De l’infiniment petit à l’infiniment grand : Adaptations pour ruines capitalistes de Krista-Leigh Davis

Krista-Leigh Davis est une artiste visuelle spécialisée en vidéo, animation et sculpture qui partage sa vie entre le territoire des Tr’ondëk Hwëch’in (Dawson City, au Yukon) et K’jipuktuk (Halifax, en Nouvelle-Écosse). Dans sa pratique, la poussière, les os et les cultures d’algues microscopiques côtoient les costumes, les perruques et les paillettes; ce sont l’identité queer, la vie sauvage et les liens avec la nature qui guident l’exploration artistique. Dans cet espace, l’artiste espère trouver des stratégies créatives, parfois même fantasques, pour amorcer un virage vers un monde plus équitable sur le plan écologique. 

Les œuvres de Krista-Leigh Davis ont été présentées dans des festivals et des galeries d’art aux quatre coins du monde, y compris une récente exposition solo intitulée The Icehouse Architect au Blue Building, à Halifax, Nouvelle-Écosse. L’artiste a également contribué à des projets écologiques tels que Drylab 2023, Nibi Walks dirigé par Sharon M Day, et Stories for the Arctic Refuge. Avant de se concentrer sur sa pratique personnelle en 2017, elle a cofondé le Festival de films queer OUTeast à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et créé des spectacles de style cabaret queer mêlant musique, vidéo, comédie et perruques synthétiques avec un groupe d’artistes et de musiciens et musiciennes à la Company House. Elle travaille actuellement sur une collaboration poésie-animation avec une jeune poète, Samanda Ritch.

L’œuvre de Krista-Leigh Davis Adaptions pour ruines capitalistes animera la Lanterne Kipnes tout au long du mois d’août, à l’occasion de Fierté dans la capitale. Nous avons discuté avec l’artiste de son approche créative, du rôle de l’identité queer et du monde naturel dans ses explorations artistiques, et du message qu’elle souhaite transmettre au public. 

Quelle a été votre approche pour créer Adaptations pour ruines capitalistes pour la scène numérique? Comment décririez-vous votre œuvre? 

Cette œuvre est adaptée d’une vidéo expérimentale sur une mine contaminée et abandonnée au Yukon, et sur un groupe de créatures hautes en couleur qui ont trouvé des stratégies pour soigner ces terres ravagées. Pour la Lanterne, j’ai réinventé l’histoire d’un de ces groupes de créatures, les Extrémophiles. 

Pour verser un peu dans la science, les extrémophiles sont des microorganismes qui aiment les environnements inhospitaliers, par exemple en raison de températures ou d’un taux de salinité ou d’acidité extrêmes. Certains extrémophiles sont même capables de nettoyer les zones polluées en décontaminant des marées noires, en absorbant des métaux lourds ou en neutralisant leur toxicité. Dans Adaptations pour ruines capitalistes, je suis partie de cette idée pour imaginer un monde fictif où l’humanité apprendrait de ces microbes résilients. 

Comment l’identité queer, la vie sauvage et les liens avec la nature orientent-ils votre exploration artistique – en général, et pour cette œuvre en particulier? 

Les questions écologiques sur lesquelles je travaille (les changements climatiques, l’économie extractiviste, l’empreinte environnementale des systèmes coloniaux capitalistes) sont vastes; on ne fait pas le poids. On nous demande d’agir, mais tout se joue à une échelle tellement plus grande que nos petits corps que ça peut devenir paralysant. Dans mon travail, j’essaie de contrer ce sentiment, de nous ramener à notre corps pour imaginer des avenirs inédits et équitables sur le plan écologique. Si nous ne le faisons pas, comment nous en sortirons-nous? 

C’est là qu’entrent en jeu l’identité queer, la vie sauvage et les liens avec la nature. Pour moi, ce sont des outils extrêmement puissants pour défaire les préjugés qui me viennent de notre culture occidentale hétéronormative obsédée par le profit. L’identité queer m’a montré l’importance de réfléchir dans la marge (c’est là que s’ouvrent les possibilités!). La vie sauvage fait fi des règles et des normes culturelles, et le fait de prendre conscience des liens qui m’unissent aux créatures et à la terre qui m’entourent m’oblige à prendre mes responsabilités envers celles-ci. 

Par exemple, dans Adaptations pour ruines capitalistes, les Scientifiques nouent une collaboration avec les Extrémophiles, qui leur demandent de défier les conventions en exprimant les résultats de leurs recherches sous forme de poésie. Ce recadrage permet de considérer les mondes non-humains comme des collaborateurs à parts égales plutôt que de simples sujets d’étude, de voir les perspectives qui s’ouvrent lorsqu’on sort de nos ornières. 

Les éléments visuels de l’œuvre sont combinés à du texte. Quel message souhaitez-vous transmettre au public? 

J’envisage cette œuvre comme une proposition plutôt qu’un message, car ces derniers sont souvent à sens unique, lourds et moralisateurs. Une proposition, c’est une collaboration – la personne qui reçoit l’idée peut en faire ce qu’elle veut. 

Des microbes extrémophiles fluorescents qui dansent pour guérir les sols ravagés? C’est une simple fable excentrique pour inviter à sortir des sentiers battus. Ultimement, la proposition de l’œuvre est la suivante : l’humanité et ses pratiques d’extraction ont saccagé et contaminé la terre. Que pouvons-nous apprendre des créatures non-humaines pour prendre soin de ces espaces? Comment pouvons-nous adapter nos stratégies, sur le plan culturel, politique et personnel, pour protéger notre planète? 

Qu’éprouvez-vous en voyant votre travail briller sur la Lanterne Kipnes au CNA, en plein cœur d’Ottawa, à l’occasion du Mois de la fierté et de Fierté dans la capitale? 

En tant qu’artiste queer, c’est tout un honneur! J’ai pu venir à Ottawa pour voir mon œuvre sur la Lanterne à la fin de juin; c’était vraiment chouette. J’ai adoré voir les couleurs vives illuminer le bâtiment et l’asphalte le soir. Et d’un point de vue sociopolitique, je suis ravie que le CNA ait choisi de présenter une œuvre sur la protection de l’environnement pendant la Fierté. Ce n’est pas un sujet souvent abordé dans le cadre de nos célébrations. Il y a pourtant des liens étroits entre l’identité queer et la justice environnementale, à savoir que les systèmes et les croyances responsables de l’oppression et du danger qui menacent les personnes queer et trans sont aussi ceux qui ont créé un mode de vie dommageable pour notre planète. Je parle de nos systèmes coloniaux et capitalistes, ceux dont, en tant que culture et que pays, nous ne semblons pas capables de nous défaire. Je crois que les communautés queer peuvent faire partie de la solution! 

Pour cette œuvre, j’ai beaucoup réfléchi aux tactiques queer, ces stratégies de résistance festive utilisées par les communautés queer pour lutter contre l’oppression. La théâtralité, les familles de cœur, la transformation et l’adaptation ont aidé nos communautés 2ELGBTQIA+ à s’épanouir et à envisager des avenirs vivables. Voyons ce qu’elles peuvent faire pour notre planète. 

Explorez toutes les œuvres de Krista-Leigh sur son site web ou sa page Instagram.

Sur la Lanterne Kipnes, Adaptations pour ruines capitalistes de l’artiste queer Krista-Leigh Davis traite de la découverte de stratagèmes ingénieux et ludiques pour transformer les paysages saccagés en espaces habitables.


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