≈ 1 hour and 15 minutes · No intermission
Last updated: September 25, 2023
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« j’ai connu un désir physique irrésistible et rare, s’intensifiant toujours ; rapidement, mon désir s’est confondu avec l’envie que ce désir ne soit destiné à personne d’autre que moi »
J’ai envie d’un théâtre postdramatique, qui ne tient pas tout entier dans des personnages et la représentation de leurs histoires, mais qui prenne davantage vie dans des situations, des situations que l’on pourrait considérer comme simples, modestes, mais dans lesquelles se rejouent pourtant tout ce qui se joue dans nos existences, nous livrant à de remarquables expériences ontologiques, en invitant le spectateur à une forme d’abandon à l’autre, dans l’espace du langage – qui n’est pas un lieu banal.
J’ai envie de vies sur scène qui sont les nôtres : bordéliques, mouvantes, immaîtrisables souvent déraisonnable et insensées et alors oh combien profondément vivantes et exaltantes, et relançant la vie ; d’autrefois, joyeuses et légères, mais aussi délicates, vulnérables et maladroites, aux prises avec le réel, tout en étant portées par des mots qui cherchent à exprimer avec justesse, dans une parole que l’on sent vivante, une pensée qui vous traverse et vous pense.
J’ai envie d’imaginer d’autres idées de théâtre : de réfléchir à comment porter dans cette discipline des idées affectantes notamment en y présentant, en y faisant vivre d’autres rapports au monde, aux autres et au langage. Je ne crois pas que ce soit ainsi que l’on change la vie : je suis par contre persuadée qu’il s’agit de la seule façon de vivre que celle qui suppose de se déplacer, ce qui revient à dire qu’il faut savoir changer de place, éprouver la joie de la bousculade, l’enthousiasme dans l’expérimentation d’autres emplacements, un certain plaisir dans la dérive. Les déplacements intérieurs sont à ce prix : à la fois risque, pari et parfois but inavouable.
Cette pièce est entièrement portée par la question du désir, désirer débordant la question du rapport passionnel ou amoureux, ayant tout à voir avec le fait de vivre, ou de recommencer à vivre. L’intensification du sentiment d’exister que procure le désir, qui ne s’oppose en rien à l’abîme qu’il ouvre en nous – le goût, le grand appétit pour la vie, les autres, la création, l’imagination –, a quelque à voir avec le déraisonnable et l’insensé, et donc se voit réprouver. Cette pièce suggère l’inverse : être traversé de désirs, déployer un goût intense pour une vie menée dans une certaine liberté, faire preuve d’envie, être convaincu qu’il faut suivre sans les canaliser les flux dont nous sommes traversés est aussi une façon d’éprouver sa vie.
C’est aussi ce que nous dit cette femme qui, faisant effraction sur scène, vient jusque là, et y prend sa place, tentant, par le langage et le corps, de dire à voix haute et libre son désir, visant chaque fois de ses mots le micro puisque le lieu est la radio.
Car les chemins du désir et de la radio se rejoignent et s’articulent en ce qu’ils engagent chacun à leur façon des réflexions sur le temps, l’incertitude et l’inconnu, l’intensité et le risque, offrant la possibilité d’une forme de déterritorialisation produisant chez soi un sentiment de nouveauté, d’altérité.
Toujours, la radio met en jeu le désir – de voix, de mots, de langage, d’écoute, mais aussi de l’autre – cette création théâtrale radicalise ces liens entre eux, et offre au désir et à cette femme une occasion d’être pensées à travers la radio ; de s’apercevoir.
par Marie-Laurence Rancourt
Une table en mélamine. Par la fenêtre, le ciel bleu, d’un bleu très sombre et très abstrait, celui de juste avant la noirceur. À peine ce qu’il faut de lumière pour faire apparaître le filigrane des choses. Une chaise à roulettes arrêtée de tourner. L’air d’un conduit qui siffle depuis toujours, d’où ça vient, impossible à dire. Sur la table, un casque, des feuilles, trois micros qui pendouillent. Dans un coin, une plante sèche qui s’entête. Soir après soir, ce même décor qu’on dirait là depuis toujours, et soir après soir, l’étonnement de reconnaître chaque chose. L’imprévu, aussi, qui forcément s’invite.
Dans ce studio, une femme s’immerge. Ici, c’est sa chambre, ou tout comme. Dix minutes avant l’émission, elle fait son entrée, trop de bouquins sous les bras, elle n’aura pas besoin de tout ça, à peine le temps de déposer ses affaires, de s’enfiler une gorgée d’eau, de constater que tout est en place (en désordre, mais le sien). Tous ces livres pour se rapprocher du monde. Elle travaille fort à ça, la tête enfoncée dans les bouquins et les films, elle travaille fort à comprendre ce que ça peut bien vouloir dire vivre, pas mal de temps aussi à fuir ce qui ne ressemble pas à de la vie – le tiède, l’ennui, le trop banal. Comment vivre pendant que l’on cherche à croire à ce qui nous fait vivre, que quelque chose nous fait vivre, comment pendant ce temps ne rien rater de l’intensité de la vie? Elle n’a pas la réponse, ne croit ni aux causes ni aux explications (ceci expliquant cela). Elle cherche, c’est tout.
Elle bondit dans ce studio avec cette impulsion qui lui vient de la vie. Et cette vie dans son corps lui donne plein de raisons de penser. Qu’elle le veuille ou non, c’est toujours par lui que surgit la pensée.
En gros pixels rouge, impossible à manquer, l’heure qu’il est et la durée restante qui décline. Cette femme, c’est son métier, s’accroche au sablier : maintenant, elle attend vingt heures.
Elle met de la musique, We’re on a road to nowhere/Come on inside, jubilation sous son casque, toujours ce même désir de monde, Takin’ that ride to nowhere/We’ll take that ride, si la musique existe, il est donc vrai que le monde existe, il est donc vrai que le réel est un mystère, grande joie en provenance de ces pensées (même les plus tragiques) qui traversent tout le corps de cette femme, qui remonte ses jambes, son dos, sa nuque jusqu’à sa tête, elle le sent. La musique s’arrête, mais la mélodie lui colle à la peau.
Elle regarde ce studio qu’elle connaît par cœur – les objets, les bouquins sur la table – et tout l’étonne d’être là. Sur un micro son regard se pose. Ce sera, encore ce soir, un joyeux face-à-face entre elle et ce point orangé. Au micro, elle a toujours une question dans la voix. Elle aime ce qui touche à la question et ce micro fait partie de ces choses. Elle aime ce qui disparaît en voyant le jour, et la radio en fait partie. Les mots qui sortent de la bouche, courent au bord du précipice, se jettent dans le vide, elle aime beaucoup. N’empêche, parfois, elle a peur de tomber avec eux, et puis elle se dit tant pis. Tant pis ne sonne pas comme une résignation, mais comme un air en faveur du risque et de l’aventure.
Elle a cette façon bien à elle de se pencher sur le micro, comme une génération se penche sur la suivante. Dans ce studio, elle se sent libre et seule. Elle devient ce qu’elle est, affirme ce qu’elle devient, agit comme elle existe et marche dans ses propres pas [L’endroit du décor, Raphaël Enthoven], des pas que laisse derrière elle sa voix. Ses fesses sont radicalement posées sur le bout de sa chaise, et cette pose, c’est celle du mouvant. Ça n’a rien de gauche, quoiqu’on en pense. Ce qu’elle préfère, c’est comment le micro, le studio transforme les mots, les idées en images, comment, à chaque instant, tout bouge et se transforme.
Elle regarde par la fenêtre, ne voit pas clair, la nuit a tout recouvert. De l’extérieur, on voit peut-être sa silhouette, une silhouette parmi d’autres, voilà, rien de plus, rien de moins. Ses doigts se nouent comme des idées entre elles. À cette heure, l’ombre est partie vagabonder ailleurs. Son désir lui – de travailler, de penser, d’aimer – ne la quitte jamais.
Elle jette un regard riant et silencieux, au technicien derrière la vitre. La déformation de son visage dans la vitre, c’est encore elle?
Se tenant là, elle ne trouve pas comment dire autrement que : tout est si réel. Même si on lui répète que la radio interpelle l’imaginaire, franchement, elle ne voit pas la différence entre les deux. Elle prend une autre gorgée.
Généralement, elle improvise. Sauf les premiers mots, ceux-là, impossible, elle doit les organiser.
Dans quelques minutes, la pièce va commencer.
par Marie Labrecque
Extraits d’un article paru dans Le Devoir le 6 mai 2023.
L’intégralité de l’entretien est disponible en cliquant ici.
« Parfois, on a des coups de foudre spontanés pour des œuvres. » Larissa Corriveau a modifié l’horaire de ses engagements afin de pouvoir jouer dans L’écoute d’une émotion à l’Espace Go. « Le texte m’a renversée à la première lecture, explique la comédienne. Et, peut-être parce que Marie-Laurence [Rancourt] ne vient pas du théâtre, donc qu’elle n’est pas [formatée], rompue à certains clichés d’écriture, son texte sort un peu, par sa forme, de ce que je suis habituée de lire ou de voir sur scène. Il y a quelque chose de presque outrancier dans le langage, elle travaille beaucoup par surenchère, par répétitions. C’est très foisonnant. Et c’est aussi un sacré défi! [Rires] Mais j’aime ces vertiges. »
Il s’agit de la première création théâtrale signée en solo par Marie-Laurence Rancourt, qui a écrit et réalisé plusieurs documentaires sonores, en plus d’avoir contribué à Aalaapi [spectacle présenté au CNA en octobre 2022]. La protagoniste de son monologue est elle aussi une femme de radio : dans le studio où elle s’apprête à amorcer son émission, une animatrice se souvient de sa liaison passionnelle avec un homme, qu’elle décortique. L’autrice désirait réconcilier la pensée et les affects dans L’écoute d’une émotion. « Et j’avais envie de mettre en scène une femme qui pense. » Celle-ci raconte le désir amoureux non pas de manière anecdotique, mais en en faisant plutôt une « matière à penser, à réfléchir un rapport plus large à la vie ».
[…] Sans baigner dans une totale étrangeté, le spectacle comporte une part de fantasmagorie, qui l’éloigne d’un réalisme strict. Très inspirée par la vision du théâtre du réputé auteur et metteur en scène français Joël Pommerat, la créatrice a envie d’explorer dans les prochaines années, avec sa compagnie Magnéto, un théâtre « où le réalisme intègre la part du rêve sans la distinguer, où on se demande parfois si on est dans la réalité ou dans l’imaginaire. Pour moi, c’est comme une seule et même chose ».
Investigator of our social worlds
Marie-Laurence Rancourt is interested in our different relationships to language, ideas, and the social world: she uses them as a starting point for imagining sensitive forms that favour ideas in motion. Her creations intermingle theoretical, artistic and personal references: it is at their crossroads that thoughts and ideas takes shape, fuelled by an artistic impulse. Her works tell, translate lives caught between intimate experiences, work and collective history. Through sound, dramatic and literary writing, she seeks constantly to narrate the complexity of our existence, convinced that the ordinary is a conduit to significant and profound experiences. She likes to (dis)place herself, to watch and listen to people live, to explore the meanings ascribed to the dignified walk of our lives, which yet are never orderly, never self-contained, always contradictory, constantly in search of freedom and driven by basic desires. Marie-Laurence is the founder of Magnéto, the place where she reflects, imagines and writes her various projects, inventing her territory through different practices (notably radio art, with Les travaux et les jours, La nuit Myra Cree, La punition, and L’écorce et le noyau, and theatre, with Aalaapi, Radio Live, and the upcoming L’écoute d’une émotion).
Larissa Corriveau is an artist who transcends classifications. An actress, author and director, she has made a name for herself in the Montréal theatre scene, where she has worked with such luminaries as Marie Brassard (La fureur de ce que je pense and Beat Attitude), Alice Ronfard (Candide ou l’Optimisme), Brigitte Haentjens (Richard III and L’opéra de quat’sous), Catherine Vidal (Je disparais), Florent Siaud (Toccate et fugue), Marie-Ève Milot (Chienne(s)), Olivier Kemeid (Les manchots), Alexandre Marine (La cerisaie), Philippe Ducros (L’affiche and Eden Motel), Oleg Kisseliov (Emily Dickinson), Emmanuel Schwartz (Nathan) and many more.
In 2019, Larissa drew acclaim for her film debut in Denis Côté’s Ghost Town Anthology (selected to compete at the 69th Berlinale); her portrayal of the fragile and mystical Adèle was unanimously lauded by critics, who called her the “revelation of the film.” She went on to act in several other film productions: Denis Côté’s Social Hygiene, That Kind of Summer and Mademoiselle Kenopsia; Stéphane Lafleur’s Viking; and Ara Ball’s Hurricane Boy Fuck You Tabarnak!
Larissa has been lauded for her versatility and solid physical technique, and has worked with a number of Montréal choreographers and performers, including Estelle Clareton and Geneviève La.
She has been a finalist for the Prix Arthur Rimbaud from the Maison de Poésie de Paris (2007 and 2008) and the Prix de poésie Radio-Canada (2011). Her poems have been read as part of numerous events and published in literary journals in Montréal and Paris.
Larissa is also the founder of the production company La Demeure, where she writes, directs and produces short films and music videos screened at festivals around the globe.
She has several television appearances under her belt as well, including in Toute la vie, Motel Paradis, L’échappée, À cœur battant and Les yeux fermés.
International Alliance of Theatrical Stage Employees