≈ 40 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 31 octobre 2019
Ce texte est un classique de la dramaturgie québécoise. Il a été le premier écrit pour les tout-petits. C’est Suzanne Lebeau qui défriche ce territoire à l’époque, qui s’aventure dans cette voie que personne d’autre n’a encore osé emprunter. Elle met alors en forme le langage des enfants à cet âge, tisse astucieusement leurs comportements et leurs jeux à l’intérieur d’une histoire. Avec les personnages emblématiques de Plume et de Taciturne, elle s’adresse à eux, trouve les mots et les images à même de s’arrimer à leur monde, à la réalité vécue, tout en lui reconnaissant des dimensions plus vastes. C’est sans doute pour ces raisons que ce texte n’a jamais cessé d’être monté ici et ailleurs depuis sa création. Abordant l’ouverture à l’autre et à tout ce qui semble à première vue lointain, voire inconnu, cette oeuvre est loin de s’être étiolée au fil du temps. Elle vibre encore aussi fort pour les petits d’aujourd’hui, qui s’y cramponnent naturellement, en même temps qu’elle résonne sensiblement pour nous, adultes.
Marie-Eve Huot, qui met en scène Une lune entre deux maisons pour la deuxième fois, en a bien saisi l’immense richesse et le potentiel d’évocation. Avec une fabuleuse équipe d’actrices et de collaborateurs, elle replonge à pleine mains dans ce texte pour en offrir une nouvelle version. Elle le revisite en s’assurant de ne jamais perdre de vue le coeur battant de celui‑ci : les préoccupations des petits à qui il est destiné. Entre leurs peurs et leurs doutes qui se démènent avec leur envie de connaître et de se lier, Marie-Eve navigue avec douceur et ingéniosité. Et sa mise en scène, qui ne manque pas de poésie, s’ancre avec finesse dans l’époque actuelle et parvient à faire écho aux enjeux qui l’agitent quand il s’agit des fossés qui se creusent un peu partout et des ponts qui tentent malgré tout de s’établir.
Bon spectacle à toutes et à tous, et beau grand saut en famille dans le plus vaste des terrains de jeu !
Entretien avec Marie-Eve Huot
C’est la deuxième fois que tu montes Une lune entre deux maisons. Cette proposition est vraiment nouvelle, différente de la première. Quelle était ta motivation de remonter ce texte?
C’était en 2010. J’étais alors une très jeune metteure en scène. Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault m’avaient confié la recréation de ce texte fondateur du répertoire du Carrousel, mais aussi de la dramaturgie internationale pour l’enfance. Le spectacle a tourné, rencontré plusieurs centaines d’enfants, puis est allé se déposer un peu plus loin : un coquillage laissé sur le sable par la mer qui le reprendrait, tôt ou tard.
Le temps a suivi son cours, les petits spectateurs ont grandi et d’autres sont nés. 2010 paraît si loin derrière et pourtant si près. Depuis, j’ai fait un petit bout de chemin comme metteure en scène. Je suis devenue mère. J’ai retrouvé le coquillage au fond de ma poche : un cadeau.
À l’invitation de Sophie Labelle, directrice de la Maison Théâtre, accompagnée d’une équipe recomposée, j’ai revisité Une lune entre deux maisons et ça m’a rendue très heureuse. J’ai repris là où je l’avais laissé le dialogue avec Plume et Taciturne, deux personnages qui apprivoisent le monde, découvrant l’autre avec passion et curiosité.
— Propos recueillis par Amélie Dumoulin
J’ai écrit ce texte il y a près de quarante ans, quand j’avais un petit de trois ans qui apprenait le monde en nommant les choses avec un plaisir et une maladresse infiniment poétiques. Je l’observais aller vers et revenir, toujours attiré par ce qu’il ne connaissait pas et rassuré par ce qu’il connaissait. Je l’ai écrit aussi pour tous les autres petits que je rencontrais dans les salles de spectacle, trop petits pour les spectacles qu’on leur présentait. Je les observais se passionner puis se lasser ou se laisser distraire par une force plus grande qu’eux, comme l’envie de faire pipi ou le besoin de vérifier la présence du parent. Je devinais l’écoute fine mais fragile et j’ai eu envie de leur raconter une histoire en faisant le pari de les garder attentifs du début jusqu’à la fin.
— Suzanne Lebeau
Les tout-petits sont toujours les explorateurs qui partent avec la certitude de découvrir et le sentiment que chaque découverte est un bonheur et une victoire.
— Suzanne Lebeau
Le monde du théâtre crée le vrai à partir du faux, mais ce faux est pour les tout-petits plus vrai que vrai parce qu’ils connaissent instinctivement les règles du jeu : ils savent jouer.
— Gervais Gaudreault
Plume :
C’est Taciturne, mon amie. Elle est chanceuse Taciturne, bien plus que moi. Elle sait jouer de tous les instruments de musique. Elle ne parle pas beaucoup parce qu’elle fait toujours de la musique, mais je pense qu’elle est un peu gênée.
Taciturne :
C’est vrai que je suis gênée… mais ça ne fait pas longtemps que je connais Plume. Hier seulement. Puis, vous avez vu, elle parle presque toujours… ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour parler... De toute façon, j’aime mieux la musique. On peut
dire les mêmes choses avec la musique.
— Suzanne Lebeau
Au théâtre, une fois passée la porte ou lorsque le noir se fait dans la salle, imagine que devant toi se dresse une forêt. Une forêt dans laquelle tu t’aventures pour la toute première fois. Tel un explorateur curieux, tu la traverses sans carte ni boussole pour t’orienter. Tu avances et repères, observes et découvres. À chacun de tes pas, les sens en alerte, tu traces ton chemin.
Qu’as-tu vu? Entendu? Senti?
Qu’est-ce qui a retenu ton attention? Qu’est-ce qui a su t’étonner?
À quoi t’ont fait penser les choses perçues, remarquées au passage?
Peux-tu les lier à d’autres choses que tu connais déjà ? Des choses que tu aurais un jour vues, lues ou peut-être même rêvées ?
Qu’est-ce qui, à l’inverse, est demeuré étrange, mystérieux ?
Un spectacle, c’est comme une forêt d’images, de gestes, de sons que chaque personne découvre à sa manière. Le trajet que tu y fais n’est pas tout à fait le même que les autres spectateurs autour de toi. C’est le tien, avec tes trouvailles précieuses, tes frissons d’émotions et toutes les questions qui te sont venues à l’esprit.
De retour à la maison, en famille ou entre amis pourquoi ne pas partager quelques souvenirs de ton aventure? Les impressions de chacun s’ajoutent alors les unes aux autres comme autant d’histoires et de visions différentes du spectacle. Si certains jours il peut être difficile de mettre des mots sur ton expérience, rassure-toi : l’important n’est pas de conter l’aventure, mais bien de l’avoir tentée, de l’avoir vécue… les yeux, les oreilles et le cœur grand ouverts.
BELLE BALADE DANS LE SPECTACLE, LA FORÊT!
Auteure à hauteur d’enfant
On dit que chaque saison, dans le monde, une pièce de Suzanne Lebeau est montée. Cette grande dramaturge se destinait pourtant au départ au métier d’actrice. Puis en 1975, elle fonde avec Gervais Gaudreault la compagnie de théâtre Le Carrousel, et c’est le début d’une prolifique carrière : plus de vingt-quatre textes jeunesse traduits dans plus d’une vingtaine de langues ! D’ailleurs, Une lune entre deux maisons (1979) fait histoire, puisque c’est la première pièce canadienne écrite spécialement pour la petite enfance. La plume affûtée de Suzanne Lebeau ose les sujets difficiles, mais avec la sensibilité nécessaire pour interpeller l’âme des enfants.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre