Alexander Skinner se produit au CNA dans Emma Bovary d'Helen Pickett et dans Angels' Atlas de Crystal Pite.
Le 1er février, alors que débute le Mois de l'histoire des Noirs, le Ballet national du Canada présente à la salle Southam un superbe programme double. Alexander Skinner, membre du Corps de ballet et originaire d’Ottawa, nous parle de son parcours en tant que danseur professionnel, de ses influences et de ce que le Mois de l'histoire des Noirs représente pour lui.
Q : Parlez-nous de votre rôle au sein de la compagnie et de ce qu’être un danseur de ballet professionnel signifie pour vous.
R : Je me suis joint au Ballet national du Canada dans le cadre du programme Artistes émergents RBC en 2017, puis au corps de ballet l’année suivante. J’en suis à ma septième saison. J’ai encore parfois du mal à y croire. J’ai commencé la danse classique adolescent; être danseur professionnel est vraiment un rêve devenu réalité.
Même si ça peut sembler ringard, la danse a toujours été un de mes moyens d’expression préférés. Très souvent quand je danse, j’ai l’impression d’être vraiment moi-même.
Q : Vous êtes passionné par les langues. D’où vous vient cette passion et influence-t-elle votre travail de danseur?
R : Je crois que cette passion est arrivée tôt dans ma vie en raison du milieu dans lequel j’ai été élevé. J’ai grandi dans une famille où on parlait plusieurs langues. La famille de mon père vient de la Barbade et ma mère est d’origine italienne; on parlait donc anglais et italien à la maison. J’ai aussi grandi dans une communauté franco-canadienne, donc le français s’est naturellement imposé. Je crois que j’ai compris très jeune à quel point les langues permettaient d’établir une connexion. C’est comme ça qu’est née ma passion pour les langues.
Je ne suis pas sûr que ça influence mon travail en tant que tel. En revanche, c’est certain que ça m’a aidé à nouer des relations avec de nombreuses personnes et m’a donné un espace en dehors de la danse pour nourrir une autre passion. Aujourd’hui, j’apprends des langues simplement par intérêt et pour m’amuser. J’espère un jour parler couramment plusieurs autres langues.
Q : Comment décririez-vous l’esprit du Mois de l’histoire des Noirs et ce qu’il signifie pour vous?
R : Pour moi, c’est l’occasion de souligner et d’honorer l’histoire des populations noires et son héritage, mais aussi de rappeler qu’il reste du chemin à parcourir pour atteindre l’égalité et l’équité. Célébrons le Mois de l’histoire des Noirs, mais souvenons-nous aussi que l’histoire noire est importante tout au long de l’année. Il reste encore beaucoup de travail de fond difficile à mener.
Q : Selon vous, quels sont certains des plus grands défis auxquels sont confrontées les personnes noires dans le monde de la danse et du ballet?
R : À bien des égards, je crois que nous sommes encore en train de tracer la voie. Je peux seulement parler de mon expérience personnelle, mais j’ai le sentiment qu’il y a une pression constante de devoir continuer à briser les stéréotypes.
Il existe encore des situations où le monde du ballet ne semble pas être accueillant pour les artistes des communautés noires, que ce soit clairement affiché ou non, et c’est généralement dû aux perceptions, aux croyances et aux attitudes qu’on attribue aux interprètes de ballet classique, et à la façon dont on doit danser et se comporter. Ces perspectives laissent généralement peu de place à l’inclusion.
Après la mort de George Floyd en 2020 et les appels à l’action qui ont suivi, j’ai observé une forte motivation dans le monde du ballet à faire avancer les choses et obtenir une meilleure représentation. Toutefois, même si je reconnais les efforts importants accomplis, je me demande parfois aujourd’hui si le milieu de la danse classique considère l’expérience noire comme homogène, comme si chaque artiste noir n’était pas unique, spécial et authentique à sa façon. Ça donne parfois l’impression de devoir rentrer dans un moule malgré tout.
Q : Selon vous, comment l’histoire noire devrait-elle être incorporée à la formation en ballet et au milieu professionnel de la danse classique?
R : Il faut simplement commencer à l’enseigner. J’ai seulement commencé à en apprendre davantage sur les contributions des personnes noires à l’histoire du ballet après plusieurs saisons en tant que danseur professionnel. Une grande partie de cet apprentissage est venu de ma propre initiative et de mes propres recherches, ou de tables rondes et de discussions où on donnait une plateforme à des historiennes noires et des historiens noirs de la danse et à des artistes des communautés noires du milieu pour partager leurs connaissances. Ça m’a ouvert les yeux de découvrir l’ampleur des contributions des personnes noires au monde du ballet et de réaliser combien de ces contributions sont méconnues ou peu connues. J’espère qu’à l’avenir on enseignera plus largement l’histoire noire dans le ballet, pour que ça fasse partie des connaissances de base.
Q : Parmi les artistes des communautés noires, qui vous inspire?
R : Avant de mettre les pieds dans un studio de danse, je regardais des vidéos d’Eric Underwood sur YouTube, quand il dansait avec le Royal Ballet. C’est le premier exemple de représentation noire que j’ai vu en danse classique. Aujourd’hui, je participe à certaines des productions dans lesquelles je regardais Eric danser et j’ai parfois l’impression d’avoir bouclé la boucle.
De la même façon, regarder des extraits de spectacles de Lauren Anderson dans les années 1990 et au début des années 2000 dans lesquels elle portait des collants de la même couleur que sa peau a eu un véritable impact sur moi, surtout à mesure que je passais plus de temps dans ce milieu. Elle a brisé les clichés de l’image de la danseuse classique typique et son héritage a contribué à façonner le monde de la danse dans lequel j’évolue moi-même aujourd’hui.
Aujourd’hui, Ashton Edwards et Siphesihle November sont deux artistes noirs qui brisent également les stéréotypes et redéfinissent le monde de la danse classique à leur façon. Leur carrière inspire et influence le futur de cette forme d’art. Ils sont tous deux en début de carrière, et je trouve ça vraiment inspirant de voir l’impact qu’ils ont déjà.
Q : Pouvez-vous nous raconter un moment où vous vous êtes senti vraiment fier d’être danseur de ballet?
R : C’est drôle, parce qu’il y a bien sûr eu des moments, des temps forts disons, qui ont constitué des jalons importants dans mon parcours de danseur et qui ont eu une grande signification pour moi. Cela dit, les moments où je me suis senti le plus fier, c’est quand je me suis remémoré les processus créatifs que j’ai vraiment aimés, les amitiés que j’ai nouées en chemin, et les expériences spéciales que j’ai partagées sur la scène et en dehors avec des artistes dont j’ai eu la chance de croiser la route. Dernièrement, je me suis rendu compte que plus je passe du temps à danser, plus je me prends à réaliser, de façon très consciente, à quel point je m’y plais, que ce soit pendant un spectacle, une répétition ou parfois même en classe. Dans ces moments de joie, je me sens fier de moi d’avoir choisi cette voie.