Gervais Gaudreault, ainsi que l’édition 2009 des Zurbains avec le Théâtre Le Clou, dans une mise en scène de Monique Gosselin. Ces différents projets l’amènent à jouer en France et partout à travers le Québec. Elle adore aller à la rencontre des différents publics jeunesse parce que ceux-ci sont entiers dans leur façon de répondre à la représentation à laquelle ils assistent. Ces expériences la mènent à faire aussi de la médiation à La Maison Théâtre.
Audrey participe également à la création du spectacle Tout comme elle mis en scène par Brigitte Haentjens, joue le rôle-titre dans Marie Stuart de Dacia Maraini mis en scène par Marc-André Bourgault et retrouve ce dernier pour la création de (Dévoilé). Elle conçoit avec quatorze autres créateurs et créatrices le iShow présenté à plusieurs reprises à Montréal puis en tournée au Canada ainsi qu’en France. Ce spectacle a d’ailleurs remporté le prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre pour « Meilleure production Montréal ».
Corps titan (titre de survie) est son premier texte. Coproduit par L’Homme allumette, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTD’A) et le Théâtre français du CNA, le spectacle voit le jour une première fois au CTD’A en avril 2021, dans une jauge très réduite au vu des mesures sanitaires du moment. Le texte est publié aux éditions L’instant même.
Mot du metteur en scène
Il y a des projets auxquels on ne peut dire non. Des paroles que l’on vous met entre les mains, qui brulent aussitôt, qui frappent par leur urgence.
Corps titan (titre de survie), c’est littéralement le projet d’une vie. Assurément pour Audrey, mais aussi pour tous les collaborateurs et collaboratrices qui ont accepté de se frotter à une matière rare, brute, mais surtout inconnue.
Car au-delà de ce qu’on peut imaginer d’un tel évènement, c’est ce qu’on ne sait pas qui happe. J’ai donc plongé tête baissée dans ce récit avec l’humilité de l’ignorant. La seule posture possible face à ce qui est plus grand que nous.
À quelques jours de la première, il est trop tôt pour faire le bilan, mais je sais déjà que ce projet laissera de profondes traces en moi. Le regard que je pose sur mon métier sera à jamais teinté par la force d’Audrey, par sa détermination, par la vie qui la traverse et la pousse sur scène.
Audrey, merci de nous permettre de faire ce bout de chemin à tes côtés.
En cette période où tout nous éloigne, pouvoir se rassembler et se raconter est un privilège immense. Plus que jamais j’en comprends le sens. J’en mesure littéralement la valeur à travers le calcul des distances et du temps entre nos corps. Des contraintes importantes qui au lieu de nous freiner, nous font comprendre que se retrouver dans un même lieu et se regarder agir est un acte fondamental.
- Philippe Cyr
Dans cet épisode de « Plus que du théâtre », Julien Morissette s’entretient avec Audrey Talbot et Philippe Cyr.
La comédienne revient sur l’accident de vélo qui a failli lui couter la vie, sur le long périple vers la renaissance qui a suivi et sur la création de son premier texte de théâtre. Le metteur en scène parle du regard sensible qu’il porte sur ce récit d’une vie et de son travail délicat pour transposer théâtralement – avec respect et humilité – cette histoire vraie, unique.
Cliquez ici pour avoir accès à cette vibrante entrevue autour de la création de ce bouleversant spectacle qu’est Corps titan (titre de survie), incluant de courts extraits de la pièce et le témoignage d’un ambulancier.
J’ai tutoyé la mort
Si vous me reconnaissez, c’est peut-être parce que c’est douloureux d’affronter la réalité : je suis trop différente pour être celle que vous avez connue.En fait, je suis deux entités
Celle d’avant
Celle d’après
Et il faut que je trouve la façon de les faire cohabiter
De les amalgamer
Pour les faire s’entendre
Pour réussir à retrouver qui je suisAlors je concentre mon énergie sur moi
J’en n’ai plus pour me manifester aux autres
Je voudrais leur dire que j’ai encore besoin de leur soutien
Mais j’aimerais qu’ils s’en souviennent eux-mêmes
Qu’on me tende la main
Qu’on m’aide encore
Même si je peux marcher toute seule
C’est pas évident de se relever
Il s’agit plus juste de me tenir debout
Faut maintenant que je puisse avancerDites-moi donc, quelqu’un?
Par quel bout on prend ça, la vie?
Le texte est publié aux éditions L’instant même.
Extraits cités dans le spectacle :
Pinocchio d’Hugo Bélanger, d’après l’œuvre de Carlo Collodi (production Tout à Trac)
Le bruit des os qui craquent de Suzanne Lebeau (production Le Carrousel, compagnie de théâtre)
Oublie l’école, musique de Patrice d’Aragon tirée de Pinocchio d’Hugo Bélanger, d’après l’œuvre de Carlo Collodi (production Tout à Trac)
par Audrey Talbot
D’abord aux parents de ma première vie, Sophie et Michel, qui m’ont donné assez de force dans la première pour assumer la deuxième et qui sont toujours là pour me rappeler que j’ai bien fait de continuer. Sans oublier mon frère Jean-Philippe, partenaire de tous les possibles.
À tous ceux à qui je dois ma seconde :
- Jonathan, témoin des premiers instants.
- Mes ambulanciers Carl et Mark, les meilleurs de Montréal.
- Mes policières – Catherine, Valérie, Annie et Karine, les pierres précieuses – et mon super sergent Patrick.
- Mes pompiers de la caserne d’à côté : François, François et Stéphane.
- Et tous ceux et celles qui ont prêté main forte le matin du 28 mai 2013 au coin Masson/Molson.
Tout le personnel de l’Hôpital général de Montréal (des soins intensifs et du 12e étage), qui, sans le savoir, ont semé plein d’espoir dans mon corps arrêté… tout particulièrement :
- Dr Maleki et Dr Marcoux pour avoir remis ma tête en ordre.
- Tous les chirurgiens, chirurgiennes, spécialistes et médecins qui ont travaillé à me recoller.
- Tous les infirmiers et toutes les infirmières, tous les préposés et toutes les préposées. J’espère qu’on vous le dit maintenant quotidiennement à quel point vous êtes précieux, essentiels, admirables, nécessaires. Et surtout, que votre travail fait toute la différence dans un parcours hospitalier.
Tout le personnel de l’Institut de réadaptation Gingras-Lindsay-de-Montréal, là où la vie a recommencé à être à la fois terrifiante et encourageante :
- Mes thérapeutes et le personnel de soutien : Nathalie, Hélène, Caroline, Serge, Denis et Sylvie.
- Les infirmiers, les infirmières et les nombreux préposés et préposées qui m’ont accompagnée comme il se doit dans la vraie vie : en ayant foi, en me décourageant, en repoussant mes limites, en doutant de mes capacités. Vous m’avez tous et toutes propulsée.
Tous mes physiothérapeutes :
- Howell (assisté d’Angelo), Maureen, Philippe, Kathleen, Stéphane, Julie.
Chacun·e de vous est une personne exceptionnelle qui m’a marquée pour la vie.
Puis est arrivée l’entrée en scène de ma famille théâtrale :
Merci à Annick Lefebvre d’avoir su attiser l’étincelle afin qu’elle s’enflamme et me guider vers les bonnes portes. À Alexia Bürger de m’avoir donné confiance en alimentant mes élans.
À Sylvain Bélanger et Johanne Haberlin pour avoir cru à un projet qui n’existait alors que dans la flamme de mes yeux.
À Sarah Berthiaume qui a toujours eu un bidon d’essence quand mon réservoir était vide et qui a su repérer les bons combustibles sur la voie que j’ai construite pour m’aider à donner à chaque étape sa juste place et la bonne densité.
À L’Homme allumette pour toute la disponibilité, l’ouverture, la sensibilité et l’intelligence. Philippe Cyr, ton acuité est fascinante. Je pense qu’ensemble, on a su trouver les meilleures buches de Montréal : les plus solides tout en étant délicates, celles qui ont su comment se lancer dans le feu pour le faire grandir et briller sans jamais faire de ravage ni me bruler. Une corde de bois d’exception. Merci, belle forêt magique.
L’Homme allumette est dédié à la création contemporaine. La compagnie explore principalement le thème de la transgression afin d’engager des artistes et le public dans un dialogue autour d’enjeux actuels. Nous puisons notre matière première dans toutes sortes de matériaux textuels, qu’ils soient théâtraux ou non. Nous privilégions une parole libre et contemporaine. Nos choix doivent nourrir nos questionnements formels et poser un regard sur les faits marquants de notre condition d’artistes, de citoyens et d’humains.
En créant la friction, nous cherchons la lumière. Nous croyons essentiel que notre regard se pose sur l’inattendu afin de renouveler sans cesse ce qui se trouve entre la scène et la salle : l’espace des possibles.
Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui est entièrement dédié à la dramaturgie d’ici. Depuis plus de cinquante ans, il supporte la création, la production et la diffusion d’œuvres québécoises et canadiennes d’expression française. Il défend un théâtre d’auteur ainsi qu’une réflexion moderne et sans compromis sur les enjeux contemporains.
Adhérer au CTD’A, c’est laisser sa trace dans l’histoire ; la nôtre, celle qui s’écrit au présent.
Le metteur en scène Philippe Cyr détient un baccalauréat et une maîtrise de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. En 2012, il a fondé l’Homme allumette, dont il est depuis le directeur général et artistique. Vouée à la création contemporaine, cette compagnie axe son travail autour de l’idée de la transgression et cherche notamment à nommer, raconter et définir les angles morts de notre condition.
On compte, parmi ses créations, Selfie (CTD’A, 2015) de Sarah Berthiaume, Le brasier (CTD’A, 2016, puis en tournée) de David Paquet, Le iShow (Usine C, 2013 – Prix de la meilleure production théâtrale de l’AQCT), J’aime Hydro (FTA, 2016 puis en tournée – Prix de la meilleure production à Montréal de l’AQCT 2017), Le poids des fourmis (Denise-Pelletier, 2019), Corps titan (titre de survie) (CTD’A, 2021) et Atteintes à sa vie (Usine C, 2022). Enfin, au printemps 2023, il a monté Insoutenables longues étreintes au Théâtre Prospero. Ce spectacle a connu un grand succès et a remporté le Prix de la meilleure production à Montréal de l’AQCT (2023). La pièce a été reprise la saison suivante, pour un total de 36 représentations à guichets fermés.
En août 2021, il est devenu directeur artistique et codirecteur général du Théâtre Prospero.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre