≈ 1 hour and 20 minutes · No intermission
Last updated: November 29, 2018
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Quelques heures après avoir vu le premier laboratoire public de Dis merci, d’où je suis sortie en liesse, je témoigne à la metteure en scène de mon enthousiasme immédiat devant cette proposition incisive et drôlement astucieuse. Cette réaction à chaud ne s’est pas démentie et encore moins émoussée au fil du temps. Vive Joe, Jack et John qui prouve par sa démarche que se mesurer au monde d’aujourd’hui et relever ses contradictions n’a rien de sombre et d’écrasant ! Au contraire !
De : Mélanie Dumont
À : Catherine Bourgeois
7 octobre 2017 à 20h00Chère Catherine,
Bravo pour la présentation hier soir ! J’en suis sortie énergisée, et je crois savoir à la réaction de la salle que je n’étais pas la seule ! Il se dégage du plateau une fraîcheur vivifiante et une étrangeté réjouissante. Tout ça en fond de questions complexes, réelles et à vif en ce moment, abordées de manière décomplexées, sans jamais les simplifier, en écarter les nuances, les zones grises, les troubles.
Encore bravo, d’autant que je sais à quel point il est vertigineux d’ouvrir au public le travail en cours.
Des bises,
Mélanie
Cinq voisins préparent une fête pour souhaiter la bienvenue à une famille de réfugiés arrivant prochainement au pays. L’organisation de l’accueil, empreinte de bonnes intentions, s’embourbe dans les préjugés et devient rapidement inadéquate. De subtiles luttes de pouvoir se dévoilent dans les décisions les plus élémentaires et mettent en lumière le constat de George Orwell selon lequel « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ».
Portée par une distribution inclusive, dont un acteur vivant avec une déficience intellectuelle, Dis merci est une pièce créée collectivement dans le style performatif propre à la démarche de la metteuse en scène Catherine Bourgeois. Par des tableaux intercalant danse et théâtre, le spectacle aborde les questions complexes des attentes sociales en temps de crise migratoire et de la légitimité qu’on accorde à un humain qui sort le moindrement de la « norme ».
Depuis plusieurs années, on a répertorié des millions de migrants qui ont tenté de rejoindre les côtes européennes par voies maritime ou terrestre. Fuyant leur pays natal et la misère politique et sociale dans laquelle ils ont été plongés, plusieurs risquent leur vie au passage. C’est dans la foulée des échos de plus en plus fréquents de cette crise migratoire et des questionnements identitaires (parfois glissants) qu’ils font naître au sein de la population que Joe Jack et John a choisi de créer ce spectacle.
ENTRETIEN AVEC Catherine Bourgeois
L’écriture collaborative, qu’est-ce que ça mange en hiver? Comment avez-vous travaillé pour écrire la partition de Dis? merci
L’écriture collaborative c’est comme une partie de ping-pong. Je commence tout d’abord par trouver un sujet qui m’intrigue et sur lequel je fais de la recherche. Ensuite, je réunis des acteurs et des actrices qui pourraient avoir quelque chose à dire sur le sujet. Dans le cas de Dis merci, chaque membre de la distribution a une expérience de mouvance, de déplacement, de migration. Ensuite, je prépare une idée de scène avec des directions d’impro, un questionnaire ou une image, les interprètes y répondent, on filme, on en discute, puis l’autrice avec qui je travaille ajoute son grain de sel. Les concepteurs et les conceptrices se joignent à l’équipe et entrent en jeu. Le processus se poursuit jusqu’au contact avec le public à l’occasion d’un ou deux laboratoires, où on collige les commentaires des spectateurs afin de peaufiner l’œuvre. On poursuit le match écriture/salle de répétition, puis finalement, on a un texte, des chorégraphies et une structure… on est prêt pour la première!
Tu aimes travailler avec des acteurs de tous horizons, souvent avec des interprètes qui vivent avec un handicap. Qu’est-ce qui te motive dans cette démarche?
Je crois que les idées et paroles qui atteignent une certaine sphère publique sont souvent très uniformes parce qu’elles viennent de gens qui sont peu diversifiés. Ça manque donc de relief, d’opposition, de texture. Je crois que plusieurs artistes sont mis de côté parce qu’ils n’entrent pas dans un certain moule qu’on appelle la normalité (quécéça ?), alors que ces artistes sont hyper talentueux et ont beaucoup à dire et à offrir.
Dans Dis merci, il y a une recherche esthétique élaborée : le magnifique tableau « Se fondre dans le décor » ou le ballet pour fauteuil électrique. Quelles ont été tes sources d’inspiration pour le visuel du spectacle?
Je fréquente les galeries et les espaces d’art contemporain. Comme je viens de la scénographie, je crois que ma porte d’entrée au théâtre n’est ni le jeu, ni le texte, mais davantage les images et tableaux que je peux imaginer. Le ballet pour fauteuil est la première scène qui m’est venue, alors que je n’avais pas encore rassemblé l’équipe. Je vois le fauteuil électrique comme une métaphore de notre confort et de notre indifférence à la misère de l’autre. Même chose pour « Se fondre dans le décor ». Pendant des mois, j’essayais de transmettre ma vision de cette scène aux acteurs, mais sans la scénographie et les accessoires, c’était difficile pour eux d’y croire. On a voulu couper ce passage plusieurs fois. Pas moi ! Quel soulagement quand les éléments se sont mis en place et que les rires du public se sont fait entendre !
— Propos recueillis par Amélie Dumoulin
Dan : Moi, je m’étais toujours cru dans le bas de l’échelle, sur le dernier barreau : je suis un artiste, je gagne pas beaucoup, j’habite dans Centre-Sud… Le bas de l’échelle, c’était ma place dans la hiérarchie sociale. Pis là, tout d’un coup, je me rends compte qu’en fait, y a un trou dans le plancher, pis l’échelle continue en-dessous de mes pieds. Ça descend jusque dans la cave! Pis là, je regarde dans le fond de la cave, pis je m’aperçois que si j’avais une flashlight, probablement que je verrais que ça continue jusque dans la fosse sceptique! Pis que sur chaque fucking barreau, y a quelqu’un. Quelqu’un de pire que moi, quelqu’un avec moins d’argent, moins de pouvoir, moins d’éducation, moins de liberté, moins de droits…
Ça me fend le cœur pour tout le monde dans la cave, mais en même temps, moi, j’ai encore autant de misère qu’avant! C’est pas parce que je me suis rendu compte que j’avais comme une carte « passez go, réclamez 200$ » dans ma poche que tout d’un coup, tout est parfait!
Pis socialement, là, au lieu de faire monter tout le monde au rez-de-chaussée pis de leur donner des cartes passez go, à eux aussi, ben, c’est comme si on avait décidé que c’était à mon tour d’aller au fin fond de la fosse sceptique! Tout d’un coup, tout le monde a décidé en même temps que ça faisait trop longtemps que je profitais de mes « privilèges ». Mais mes « privilèges », y m’avait juste permis d’être pogné à terre, sur le plancher! Est-ce qu’il faudrait que je me roule dans marde, pour que le monde soit content?
Là, j’ai plus le droit de rien dire, j’ai plus le droit de rien penser, je serai plus jamais pertinent aux yeux de personne. Tout le monde me regarde en roulant des yeux pis en soupirant. Parce que si t’es un homme, si t’es Blanc, si t’es dans la trentaine, ben c’est fini, oublie ça, t’es de la marde.
Je suis vraiment stressé, ces temps-ci. Dès que je stresse, je fais de l’insomnie, pis quand je dors pas, je me mets à avoir des problèmes de digestion. Pis là, mon eczéma a recommencé. C’est pas comme si j’allais pouvoir leur dire : « Je souffre beaucoup. Je dors pas assez pis les mains me piquent. Vous, ça va? Dormez-vous bien, depuis que votre maison a été bombardée ? Avez-vous fait bon voyage ? »
Je sais pas pourquoi j’ai décidé de faire ça. De les accueillir. Ça aurait été mieux pour eux si y étaient morts au large comme le reste de leur famille, dans le fond. C’est gros, je le sais. Mais pour vrai, c’est rendu que j’ai de la misère à croire que moi, Dan, ce que je peux leur offrir, ça va être mieux. Mon petit barreau d’échelle bas de gamme qui est sur le bord de céder sous le poids de mes privilèges, ma carte passez go individuelle, où c’est que tu veux qu’ils aillent avec ça?
J’essaye de faire de la place à du nouveau monde. Dans ma vie. J’essaye vraiment fort, pour Fahdi, sa mère pis son oncle. Mais c’est pas ça. C’est pas suffisant.
Fondée en 2003, Joe Jack et John est une compagnie de théâtre performatif, collectif et inclusif empruntant aux vocabulaires des arts visuels et de la danse. Prônant un discours engagé, sa démarche artistique met de l’avant la figure de l’antihéros en intégrant des interprètes souvent perçus comme tels par la société, par exemple des acteurs professionnels ayant une déficience intellectuelle ou issus de l’immigration.
La compagnie privilégie l’écriture en collectif basée sur les principes d’autodétermination et de décolonisation, où des questions sociales sont au cœur des œuvres. La singularité de ses distributions concerne autant la recherche esthétique que la rencontre humaine et vise à faire entendre une parole peu écoutée, à faire réfléchir sur des enjeux contemporains, dont la diversité, et à faire avancer le dialogue de notre société à travers l’art.
Catherine Bourgeois is the artistic director of the theatre company Joe Jack and John, which she co-founded in 2003. After completing a BA in set design at the École supérieure de théâtre de l’UQAM (Montreal), she obtained a master’s degree in directing at the Central School of Speech and Drama (London). Over the course of the ten productions she has designed and directed with Joe Jack and John, she has won various awards (MEC-Cas, Cochons d’or, Prix artiste mi-carrière from the UQAM Arts Faculty Foundation, etc.) and has earned a reputation as a leader in the performing arts community for her unique aesthetic and inclusive casting. In addition to devoting herself to the recognition and perpetuation of the company’s mandate, which she has defended with passion for 17 years now, Catherine works and militates actively for greater recognition of the practice of women and artists with disabilities in the theatre community.
Playwright in resonance
Autrice (female playwright) is the title she claims as a feminist nod to the word insidiously eradicated by the Académie française. Pénélope Bourque’s dramaturgical practice is rooted in her encounters with various communities. For her company Ce n’était pas du vin, she wrote Iseult & Evaelle – un beau conte d’amour et de mort (2016) in collaboration with teenagers, and Jaune et rouge brillent les étoiles (2018), inspired by an immersion experience in a seniors’ centre. She is the dramaturgical coordinator for Joe Jack et John, where she also helps with administration. Pénélope Bourque studied playwriting at the National Theatre School of Canada.
International Alliance of Theatrical Stage Employees