Quelques questions posées à Tamara Lindeman, du projet The Weather Station

© Instagram: @theweatherstation
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Dans les dernières années, on a l’impression que la vie des artistes en tournée a été quelque peu démystifiée. Une vision plus réaliste de la situation émerge, même si elle peut sembler quelque peu noire ou blanche : d’un côté, on dirait qu’il y a l’artiste émergent sans le sou, au teint livide et ne survivant que grâce à de maigres subventions, et de l’autre, l’artiste à succès qui fait l’envie de tous et qui trône au sommet de la pyramide. Mais quelque part entre ces deux extrêmes, on trouve des artistes comme Tamara Lindeman, auteure-compositrice-interprète torontoise à la tête du projet art-folk The Weather Station; elle réussit à voir de la magie dans la vie de tournée, tout en gardant les deux pieds fermement ancrés dans la réalité.

Nous avons discuté de la vie de tous les jours après la tournée, de l’hégémonie de la langue anglaise et du rôle de l’inspiration dans la création.

RK : La tournée de The Weather Station vous amène un peu partout dans le monde. Vous êtes toujours en plein dedans. Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

TL : Je ressens une certaine légèreté en tournée que je n’éprouve pas quand je suis chez moi : en mouvement constant, j’acquière toujours de nouvelles perspectives. On dirait que je considère ma vie de plus loin. En fait, tout semble plus léger qu’à la maison.

J’apprécie vraiment le fait de voir le monde grâce à cette possibilité unique qui m’est offerte de présenter des spectacles. Je n’ai pratiquement pas vu de sites touristiques, mais je peux dire que j’en connais un rayon sur les stations-services et les autoroutes de la planète, et sur les rouages de la culture du théâtre et des bars. C’est étrange et intéressant de rencontrer des gens en Espagne, en Allemagne ou en Australie lors d’une prestation de The Weather Station. Il y a des choses qui sont partout pareilles, mais il y a aussi des différences qui retiennent mon attention. J’aime beaucoup passer du temps hors de l’Amérique du Nord; au Canada, j’ai l’impression de ne pas réaliser à quel point notre perspective est influencée par les États-Unis… nous avons une manière de penser tellement nord-américaine; quand je suis en Europe et au Royaume-Uni, je prends conscience qu’il y a d’autres manières de penser et de parler, mais aussi de résoudre les problèmes de la vie d’aujourd’hui, qui diffèrent de celles que nous choisissons au Canada et aux États-Unis. Échapper à l’hégémonie de la langue anglaise me plaît bien aussi : il n’y a rien de tel que me promener en Norvège, par exemple, où je suis entourée d’une langue que je ne comprends pas, où je ne peux pas lire les panneaux ou écouter les conversations; pour moi, c’est un rappel constant que nous vivons dans un monde particulier, mais qu’il en existe bien d’autres. Cela a aussi quelque chose d’apaisant que d’être entourée, mais non touchée, par les mots qu’on entend partout dans l’espace public.

RK : Comment vous réajustez-vous à la vie de tous les jours, quand vous revenez de tournée ?

TL : Quand je rentre à la maison, j’adore aller faire l’épicerie pour préparer de bons petits plats faits maison. Pour moi, c’est une manière magnifique de reprendre ma vie quotidienne, et c’est bien évidemment quelque chose que je ne peux simplement pas faire en tournée.

RK : Si vous aviez la possibilité de bien vivre sans avoir à faire de tournées, le feriez-vous? Selon vous, de quelle manière la création est-elle reliée au fait de présenter des concerts?

TL : Quelle excellente question! Je vous remercie de l’avoir posée. Je dois d’abord noter que bien des musiciens ne gagnent pas leur vie grâce à leurs tournées. En fait, avoir de bons revenus en tant que musicien de tournée est très difficile, et c’est même plutôt rare, surtout dans le cas des leaders de groupes, qui paient tous les intervenants et assument tous les coûts avant d’empocher du profit. Comme nous avons fait une longue tournée, je devais bien offrir aux membres de mon groupe un salaire décent, pour que chacun puisse vivre correctement, mais aussi payer les frais de mon agent et de mon producteur, sans compter le prix des vols, des nuitées à l’hôtel, de la location des voitures et de l’essence… Une tâche complexe.

Malgré tout, je dois dire que partir en tournée me plaît. J’adore découvrir le monde, mais pas d’une manière touristique, plutôt dans le contexte de mon travail. C’est agréable de faire la connaissance des gens pour qui notre musique est importante, fait partie de leur vie. On réalise que bien des gens réagissent de différentes manières à notre musique, et que celle-ci a une vie bien au-delà de ce que nous pourrions imaginer. Notre musique sort de nous et elle continue sans nous- n’est-ce pas formidable? De plus, faire des concerts m’en a appris beaucoup sur moi-même et sur la musique. Je ne sais pas si je serais devenue l’artiste que je suis aujourd’hui si je n’avais pas passé tant de temps en tournée au cours des dernières années.

Si seulement faire des tournées était moins épuisant, si c’était quelque chose que l’on puisse faire quand on en a envie ou que cela nous convient, ce serait l’idéal. Partir en tournée a un impact important sur notre santé, sur nos relations, et aussi sur nos finances, bien souvent. J’aimerais pouvoir être davantage à la maison pour passer plus de temps à composer et à faire des enregistrements. Mais je suis aussi heureuse que faire des tournées me soit agréable, parce que c’est une dimension très importante de la vie des musiciens, de nos jours.

RK : J’ai lu quelque part que vous aviez pris davantage de liberté avec les paroles pour votre dernier album : vous improvisiez les paroles en suivant le rythme naturel des premières mélodies vocalisées, plutôt que de récrire les paroles méticuleusement. Est-ce une manière de faire que vous utiliseriez de nouveau? Maintenant que vous êtes en tournée depuis un an, comment vous sentez-vous par rapport à ces paroles, et pourquoi?

TL : J’aime toujours les paroles qui m’avaient tout de suite marquée – il y a des chansons dont je suis vraiment fière. Partir en tournée avec une œuvre de création aussi ouverte a été une expérience de liberté qui évoque justement tout le pouvoir de l’improvisation et de la fluctuation des œuvres. Mais, dans la création, comme dans l’écriture, j’ai l’impression que j’agis souvent par opposition à ce que j’avais fait précédemment, alors faire la tournée de cette album m’a permis de mettre de côté la cohésion et la clarté. En fait, la tournée me donne maintenant le goût de revenir à une approche plus méticuleuse, ce qui ne serait peut-être pas arrivé si je n’avais pas fait cet album. Je devais briser tous les tabous, faire table rase, pour créer à nouveau.

RK : Votre écriture apparaît à la fois plus personnelle et plus insaisissable dans cet album que dans vos précédents. Est-ce important pour vous d’être consciente du sens de vos chansons à court terme ou seulement plus tard?

TL : Bonne question. Quand j’écris, je sais de quoi je parle. Je déteste les paroles qui n’ont aucun sens ou sont le résultat d’un flot d’inspiration soudain. Cela me semble trop facile. Je veux que mes chansons aient un sens, et c’est ce qui me motive à les écrire ou à les terminer. Mais je trouve qu’il y a quelque chose d’encore plus captivant quand une chanson a un élément obscur qui attire mon attention, qui me demande d’aller plus loin. Des images me viennent; je n’en comprends pas toujours tout suite le sens, et je les laisse me guider le temps qu’il faut. Pour moi, c’est ce qui donne de la profondeur à une chanson, et c’est ce qui lui donne une vie. Mais il faut quand même que la chanson ait du sens!

Je modifie parfois des détails pour protéger des personnes ou j’omets ce que je ne suis pas prête à révéler publiquement. Il arrive donc que des éléments qui rendraient la chanson plus claire sur le plan narratif soient omis, et je le regrette parfois, quand je réalise que la chanson semble difficile à saisir. C’est une question d’équilibre. J’essaie de trouver le juste milieu entre une chanson qui peut être ouverte à plusieurs interprétations et une chanson qui a tout de même du sens, qui peut être comprise. Sans cette clarté de base, il me semble que la chanson rate son objectif, en quelque sorte.

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The Weather Station joue au CNA, le vendredi 28 septembre au studio Azrieli


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