2018-12-05 20:00 2018-12-08 22:00 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Dans le champ amoureux

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La chambre à coucher comme champ de bataille Elle est auteure et drama queen à ses heures; il est doctorant en philosophie et amateur de Timbits. Ils ont passé leur vingtaine ensemble. Cumulant les élans passionnés autant que les querelles et les infidélités, ils entretiennent aujourd’hui une relation ambigüe qui échoue à les rendre heureux. Peu à peu, les mots se sont substitués aux corps, et le langage a...

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Studio Azrieli ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
5 - 8 déc 2018
5 - 8 déc 2018

≈ 1 heure et 15 minutes · Sans entracte

Dernière mise à jour: 26 novembre 2018

Mot de Catherine Chabot

Si « l’enfer c’est les autres », le couple est la tanière de Satan. Les amoureux se posent en miroir de l’autre et les deux parties sont confrontées à leur reflet, souvent dans la douleur. Mais puisqu’il faut passer par son prochain pour obtenir une vérité quelconque sur soi, ce frottement entre les êtres permet aussi d’évoluer. Si on laisse humblement le regard critique (et aimant, s’entend) de l’autre éclairer nos angles morts, l’un pourra peut-être devenir un amoureux qui fait à manger, l’autre une amoureuse qui tempère ses excès de jalousie.

Avec Dans le champ amoureux, j’ai voulu mettre en scène une relation qui bute sur elle-même, victime de la lutte aveugle des égos blessés. En réglant leurs comptes, Elle et Lui espèrent trouver une issue salutaire, or ils ne font que creuser leur tombe. Ce soir encore, la chambre à coucher est leur champ de bataille privilégié. À travers une joute rhétorique enflammée, ils se renvoient l’un à l’autre sans jamais se ménager. Le manque de confiance en soi alimente les doutes envers l’autre, et c’est la spirale aliénante de la sempiternelle chicane qu’il faut juguler. Mais tant qu’ils ne seront pas allés au fond de leur pensée, les amoureux persisteront à tourner en rond dans les replis tortueux du lit double. Et s’ils alternent constamment les rôles de victime et de bourreau, c’est certainement parce qu’il existe toujours une coresponsabilité dans les aléas d’une relation.

Malgré tout, un attachement profond persiste. « Désirer, c’est construire un agencement, un contexte, dans lequel coulera le désir », aurait dit Lui, en citant Deleuze. Ainsi, peut‑être l’aime‑t‑il parce qu’elle représente un amour maternel sans condition ? Ou est‑ce simplement son nez qui lui rappelle celui de sa première amoureuse ? Quant à elle, serait-ce l’immaturité de son propre père qui l’attire vers une certaine autorité ? Ou encore ses six pieds de haut qui le rendent viril à ses yeux ?

Au-delà des considérations de l’inconscient, le quotidien et les souvenirs passés demeurent le ciment qui lie les êtres entre eux. Mais pourquoi s’accrocher pieusement à ce qui a été alors que l’avenir ne laisse plus rien présager ? Pour percer cet écran de fumée, par manque de courage ou par effort de lucidité, les protagonistes devront se poser la question.

Toutefois, l’amour demeure un mystère. Cet enfant de bohème ne connait pas de lois et c’est pourquoi depuis des millénaires les auteurs tentent de comprendre ce point du sternum, qui brûle et réjouit à la fois. Il peut surtout devenir un jeu redoutable, alors si je t’aime prends garde à toi.

Flûte Mentorat OCNA 2024 Catherine Chabot

Les partenaires savent que l’affrontement auquel ils se livrent et qui ne les séparera pas est aussi inconséquent qu’une jouissance perverse.

— Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux
 

Elle est auteure et drama queen à ses heures. Lui est doctorant en philosophie et amateur de Timbits. Ils ont passé leur vingtaine ensemble. Cumulant les élans passionnés autant que les querelles et les infidélités, ils entretiennent aujourd’hui une relation ambigüe qui échoue à les rendre heureux. Peu à peu, les mots se sont substitués aux corps, et le langage a remplacé le lit double comme lieu privilégié des ébats. Mais ce soir, leur joute rhétorique les amènera aux limites du champ amoureux…

Dans ce texte où se mêlent gravité et humour, Catherine Chabot pose un regard acéré sur les pérégrinations de la chambre à coucher. Une partition hyperréaliste pour trois comédiens, à la langue actuelle et crue.

Extrait de la pièce

Elle : Pleurer en lisant un poème contre la hausse des frais de scolarité, faut le faire en tabarnac.

Lui : Pas juste ça, tu pleurais pendant les manifs, tu pleurais pendant les discours, tu pleurais pendant les élections.

Elle : Si je peux me permettre, tu portais un béret avec un carré rouge dessus pis tu te cachais des caméras pour pas qu’ils te voient faire... quoi, exactement ?

Lui : J’étais fiché, écoute, j’étais fiché.

Elle : Je sais, j’ai tellement flashé, c’est ça qui m’a turné on.

Lui : Pis aujourd’hui tu te touches en pensant à GND. 

Elle : C’est tellement absurde, tout ce qui reste de ça, c’est un fantasme érotico-engagé.

Lui : C’est de l’énergie libidinale mieux canalisée en tout cas, parce que militer...

Elle : Après des mois de manifs avec des estis de militants, je pense que je préfère chiller avec des jeunes libéraux.

Lui : Ah non par contre, les jeunes libéraux, pour vrai, j’ai une détestation profonde.

Elle : Je les haïs aussi.

Lui : Je t’aime.

Elle : Une chance qu’on haït les mêmes affaires, hein ?

Lui : Un béret ? Je portais-tu un béret pour vrai ?

Elle : Un beau béret de qualité.

Sources d’inspiration à explorer

LECTURES 

Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes (Seuil, 1977). Essai dans lequel « l’auteur décortique avec acuité les multiples qualités de sensations reliées à l’amour ».

EXTRAIT DU LIVRE. La catastrophe. Crise violente au cours de laquelle le sujet, éprouvant la situation amoureuse comme une impasse définitive, un piège dont il ne pourra jamais sortir, se voit voué à une destruction totale de lui-même.
 

Le roman L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera (Gallimard, première parution en 1984, nouvelle édition revue par l’auteur en 2007). « Parce qu’à l’image du personnage de Tereza, celui d’Elle Dans le champ amoureux prône l’amour pur ».

EXTRAIT DU RÉSUMÉ. Plus que les autres romans de Kundera, celui-ci est un roman d’amour. Tereza est jalouse. Sa jalousie, domptée le jour, se réveille la nuit, déguisée en rêves qui sont en fait des poèmes sur la mort. Sur son long chemin, la jeune femme est accompagnée de son mari, Tomas, mi-don Juan, mi-Tristan, déchiré entre son amour pour elle et ses tentations libertines insurmontables.
 

L’essai Les luttes fécondes : libérer le désir en amour et en politique de Catherine Dorion (Atelier 10, 2017). « J’aime penser que l’institution du couple est à l’amour ce que les institutions financières sont à la valeur des maisons. »

RÉSUMÉ. En politique comme en amour, nos énergies sont, la plupart du temps, soigneusement contenues à l’intérieur de cadres qui « organisent » les liens qui nous unissent, et qui empêchent les révolutions de prendre pied. Le couple. Nos institutions politiques. Les élections. Ce livre parle du désir qui cherche à s’exprimer entre deux (ou cent-mille) personnes, et de ce qui a été mis en place pour le garder emprisonné. Ce livre est un plan d’évasion.
 

La fidélité ou l’amour à vif de Michela Marzano (Buchet/Chastel, 2005).

RÉSUMÉ. La philosophe se demande si la fidélité peut encore être un idéal pour les couples d’aujourd’hui, évitant le double écueil du retour à la fidélité toute extérieure d’antan et celui de la dissociation contemporaine d’avec l’amour. La fidélité authentique, celle qui mène à l’amour, se révèle comme présence à soi et à l’autre et non plus comme un idéal.

« Salut :-)» : le couple au temps des possibilités innombrables

par Nicolas Langelier 

Difficile d’imaginer que les choses pourront s’arranger, dans notre histoire d’amour avec le couple. De penser que notre culture de l’accomplissement individuel, des options illimitées et des plaisirs sans cesse renouvelés nous donnera envie de nous contenter d’une seule personne pour bien longtemps. D’espérer qu’avec toujours plus de technologies de toutes sortes dans notre vie, toujours plus de réseaux et d’applications et de géolocalisation très très précise et de moyens d’écrire « Salut :) » à des gens au milieu de la nuit, un peu soul – difficile d’espérer, donc, que les choses deviennent plus faciles.

Au contraire, bien sûr. Nous aurons beau apprendre de nos erreurs et de nos psys, devenir plus éduqués et expérimentés, les circonstances générales ne favoriseront certainement pas un meilleur taux de succès. Si le couple était un exercice périlleux en 1879 ou en 1991, la multiplication des raisons et des moyens d’aller voir ailleurs n’augure rien de bon pour l’institution amoureuse, au cours des décennies à venir. Madame Bovary aurait vécu bien d’autres tourments, avec Bumble.

Déjà que nous sommes rarement satisfaits, il faut bien le reconnaitre. En examinant nos relations amoureuses, nous les jugeons trop ceci ou pas assez cela, en tout cas pas à la hauteur des attentes que nous avions placées en elles. Nous voulons mieux, souvent, à tous les niveaux : plus d’amour profond et immuable, de sexe à couper le souffle, de stimulation intellectuelle, de passion et de pardon, d’explosions de bonheur. En couple, nous avons tendance à envier aux célibataires leurs nombreuses options de sexe avec des quasi-inconnus, et le fait qu’ils n’ont pas à vivre le jour de la marmotte sentimental qu’est souvent la vie à deux. Cette possibilité constante de remettre les compteurs à zéro avec quelqu’un d’autre est particulièrement attirante, pour l’individu du 21e siècle.

Et toujours, encore et encore, nous sous-estimons – ou nions carrément – combien les aventures extraconjugales sont des choses tentantes et excitantes, et combien il est difficile de rester avec un seul partenaire pour toute la durée de nos existences de plus en plus longues. Et cet aveuglement – volontaire ou non – au cœur de la plupart de nos relations nous cause toutes sortes de problèmes.

Peut-être que c’est le couple lui-même qui est devenu irréaliste. Peut-être qu’il est un vestige d’une époque révolue, un anachronisme, comme le patriarcat et les centrales au charbon. Après tout, avoir des enfants n’est plus une obligation, ni pour s’occuper de la ferme ou de la boutique, ni pour se conformer aux normes sociales et religieuses. Il est même dorénavant possible de faire un enfant avec comme seul partenaire un médecin spécialiste. Et quand on élimine les enfants de l’équation, le couple perd un peu, beaucoup, de sa raison d’être fondamentale, quand on y pense.

Pourtant – et c’est ce qui complique tout, dans cette histoire – nous continuons à la vouloir encore tellement, cette vie à deux. Peu importe les chances de succès microscopiques, nos échecs à répétition : nous nous obstinons à chercher la personne avec qui passer le reste de nos jours.

Parce qu’il y a en nous ce désir biologique de trouver un partenaire, cet instinct inscrit dans nos gènes depuis la nuit des temps, comme il l’est pour les gibbons et les perruches. Parce qu’il y a nos hormones. Parce que les Romantiques nous ont laissé en héritage une vision de l’amour pour le moins hors du commun (la fiction a gâché le couple pour tout le monde, c’est un fait). Parce que ça reste profondément plaisant, d’avoir quelqu’un avec qui faire équipe, développer des projets, s’assoir devant un film un vendredi soir.

Alors, confrontés à ce contexte impossible en même temps qu’à ce besoin dévorant, plusieurs ont essayé de rénover l’institution amoureuse, depuis quelques décennies – et le mouvement semble s’accélérer, en ce moment. Nous réévaluons notre conception de la fidélité, notre emphase obstinée sur la monogamie. Nous imaginons de nouvelles structures : couples ouverts, polyamour, « trouples », etc. Nous envisageons la relation amoureuse comme un moteur qui a juste besoin d’une mise au point pour ronronner à nouveau.

Tous des efforts louables, et assurément nécessaires. Après tout, il est absurde de continuer à essayer de copier-coller un modèle qui trouve son origine dans une époque et un contexte bien différents des nôtres. La femme et l’homme de l’âge de bronze n’avaient pas à composer avec les flous contours éthiques des communications virtuelles.

Mais peu importe les structures, ces défis majeurs demeurent : la complexité de nos émotions et de nos blessures, le langage ancestral de notre biologie, la charge érotico-émotive d’un regard juste un peu trop long, le désir plus fort que tout d’embrasser ces lèvres nouvelles, de toucher ce corps inconnu. Il restera toujours l’envie de recommencer sa vie à neuf, en mieux, parce que c’est le printemps et que la nuit est douce dans Hochelaga.

Et donc nous continuons à chercher l’agencement – partenaire(s), formule, règles explicites et tacites – qui nous rendra heureux, enfin, à ce moment précis de notre vie courte mais longue. Sans perdre espoir que, d’échecs désastreux en ratages un peu moins pires, de tromperie douloureuse en entente à l’amiable, nous puissions trouver l’amour et le contexte qui permettra de le faire durer toujours, cet amour, en dépit de tous les obstacles, et de la réalité des jours et des nuits, et du cours changeant et imprévisible du cœur humain.

Ce texte a été publié comme contrepoint à la pièce Dans le champ amoureux, récemment parue chez Atelier 10 dans la collection « Pièces ». Il est repris ici grâce à l’aimable permission de l’auteur-éditeur. 

Le spectacle a été créé le 7 novembre 2017 à l’Espace Libre, à Montréal.
La pièce est publiée chez Atelier 10 dans la collection « Pièces » (no 16, 2018).

Artistes

Alliance internationale des employés de scène et de théâtre