Dernière mise à jour: 21 mars 2019
ROSSINI, Sonate pour cordes no 4 en si bémol majeur (14 minutes)
I. Allegro vivace
II. Andantino
III. Allegretto
Jessica Linnebach, violon
Yosuke Kawasaki, violon
Rachel Mercer, violoncelle
Joel Quarrington, basse
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PROKOFIEV, Sonate pour deux violons en do majeur, opus 56 (14 minutes)
I. Andante cantabile
II. Allegro
III. Commodo (quasi allegretto)
IV. Allegro con brio
James Ehnes, violon
Yosuke Kawasaki, violon
- - - ENTRACTE - - -
DVOŘÁK, Quintette pour cordes no 2 en sol majeur, opus 77 (35 minutes)
I. Allegro con fuoco
II. Scherzo: Allegro vivace (Trio: L’istesso tempo, quasi allegretto)
III. Poco andante
IV. Finale: Allegro assai
James Ehnes, violon
Jessica Linnebach, violon
Jethro Marks, alto
Rachel Mercer, violoncelle
Joel Quarrington, bass
Pesaro, 29 février 1792
Paris, 13 novembre 1868
Qui n’a pas entendu des récits renversants sur ce que des prodiges comme Mozart, Mendelssohn et Saint-Saëns ont accompli dès l’enfance! Rossini appartient aussi à cette catégorie. En effet, l’œuvre fluide et ravissante qui ouvre le programme d’aujourd’hui a été composée par un garçon de 12 ans. Il s’agit de la quatrième d’une collection de six sonates pour cordes, toutes écrites en l’espace de trois jours alors que Rossini était en visite chez un ami à Ravenne. Pour couronner le tout, Rossini tint le second violon pour les premières exécutions.
Le titre original en italien est sonata a quattro, ce qui signifie tout simplement « sonate à quatre ». Néanmoins, ces quatre voix sortent de l’ordinaire, car elles ne forment pas le quatuor à cordes conventionnel (premier et deuxième violons, alto et violoncelle), mais offrent plutôt la combinaison de deux violons, d’un violoncelle et d’une contrebasse. Qui plus est, la partie pour contrebasse est entièrement indépendante de la ligne de violoncelle, une pratique des plus inusitées à l’époque, et comporte plusieurs courts solos. Pourquoi la contrebasse? Parce que c’était l’instrument dont jouait l’hôte de Rossini à Ravenne, où il composa ces pièces.
Jusque vers 1940, on a cru ces sonates perdues, bien qu’elles aient survécu sous forme de transcriptions pour un quatuor à cordes conventionnel et pour un quatuor à vents. Les manuscrits originaux ont alors été retrouvés par le compositeur Alfredo Casella à la Bibliothèque du Congrès, à Washington, D.C. Nul ne sait comment ils avaient abouti là. Ces pièces sont dès lors entrées au répertoire de nombreux ensembles de concert, et figurent en bonne place parmi les plus anciennes compositions de Rossini parvenues jusqu’à nous qui sont encore jouées régulièrement.
Le monothématique premier mouvement alterne entre des passages tendrement lyriques, qui pourraient être tirés d’un air d’opéra, et des ornements rapides ne convenant qu’à une exécution instrumentale. On remarquera les solos de contrebasse qui le ponctuent. Le mouvement lent manifeste une profondeur de sentiment étonnante pour un compositeur aussi jeune. Bien qu’elle soit, en principe, en sol mineur, la musique fait plusieurs incursions dans des tonalités éloignées. La bonne humeur revient pour le troisième mouvement, joyeusement bondissant, sur un rythme de polka.
Traduit d’après Robert Markow
Sontsivka (auj. Krasnoïe Selo), province de Iekaterinoslav, Ukraine, 27 avril 1891
Moscou, 5 mars 1953
Cette sonate est l’une des dernières œuvres que Prokofiev ait écrites pendant son séjour de seize ans hors de la Russie (de 1918 à 1934, il a vécu aux États-Unis et en Europe). Il a composé cette sonate en 1932 pour la société parisienne Le Triton, vouée à la promotion de la musique de chambre moderne (Milhaud, Poulenc et Honegger comptaient parmi les autres compositeurs engagés dans cette entreprise). Les premières exécutions à Paris et à Moscou, vers la fin de 1932, furent accueillies froidement, mais la sonate compte aujourd’hui parmi les favoris du répertoire de duos pour violons. « L’extraordinaire fraîcheur des images, la dynamique pleine de vie et de vigueur, l’inventivité et l’étonnante variété de passages évocateurs ne peuvent que captiver aussi bien l’interprète que l’auditeur », écrivit le fils du compositeur, Sviatoslav.
L’intitulé du mouvement d’ouverture, Andante cantabile (sur un tempo modéré et dans un style chantant) met en relief les qualités mélodiques des deux instruments. Un thème lyrique unique se déploie lentement, se développe, atteint un point culminant et se résout dans le registre aigu des deux instruments. Les deux voix sont traitées sur un pied d’égalité, comme elles le seront jusqu’à la fin de la sonate : à aucun moment on n’a l’impression d’entendre un « premier » et un « second » violons, ou un instrument principal avec accompagnement. En fait, l’un des aspects les plus remarquables de cette sonate est justement l’absence quasi totale de quoi que ce soit qui puisse faire songer à un « accompagnement » dans l’une ou l’autre partie.
Le deuxième mouvement est aussi énergique et expansif que le premier était tendre et méditatif. Les deux violons se lancent dans un discours passablement virtuose, qui intègre des rythmes complexes et de multiples doubles-cordes. Le troisième mouvement renoue avec l’introspection sereine du premier (Prokofiev indique ici l’usage optionnel de sourdines), et le finale est de nouveau exubérant, truffé de difficultés techniques et empreint de l’énergie primitive propre à certaines danses folkloriques russes. Tout juste avant le sprint final, Prokofiev reprend une dernière fois le thème d’ouverture de la sonate, dolcissimo (très doucement), dans le registre aigu du premier violon.
Traduit d’après Robert Markow
Mühlhausen, Bohême (auj. Nelahozeves, République tchèque), 8 septembre 1841
Prague, 1er mai 1904
Le répertoire de la musique de chambre ne manque pas de quintettes à cordes, mais celui qui figure au présent programme est unique en ce qu’il constitue la seule œuvre connue écrite par un compositeur de tout premier plan pour deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse. Quant à savoir pourquoi les œuvres musicales sont si rares pour cette combinaison d’instruments – qui représente, après tout, les éléments de base de la section des cordes d’un orchestre symphonique –, on se perd en conjectures, c’est le moins qu’on puisse dire. L’exemple de Dvořák démontre pourtant l’efficacité de cette orchestration. Quelques autres compositeurs utilisent cette combinaison de cordes, dont Max Reger, John Harbison et Tobias Picker; le très populaire Quintette en la majeur « La Truite » de Schubert comporte une contrebasse, mais on y trouve un piano à la place du second violon.
Peut-être est-ce pour une raison très terre-à-terre – la difficulté de transporter et de déplacer une encombrante contrebasse – que les compositeurs ont préféré écrire pour un ensemble beaucoup plus mobile lorsqu’il se compose de deux violons, deux altos et un violoncelle, ou encore de deux violons, un alto et deux violoncelles. Le fait que le Quintette no 2 de Dvořák soit beaucoup plus présent sur disque que dans les programmes de concerts tend à accréditer cette hypothèse.
La musique de chambre est au cœur de la production de Dvořák. Tant par la qualité que la quantité, aucun autre compositeur du XIXe siècle, à part Beethoven et Brahms, ne rivalise avec lui à ce chapitre. La première composition publiée de Dvořák était un quintette pour cordes (deux violons, deux altos et un violoncelle), qu’il avait commencé à écrire en 1861, peu après avoir obtenu son diplôme de l’école d’orgue de Prague, et il a composé une autre pièce pour cet ensemble au faîte de sa carrière, pendant son séjour aux États-Unis en 1893.
Dvořák a écrit le resplendissant Quintette de l’opus 77 en 1875, année qui a aussi été marquée par la création de l’opéra Vanda, du Trio pour piano, violon et violoncelle no 1 en si bémol majeur (opus 21), du Quatuor avec piano no 1 en ré majeur (opus 23) et de la Sérénade pour cordes en mi majeur (opus 44). Pourquoi le numéro d’opus est-il si anormalement élevé? Le Quintette comportait à l’origine cinq mouvements, et fut joué sous cette forme à sa création à Prague le 18 mars 1876. Dvořák en retrancha plus tard le deuxième mouvement, un intermezzo emprunté à l’Andante religioso d’un autre quintette pour cordes, en mi mineur, écrit cinq ans plus tôt et demeuré inédit. Le Quintette ne fut publié qu’en 1888, époque à laquelle l’éditeur Simrock lui attribua le numéro d’opus 77. Dvořák s’y objecta, faisant valoir que cette pièce devait logiquement porter le numéro 18 dans l’ordre chronologique, mais c’est le point de vue de Simrock qui prévalut. Dans les rares occasions où le Quintette est exécuté sous sa forme initiale en cinq mouvements, il est identifié comme l’opus 18. L’intermezzo d’origine fut par ailleurs ultérieurement remanié et publié à part sous le titre Nocturne pour cordes, opus 40.
Les auditeurs reconnaîtront le son plus riche et plus plein que confère la présence d’une contrebasse à un ensemble. En redonnant sa voix de basse authentique à cet instrument, Dvořák procure au violoncelle toute la latitude voulue pour s’insérer dans le registre médian avec l’alto. Il est tentant de considérer le résultat comme une construction à trois niveaux, dans laquelle les violons représentent une unité, l’alto et le violoncelle, une autre, et la contrebasse, une troisième. Toutefois, Dvořák a fréquemment recours aux quatre voix les plus aiguës comme une unité en soi, variant constamment les combinaisons entre elles et laissant la contrebasse seule assumer le rôle de fondation indépendante. Cette stratégie ne fait qu’ajouter au caractère fascinant de ce quintette atypique.
Le premier mouvement est de forme sonate, comme on pouvait s’y attendre, mais comporte deux bizarreries. Le premier sujet se résume, pour l’essentiel, à un motif répété d’une mesure, mais n’en constitue pas moins l’un des traits les plus mémorables du Quintette – et un élément typiquement dvořákien. Le second sujet est en fa majeur, un choix de tonalité des plus improbables pour une œuvre en sol majeur; mais cette particularité, bien sûr, n’enlève rien au caractère réconfortant et séduisant de la composition. Les deux sujets font un usage abondant du triolet comme figure rythmique de base.
Le scherzo est écrit dans une tonalité mineure (mi), et pourtant, rares sont les auditeurs qui y entendent autre chose qu’une musique dynamique et exubérante. Le trio central contraste par sa tonalité, sa texture et son climat.
Le ravissant Poco andante annonce quelques-uns des plus beaux mouvements lents des œuvres de maturité de Dvořák. Les sections extérieures, amples et fluides, encadrent un passage central dont Otakar Šourek, spécialiste de Dvořák, souligne « l’ardeur et la beauté expressive hors du commun ».
Le finale, de forme rondo, renoue avec l’optimisme du premier mouvement. Son thème initial épouse la même ligne mélodique que celui du scherzo, mais sur un rythme différent. Le climat est endiablé jusqu’à la fin, et le Quintette fonce tête baissée vers une conclusion d’un enthousiasme délirant.
Traduit d’après Robert Markow
James Ehnes est un des musiciens les plus demandés au monde. Possédant une rare combinaison de virtuosité époustouflante, de lyrisme serein et de musicalité à toute épreuve, James Ehnes apparait régulièrement dans les plus grandes salles de concert du monde.
Parmi ses collaborations notoires récentes, on peut citer : l’Orchestre métropolitain au Carnegie Hall, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, l’Orchestre symphonique de San Francisco, l’Orchestre symphonique de Londres, l’Orchestre symphonique de la NHK, et l’Orchestre philharmonique de Munich. Durant la saison 2023-2024, James Ehnes poursuit sa résidence artistique avec l’Orchestre du CNA et son partenariat artistique avec le centre Artis-Naples.
En plus de ses concertos, il jongle avec un programme chargé de récitals. Il donne régulièrement des concerts au Wigmore Hall, au Carnegie Hall, au Concertgebouw d’Amsterdam, au Verbier Festival et au Festival de Pâques, à Aix-en-Provence. Chambriste passionné, il œuvre comme violon solo du Quatuor Ehnes et directeur artistique de la Seattle Chamber Music Society.
James Ehnes a remporté de nombreux prix pour sa riche discographie, dont deux prix Grammy, trois prix Gramophone et onze prix Juno. En juin 2020, il lance une nouvelle série de récitals en ligne, « Recitals from Home », pour pallier la fermeture des salles de spectacle pendant la pandémie de COVID-19. Ces enregistrements sont acclamés par la critique et le public du monde entier; Le Devoir qualifiant même cette initiative de « symbole absolu de cette évolution [vers la diffusion en continu] ».
Il a étudié auprès de Sally Thomas à la Meadowmount School of Music et à l’école Juilliard, dont il sort en 1997 avec le prix Peter-Mennin en reconnaissance de ses réalisations exceptionnelles et de son leadership en musique. Décoré de l’Ordre du Canada et de l’Ordre du Manitoba, il est membre de la Société royale du Canada et membre honoraire de la Royal Academy of Music, à Londres, où il est professeur invité.
James Ehnes joue sur un Stradivarius « Marsick » de 1715.