2019-10-16 20:00 2019-10-19 22:00 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Parce que la nuit

https://nac-cna.ca/fr/event/21660

Parcourant la vie et l’œuvre de Patti Smith, Brigitte Haentjens nous entraîne dans un tourbillon créatif total, au cœur d’une Amérique en pleine mutation. Dans Parce que la nuit, guitares électriques, poésie, contre-culture et romantisme s’amalgament dans l’esprit libre et échevelé des années 1970. À peine entrée dans la vingtaine, Patti Smith arrive à New York en 1967 affamée...

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Studio Azrieli ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
16 - 19 oct 2019

≈ 2 heures et 10 minutes · Sans entracte

Nos programmes sont passés au numérique.

Balayez le code QR à l’entrée de la salle pour lire les notes de programme avant le début du spectacle.

Dernière mise à jour: 30 septembre 2019

Parce que la nuit : le chemin vers l’écriture

Perspective dramaturgique 

par ANDRÉANE ROY

Au départ, s’est imposée une figure artistique féminine prolifique, Patti Smith, mais la forme que prendrait le texte dramatique n’était pas encore fixée.

Inspirée par le témoignage délicat et émouvant de Patti Smith dans Just Kids (2010), Brigitte Haentjens a eu envie de convier sa complice de création de longue date, Céline Bonnier, à explorer avec elle l’univers artistique et intime de l’artiste, dans la veine d’autres projets analogues autour de figures féminines telles que Virginia Woolf (Vivre, 2007) et Sylvia Plath (La cloche de verre, 2004).

Lire Just Kids, c’était aussi l’occasion pour la metteure en scène de redécouvrir le microcosme culturel de la ville de New York à une époque fascinante aux plans culturel et politique (de la fin des années 1960 à la fin des années 1970). C’est d’ailleurs aussi à cette même époque que Brigitte Haentjens est arrivée en Amérique, à New York, précisément.

Au début du chantier dramaturgique au printemps 2016, en compagnie de Céline Bonnier et de Dany Boudreault, nous avons donc entrepris de vastes recherches sur le contexte socioculturel et politique des États-Unis entre 1950 et 1980, sur la scène artistique underground de New York ainsi que sur l’ensemble de l’œuvre et de la biographie de Patti Smith. Ces recherches se sont consolidées sous la forme d’une vaste « bible Patti Smith », remplie de photos, d’extraits de biographies, d’essais et de poèmes, de liens vers des films, des entretiens et de la musique. Brigitte, Céline, Dany et moi avons tout lu, regardé et écouté, puis nous avons discuté et rêvé autour de ces ressources pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, lors des laboratoires de l’hiver 2017 et de l’hiver 2018.

En cours de création, Brigitte Haentjens travaille ainsi, dans la durée et la convivialité, question de laisser les images, les mots et les visions se décanter, s’imposer d’eux-mêmes. Cette manière d’aborder la création, soit de réserver une longue période de recherche, d’errance et de réflexion en amont des phases de conception et de production, est très précieuse. Ce faisant, le chemin devient aussi passionnant et important que la destination. Comme le répète souvent Brigitte en cours de processus : « Si je sais exactement ce que je vais faire et comment je vais le faire au moment de commencer un projet, ça ne m’intéresse pas. »

Ainsi, le temps accordé à ces recherches, questionnements, échanges et zones de partage en petite communauté se sont avérés essentiels à la création du spectacle. Pendant le processus, il s’est constitué un réseau de références et d’associations ainsi qu’un alphabet commun, autour desquels se sont articulées les écritures scénique et textuelle par la suite. Au terme de ces deux laboratoires, nous partagions sensiblement les mêmes questions et les mêmes désirs : nous parlions le même langage.

Il y avait notamment ces désirs communs de témoigner de la manière dont l’art et la vie s’enchevêtrent dans l’œuvre de Patti Smith et de retracer le chemin vers l’art et vers l’écriture de cette femme persévérante et inspirée.

« I contain multitudes. Je contiens les multitudes. »
— Walt Whitman

Nous pressentions aussi qu’il nous fallait ménager des espaces pour d’autres voix que celle de Patti. D’une part, parce qu’elle a énormément écrit sur sa vie et son œuvre, et que nous trouvions intéressant de convoquer d’autres perspectives, question de rompre avec une légère tendance à l’auto-mythification et de complexifier le portrait de cette artiste.  D’autre part, la notion d’une écriture chorale s’est aussi imposée, parce que les voix des poètes et des artistes qui inspirent Patti occupent une place prépondérante au sein de son œuvre. Quand elle crée, elle semble presque toujours le faire en étroit dialogue avec sa famille élective : les Rimbaud, Genet, Mapplethorpe, Shepard, Burroughs, Jeanne d’Arc et autres héros de son panthéon personnel.

Enfin, il nous paraissait également important de suggérer « le grondement sourd de la multitude » : d’évoquer le fourmillement du microcosme artistique new-yorkais, l’effervescence politique et culturelle des années 1960 et 1970, et finalement, de rendre sensible l’impact de certaines rencontres et de certaines influences sur la trajectoire personnelle et artistique de Patti Smith. Ces idées de multitude et de choralité sont d’ailleurs très en phase avec un vers que Patti Smith cite souvent au moment de se présenter en entrevue : « I contain multitudes. » (Walt Whitman, Song of Myself, 1892).

Brigitte Haentjens envisageait donc à ce point du processus que le spectacle ne serait pas un solo, qu’il y aurait une dimension chorale et que l’écriture du spectacle reposerait à la fois sur un fil narratif biographique tenu par Céline Bonnier, mais aussi sur une diffraction des corps et des voix, selon la logique fragmentaire de la mémoire et des circonvolutions de l’activité créatrice. À ce stade, se sont joints au processus de précieux nouveaux collaborateurs : les acteurs Alex Bergeron, Martin Dubreuil et Leni Parker.

C’est avec toutes ces ressources, ces préoccupations et ces désirs en tête qu’au printemps 2018, Brigitte Haentjens et Dany Boudreault, accompagnés de Céline Bonnier, ont entrepris l’écriture de Parce que la nuit. Le texte s’est écrit en quelques mois, dans une atmosphère de félicité et de complicité féconde.

J’aime Bob Marley, il est très sexyJ’aime Leo Fender, il a inventé la guitare Fender

J’aime Bob Dylan, il est sexy, he’s all right

Je me fous de l’idée que les autres se font de moi la façon dont je devrais m’habiller me comporter

Je suis une artiste, je suis libre

Mon art c’est le rock’n’roll

Je peux crier et sauter en l’air

I am the nigger of the universe

J’ai pas besoin de séduire je fais ce que j’ai à faire je fais ce que je crois

Dix personnes viennent au concert

ou dix mille

Je m’en fous, I don’t give a shit

J’ai pas peur de la mort

J’ai peur de rien sauf de la peur elle-même

Mon père était beatnik, il croyait à l’esprit

Ma mère parlait du cœur

Et moi je crois au pouvoir des mains

On veut changer le monde mais

de nouveaux dogmes apparaissent

et des lois et des ordres

une nouvelle religion, un nouveau politicien

un nouvel ordre spirituel

On est allé sur la Lune, big deal

On est allé sur Mars, big deal

On ouvre des portes, une porte c’est pas assez, un million de portes c’est pas assez

Break on through to the other side

Il faut aller au-delà

Au-delà du reflet au-delà du miroir au-delà au-delà

Parce que la nuit (extrait)

Patti Smith : repères biographiques et artistiques

par ANDRÉANE ROY

« Je ne faisais pas de différence entre la vie et l’art. »
— Patti Smith, Just Kids

Enfance et adolescence, 1946-1966

Rien n’a été facile vous savez, rien ne m’a été offert sur un plateau. J’étais maigrichonne, ingrate, j’avais une vilaine peau, les gens se moquaient de moi. La vie aurait pu être très différente si je n’avais été une grande travailleuse et si je n’avais bossé toute ma vie. Avec cette conviction, acquise très jeune, que mon destin serait lié à l’art et que je serais un jour écrivain. Je l’ai désiré dès l’âge de 8 ou 10 ans. C’est peut-être ça, ma plus grande chance.
(Patti Smith, dans un entretien avec Annick Cojean, Le Monde, « Évitez tout ce qui pourrait faire de vous des esclaves! », 17 avril 2016)

30 décembre 1946 : Patricia Lee Smith naît à Chicago, dans une famille de la classe ouvrière. Son père, Grant Smith, ancien danseur de claquettes, travaille de nuit à l’usine, et sa mère, Beverly Smith, ex-chanteuse de jazz, est témoin de Jéhovah et travaille comme commis au comptoir d’un drug store (une sorte de dépanneur américain). Quand Patti parle de ses parents, elle les décrit comme des gens aimants, ouverts, de qui elle est toujours restée très proche. En 1950, la famille déménage dans un quartier défavorisé de Philadelphie, au New Jersey.

Un jour, mon père nous a emmenés au musée des beaux-arts de Philadelphie. […] Ce premier contact avec la peinture a été foudroyant. […] Quand on a quitté le musée, j’étais en apparence la même, […] mais, secrètement, je savais que j’avais été transformée, bouleversée par la révélation que les êtres humains créent de l’art et qu’être artiste, c’est voir ce que les autres ne peuvent pas voir.
(Patti Smith, Just Kids)

1955 : La famille de Patti, qui compte désormais quatre enfants, déménage dans une maison à un étage à Woodbury Gardens, une banlieue de Philadelphie, dans le South Jersey. Patti y vivra jusqu’en 1967, année de son départ pour la ville de New York.

Les balafres écarlates de rouge à lèvres, à la mode dans les années cinquante, me révoltaient. Je rêvais de voyages et je voulais m’enfuir pour m’engager dans l’armée et parcourir le désert avec mes hommes. J’étais un tom-boy. J’haïssais être une fille. Et je ne m’identifiais à aucun modèle féminin. Aux danses de l’école, je faisais tapisserie et me fondais dans le décor. (Patti Smith, dans Patti Smith, biographie de Victor Bockris, 1998)

1964 : Patti a 16 ans et doit travailler dans une usine durant l’été. Avec ses cols roulés noirs, son amour pour la poésie étrangère (elle vient de découvrir Les Illuminations de Rimbaud) et son air à la fois revêche et rêveur, ses collègues ouvrières la traitent de « communiste ». On l’injurie et la malmène physiquement. Patti relatera cette expérience en des termes douloureux dans son poème Piss Factory. C’est aussi à travers ce poème que Patti articule quelque chose d’essentiel dans sa trajectoire de vie et son œuvre, c’est-à-dire, l’importance du désir comme moteur et comme impulsion de création :

J’ai quelque chose à cacher qui s’appelle le désir/ quelque chose à cacher qui s’appelle le désir/ Et je sortirai d’ici/ et je vais être quelqu’un/ je vais prendre ce train/ et aller à New York/ et je reviendrai jamais reviendrai jamais/ reviendrai jamais/ pour crever dans cette usine de merde.

À l’adolescence, Patti Smith accorde beaucoup d’importance aux héros et aux artistes qu’elle admire (et à leurs modes de vie souvent dissolus). Les Rimbaud, Modigliani, Jeanne Moreau, Bob Dylan, Brian Jones, Jeanne d’Arc, Edie Sedgwick et Jean Genet sont ses frères, ses sœurs, sa famille élective et ses modèles. Si elle s’est souvent sentie étrangère aux valeurs et aux idées de sa communauté en grandissant, Patti ne reniera toutefois jamais ses racines ouvrières et sa jeunesse dans le South Jersey. Ses souvenirs et ses origines irriguent toute sa poésie : ils teintent sa façon d’être, d’écrire et de parler.

1966 : Alors qu’elle étudie pour devenir enseignante, Patti tombe enceinte accidentellement. À l’époque, l’avortement est encore illégal au New Jersey (il ne le sera qu’en 1973). Incapable de se résoudre à devenir une fille-mère, à sacrifier ses ambitions et à passer sa vie dans les usines du South Jersey, elle se résigne à donner l’enfant en adoption après la naissance.

J’ai grandi dans ces années 1950 où les gens, sortant de la guerre, et avec un conformisme inouï, croyaient embrasser la modernité en rêvant de maisons standard, de vêtements en polyester et d’objets tout neufs, de préférence en plastique. Tout ce que je détestais ! […] Ce monde était évidemment dominé par les hommes, et les filles, maquillées et choucroutées selon des règles précises, ne pouvaient espérer devenir autre chose que secrétaires, cuisinières, coiffeuses ou mères. Insupportable pour moi ! Avec mes longues tresses, mes chemises de flanelle rouge et mes salopettes, je rêvais d’autre chose. Jo March écrivant son livre m’avait bouleversée, et puis Frida Kahlo, Marie Curie… Quelle bouffée d’air frais lorsque j’ai débarqué à New York en 1967 ! Quelle possibilité de se réinventer ou simplement d’être enfin soi-même! (Patti Smith, « Évitez tout ce qui pourrait faire de vous des esclaves! »)
 

Période new-yorkaise, 1967-1979

New York is the thing that seduced me.
New York is the thing that formed me.
New York is the thing that deformed me.
New York is the thing that perverted me.
New York is the thing that converted me.
And New York’s the thing I love too.
— Patti Smith, poème My little prayer for New York

J’errais parmi les débris des sixties… L’héritage de ma génération semblait en péril. J’avais toutes ces choses en tête : le cheminement de l’artiste, le cheminement de la liberté redéfinie, la recréation de l’espace, l’émergence de nouvelles voix. (Patti Smith, dans la biographie écrite par Jennifer Lesieur)

1967 : Armée d’une petite valise, d’un exemplaire des Illuminations de Rimbaud et d’à peine quelques dollars, Patti quitte le New Jersey pour s’établir à New York. Très vite, cet été-là, elle y rencontre un jeune étudiant en arts du Pratt Institute de Brooklyn : il s’appelle Robert Mapplethorpe. La rencontre sera déterminante, pour elle comme pour lui. À la fois amis et amants, ils emménagent ensemble et ne se quitteront plus pendant de nombreuses années. Tous les deux immensément ambitieux, ils se consacrent à leur art et se soutiennent mutuellement à tous les niveaux – affectif, financier, artistique – durant cette période d’exploration et de découverte.

Nous voulions devenir des artistes, mais n’étions à notre place nulle part, même pas dans le microcosme artistique de New York. […]
 
Dans mes phases de découragement, je me demandais : à quoi bon faire de l’art? Pour qui? Est-ce que nous donnons vie à Dieu? Est-ce que nous nous parlons à nous-mêmes? Et quel est le but ? Mettre nos œuvres en cage dans les grands zoos de l’art, le MoMa, le Met, le Louvre? (Patti Smith, Just Kids)

1969 : Patti et Robert emménagent dans une chambre du Chelsea Hotel. Situé dans le quartier Chelsea à Manhattan, l’hôtel est reconnu comme un endroit mythique, un refuge qui a accueilli de nombreux artistes et écrivains : Mark Twain, Frida Kahlo, Simone de Beauvoir, Edie Sedgwick, Leonard Cohen, Bob Dylan, Salvador Dali, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, Janis Joplin, Jimi Hendrix, etc.

Entre 1969 et 1971, Patti et Robert y feront des rencontres qui transformeront leurs trajectoires artistiques, affectives et professionnelles. Ensemble, ils partent à la conquête des hauts-lieux de l’underground artistique new-yorkais : le Max’s Kansas City, la Factory d’Andy Warhol, le St Mark’s Poetry Project et le Gotham Bookmart. C’est aussi durant cette époque charnière qu’ils affinent leurs démarches artistiques respectives : Robert commence à apprivoiser le médium photographique et découvre les milieux SM tandis que Patti se met à écrire de la poésie.

En côtoyant Robert, j’ai compris que la seule chose qui compte, c’est l’œuvre. Le chapelet de mots propulsés par Dieu qui devient poème, l’entrelacs de couleurs et de traits de graphite tracés hâtivement sur la feuille. Réaliser au sein de l’œuvre un équilibre parfait entre la foi et l’exécution. De cet état d’esprit vient une lumière, chargée de vie. (Patti Smith, Just Kids)

1970 : Lors d’un concert rock, Patti rencontre Sam Shepard, alors batteur dans le groupe des Holy Modal Rounders (il écrit aussi du théâtre à l’époque et deviendra l’un des plus importants dramaturges américains de la deuxième moitié du XXe siècle). Patti a une liaison passionnelle avec lui jusqu’en 1971, durant laquelle ils coécrivent la pièce Cowboy Mouth. Comme Robert, Sam joue un rôle important dans cette époque charnière de la vie de Patti. Il l’encourage à écrire, à se libérer, à improviser et même à chanter.

Sam me voyait chanteuse dans un groupe de rock’n’roll, une idée qui ne m’était jamais venue à l’esprit, ou que je ne croyais même pas possible. (Patti Smith, Just Kids)

1971 : Robert aide Patti à obtenir une lecture au prestigieux St Mark’s Poetry Project, un prolongement des cercles de poésie mis sur pied par les poètes beat pendant les années 1950‑1960. À l’époque où Patti le fréquente, le cercle compte parmi ses membres les grands noms de la Beat generation et des poètes émergents tels que Jim Carroll, auteur du célèbre Basketball Diaries, et Gerard Malanga, assistant d’Andy Warhol dans les années 1960 et danseur armé de son fouet lors des concerts du Velvet Underground.

L’atmosphère était chargée. Il y avait plein de gens célèbres. […] J’étais complètement électrisée. J’ai dédié la soirée à tous les criminels, de Caïn à Genet. (Patti Smith, dans Please Kill Me)

La première lecture de Patti au St Mark’s marque un tournant important dans son cheminement artistique. Elle invite le guitariste Lenny Kaye à l’accompagner sur scène. Kaye plaque des accords dissonants, tandis qu’elle mitraille ses textes, à mi-chemin entre la performance musicale et le spoken word. Ils allient la fulgurance de la poésie à l’énergie brute et transcendante du rock.

Le duo poético-noise surprend et ravit l’assemblée. Au lendemain de cette lecture, Patti reçoit des offres de publications. Galvanisée, Patti continue d’écrire et de multiplier ses performances « Rock’n’Rimbaud » avec Kaye.

Les poèmes de Patti étaient très différents des miens – elle était dans un flot dionysiaque, tandis que moi, j’étais plutôt apollinien. C’est pour ça que le rock lui allait si bien : elle était capable de douceur et de sauter une coche tout de suite après. (Jim Carroll, dans Please Kill Me)

1972 : Patti publie son premier recueil de poésie, Seventh Heaven, où figure notamment le célèbre poème Oath (Serment). Serment à soi et à l’art, le texte témoigne aussi du rapport ambivalent de Patti avec le christianisme : « Jesus died for somebody’s sins but not mine […] My sins, my own they belong to me. »

1974 : Patti et Kaye recrutent d’autres musiciens. Ils enregistrent un premier EP, Piss Factory, et commencent à donner des concerts au CBGB’s, un nouveau bar de la rue Bowery, dans le Lower East Side. Lieu mythique désormais fermé, le CBGB’s a été le berceau de la scène punk américaine au milieu des années 1970. C’est là que des groupes cultes tels que The Ramones, Blondie, Television et le Patti Smith Group y ont fait leurs premières armes.

1975 : Patti enregistre son premier album, Horses. Cette étape marque un autre tournant majeur dans sa carrière artistique : elle est désormais reconnue à titre de chanteuse et leader d’un groupe rock. L’album annonce le mouvement punk qui est en train de naître dans le milieu underground de New York. La photo de couverture, réalisée par Robert Mapplethorpe, met en valeur le physique androgyne de Patti, qui devient une icône pour de nombreuses jeunes filles. Avec Horses, Patti affirme son désir de fusionner le rock et la poésie.

Vous savez, quand j’ai fait mon album Horses en 1975, c’était à destination de tous ceux qui, comme moi, étaient un peu des moutons noirs, totalement en marge, et persuadés d’être seuls. J’ai fait Horses pour leur faire savoir que quelqu’un parlait leur langue. Et qu’il faut avoir le courage d’être soi. Mais le chemin que je propose n’est pas le plus facile ! (Patti Smith, « Évitez tout ce qui pourrait faire de vous des esclaves ! »)

1976 : Avec le Patti Smith Group, Patti tourne à l’international et enregistre un deuxième album, Radio Ethiopia. En concert, Patti adopte une attitude de shamane et de derviche tourneur : elle cherche à atteindre des états de transe.

1977 : Lors d’un spectacle à Tampa, en Floride, Patti tournoie en chantant Ain’t it Strange : « Je bouge vers une autre dimension, je tournoie, sans vertige, ne tombe pas, va, va, comme un derviche… ». Elle heurte un moniteur et tombe de scène, effectuant une chute de sept mètres. Elle frôle la mort.

Quand Patti est tombée de scène à Tampa et qu’elle s’est fêlée une vertèbre du cou, on a arrêté les tournées. On est restés à la maison pendant un an, l’année où le punk rock s’est imposé dans le monde. (Lenny Kaye, dans Please Kill Me)

Pendant sa convalescence, Patti renoue avec l’écriture. Elle publie le recueil de poésie Babel.

1978-1979 : Patti reprend les tournées. Elle sortira encore deux albums avec son groupe, dont Easter (1978), sur lequel figure la chanson Because the Night, son plus grand succès commercial. Toutefois, son rapport à la musique et à la frénésie des tournées a changé après cet accident. Patti aspire à une autre vie.

Toute la période qui a suivi, Patti a commencé à se dire que le rock’n’roll mérite peut-être pas qu’on lui sacrifie sa vie. (Andy Ostrowe, dans Please Kill Me)
 

Une longue pause, 1980-1994

Lorsque j’ai pressenti un certain cynisme, j’ai tout stoppé. J’avais l’impression d’avoir dit ce que j’avais à dire, d’avoir réussi dans notre mission qui consistait à ouvrir de l’espace pour les jeunes générations. En Europe, nous commencions à avoir beaucoup de succès et je ne voulais pas que, n’ayant plus rien à dire, ma seule motivation soit d’en obtenir toujours plus. Il était temps de me retirer. D’étudier, de repenser mes motivations, de grandir. J’avais cessé de grandir en tant que personne et en tant qu’artiste, je risquais de ne plus être fidèle à mes valeurs et à moi-même. Dès que je m’en suis rendu compte, j’ai arrêté. (Patti Smith, dans un entretien avec Les Inrocks, « Patti Smith étoile filante », 5 juin 1996)

1980 : Patti décide de quitter le Patti Smith Group et la ville de New York. Elle part s’établir à Détroit, où elle se marie avec Fred Sonic Smith, ex-guitariste du groupe proto punk MC5. Ensemble, Fred et Patti auront deux enfants. Entre 1980 et 1994, Patti se retire complètement de la scène musicale, à l’exception d’un album qu’elle sort en 1988, Dream of Life, et qui recevra un accueil critique mitigé.

1994 : À la mort de son mari, de son frère Todd et de son pianiste Richard Sohl, Patti décide de retourner à New York et de recommencer à tourner avec la plupart des membres fondateurs du Patti Smith Group.
 

Un retour en force, 1994-2019

Depuis 1994, Patti a recommencé à peindre, dessiner, photographier et exposer fréquemment. Elle a également sorti plusieurs nouveaux albums et enchainé les tournées avec son groupe. Cependant, c’est surtout à travers la littérature qu’elle s’est illustrée, notamment à travers la publication du best-seller Just Kids (2010), un ouvrage à caractère autobiographique qui rend hommage à son amitié et à sa complicité de jeunesse avec Robert Mapplethorpe, qui est décédé des suites du sida en 1989.

Avec l’amour de tous mes disparus
J’écris et je sonde ma tristesse infinie
Je la retourne et la détourne
et c’est la joie qui fuse
la vie est là, ardente, infinie
— Brigitte Haentjens et Dany Boudreault, Parce que la nuit

La plupart de ses livres publiés ont un caractère autobiographique ou élégiaque. Le deuil, le désir, le chemin vers l’art, l’amitié et l’empreinte laissée par les figures qui l’ont inspirée sont les thèmes centraux de son œuvre littéraire. Ainsi, à travers l’écriture, son médium de prédilection, elle réfléchit à sa propre pratique artistique, elle rend hommage à ses amis et compagnons disparus et, enfin, elle sonde les méandres de sa conscience et de sa mémoire.

Je me suis toujours sentie écrivain avant tout, même si le public retient surtout ma participation au rock’n’roll. […] J’ai passé plus de temps dans ma vie à écrire qu’à quoi que ce soit d’autre. (Brigitte Haentjens et Dany Boudreault, Parce que la nuit)

Depuis les années 2000, Patti a reçu plusieurs mentions, prix et distinctions, telles que commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en France (2005) et membre du Rock and Roll Hall of Fame (2007).

Tout le monde est là

Le fouet de Gerard Malanga

La soupe Campbell de Warhol

La paranoïa de Johnny Thunders

sur un high de speed

Les coats de cuir des Ramones

Le violon électrique des Velvet Underground

Dee Dee Ramone qui chante plus vite que son ombre

Les robes en caoutchouc des New York Dolls

Frank Zappa qui lit l’extrait du Festin nu sur le Trou du cul qui parle

MC5 qui brandit le livre rouge de Mao

Iggy Pop qui se prend pour Jackson Pollock avec le sang de sa seringue
 

PUNK IS HERE

— Parce que la nuit (extrait)

Nous vous invitons à lire dans le Cahier Quinze du Théâtre français deux éclairants textes autour de Patti Smith et du spectacle Parce que la nuit : « Dans les pas de Patti Smith », par Brigitte Haentjens, et « À pleines mains », par Anne-Marie Guilmaine, qu’elle a écrit en collaboration avec trois jeunes. Le cahier est disponible gratuitement à l’entrée de la salle ou en format PDF.