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Dernière mise à jour: 30 mars 2022
White Out : le titre de l’œuvre fait référence aux tempêtes du nord dans lesquelles les repères du paysage s’effacent complètement. Le spectacle s’ouvre ainsi sur un white out scénique, une tempête qui plonge le spectateur dans un univers dans lequel il ne peut plus se repérer, un espace entre deux mondes où le blanc du dehors évoque aussi le vide du dedans. Semblant venir de nulle part, une femme apparaît… dans « une chambre ». Sa silhouette semble flotter.
Dans White Out, la lumière et le son créent un état de vide lumineux et assourdissant, symbolisant le vide intérieur dans lequel l’individu tombe lorsque les structures de sa vie s’effondrent, dans le cas d’une peine d’amour, d’un deuil ou d’une dépression. Le spectacle nous transporte donc dans la chambre de la perte, de la perte de l’amour, mais aussi – et surtout – de la perte de soi.
Au départ, deux œuvres : La maladie de la mort, de Marguerite Duras, et Ganzfeld, de James Turrell. Avec Ganzfeld – et dans son travail en général –, Turrell, cet architecte magicien de la lumière, réussit à nous faire perdre notre faculté de perception en nous donnant l’impression forte de flotter dans la couleur et dans le vide, mais un vide lumineux et absorbant. Le roman de Duras met aussi en scène une chute dans le vide, celle qui survient lorsque notre amour disparaît. Ce qui frappe d’emblée dans ce roman de Duras, c’est qu’il est écrit au « vous », que la personne qui lit le roman devient ce personnage qui perd ses repères dans une chambre d’un petit hôtel en bord de mer.
Au cours de ce processus de création, nous avons cherché à construire un paysage dans lequel nous vous invitons aujourd’hui à vous perdre, un paysage peuplé de traces d’histoires, les vôtres comme les nôtres, de ces histoires qui voyagent de mère en fille, d’inconscient en inconscient, qui flottent dans l’air et s’impriment dans les murs des vieilles maisons.
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Anne-Marie Ouellet : chercheuse d’art
Thomas Sinou : ingénieux du son
Nancy Bussières : prospectrice de lumière
White Out et La chambre des enfants forment un diptyque. Créés au CNA, les deux spectacles sont présentés entre le 6 et le 10 avril 2022.
Quelques descriptions de la chambre face à la mer noire dans laquelle se déroule le roman La maladie de la mort de Marguerite Duras. Elles ont été une source d’inspiration pour la création de White Out.
« Il fait une pluie fine, la mer est encore noire sous le ciel décoloré de lumière. Vous entendez son bruit. L’eau noire continue de monter, elle se rapproche. Elle bouge. Elle n’arrête pas de bouger. »
« À travers la fenêtre, toujours cette lumière décolorée, cette lenteur du jour à gagner le ciel, toujours la mer noire, le corps qui dort, l’étrangère de la chambre. »
« Au loin, sur les plages, des mouettes crieraient dans le noir finissant, elles commenceraient déjà à se nourrir de vers de vase, à fouiller les sables délaissés par la marée basse. Dans le noir, le cri fou des mouettes affamées, il vous semble tout à coup ne l’avoir jamais entendu. »
Puis il y a ce passage que l’équipe s’est amusée à déplier, à creuser, à lui donner une résonance nouvelle.
« Il n’y a plus rien dans la chambre que vous seul. Son corps a disparu. La différence entre votre amour et vous se confirme par son absence soudaine. »
Extraits de La maladie de la mort, de Marguerite Duras, paru en 1982 aux Éditions de Minuit.
Vous désirez en connaître davantage sur la création de White Out et de La chambre des enfants, qui forment un diptyque?
Écoutez l’éclairante entrevue que Julien Morissette a menée avec Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou
« Un des liens entre White Out et La chambre des enfants, c’est que les deux se déroulent dans une chambre en bord de mer, une mer du nord, et peu à peu l’extérieur entre à l’intérieur, dans la maison… »
Anne-Marie Ouellet
S’inspirant du travail de l’artiste James Turrell, la conception des éclairages s’appuie sur un principe de lumière diffuse. Nancy Bussières, la conceptrice lumière, et Simon Guilbault, le scénographe, ont cherché à créer un espace éclairé de l’extérieur dans lequel les limites et les repères s’effacent, comme cela se passe dans un white out. Un grand écran noir, en fond de scène, est rétro-éclairé par des barres lumineuses DEL dans lesquelles chaque point peut être contrôlé de façon indépendante. Cela permet une lumière mouvante et vivante pouvant évoquer différents types de paysages. Avec l’aide de la fumée, la lumière se propage et enveloppe tant les performeurs que les spectateurs.
Fondée par Nancy Bussières, Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou, la compagnie L’eau du bain s’intéresse au franchissement des frontières, celles qui séparent les médiums artistiques, celles qui éloignent le public de l’œuvre et celles qui isolent les individus. Elle utilise un langage artistique métissé qui combine théâtre, performance et installation sonore.
En pratiquant un théâtre qui interroge son identité et chevauche d’autres disciplines, L’eau du bain veut exploiter au maximum l’aspect vivant de cet art, son immédiateté. Des outils novateurs sont conçus pour permettre aux artistes en scène de construire concrètement le spectacle sous l’œil du public et avec lui. À chaque création, des nouvelles règles de jeu sont statuées et des nouvelles machines sont inventées, pour rendre possible cette interaction entre l’espace, l’environnement sonore, les artistes, le texte, le public et des éléments du réel.
La figure de l’enfant mort, le spectre qui surgit au milieu de l’œuvre, représente pour L’eau du bain une mise à l’abri de l’aboutissement, de l’incarnation, de la réduction qu’une mise au monde aurait provoqué. Pour L’eau du bain, cette préservation des possibles se retrouve dans les thèmes comme dans la forme. Voilà pourquoi la compagnie privilégie les bégaiements, les tâtonnements, les vomissements, les contradictions et les hésitations, pour ouvrir l’espace entre les mots et permettre à la vie muette et à l’indicible d’émerger. En quête de formes éclatées qui privilégient la discontinuité, le désordre et les trous dans le récit, le sens n’est pas inoculé de force et doit émerger de par lui-même. En dispersant du sens, L’eau du bain cherche à créer des œuvres qui manifestent plus qu’elles ne signifient, laissant le spectateur plus libre dans sa réception.
Ne pas sous-estimer le public
Éviter d’imposer une vision unique
Laisser le sens émerger de par lui-même
Se tenir à la frontière de tous les possibles
Donner parole à la vie muette
Traiter chaque élément du discours scénique sur un pied d’égalité : le son, le jeu, la lumière, l’espace, les mots
Utiliser l’art actuel pour interroger nos origines
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Anne-Marie Ouellet, auteure et metteure en scène, c’est l’infatigable prospectrice de la compagnie L’eau du bain (Nous voilà rendus, Le son de l’ère est froid, Impatience). Aidée de son allié Thomas Sinou, elle fouille le réel pour y trouver la pépite d’or/d’art à mettre sur scène, et c’est toujours un jeu espiègle, parfois déroutant, entre le public et les acteurs, entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean, Anne-Marie a beaucoup voyagé pour parfaire sa formation, de Chicoutimi à Paris (Conservatoire), en passant par Montréal (UQAM). Elle enseigne aujourd’hui à l’Université d’Ottawa.
Thomas Sinou, c’est l’astucieux créateur sonore derrière les œuvres de la compagnie L’eau du bain. Né à Marseille, il reçoit sa formation à l’Institut supérieur des techniques du son, puis il immigre au Québec en 2006. Thomas s’intéresse aux installations et à l’interactivité entre le public, les acteurs et l’espace scénique. Pour concevoir des spectacles hybrides qui donnent « la parole à la vie muette », lui et sa complice Anne-Marie Ouellet n’hésitent pas à infiltrer divers milieux, que ce soit un centre de personnes âgées (Nous voilà rendus) ou un groupe d’adolescents (Impatience).
Prospectrice de lumière
Depuis près de vingt ans, Nancy Bussières traque la lumière! Éclairagiste de renom, elle collabore à une foule de performances, de productions de théâtre, de cirque et d’opéra, notamment avec les compagnies L’eau du bain et Champ libre. Cette professeure à l’Université du Québec à Montréal et chercheure à Hexagram, un organisme international en art médiatique, sculpte aussi cette matière évanescente en créant ses propres installations lumineuses. Nancy Bussières s’intéresse fortement aux nouvelles technologies, aux approches novatrices pour mettre la lumière en mouvement, et réfléchit sur la place qu’elle occupe, non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Bref, des questions brillantes!
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre