Entretien avec Christine Carter sur les fonctions cognitives dans la pratique de la

En 1999, Pinchas Zukerman, directeur musical du Centre national des Arts, a créé le Programme des jeunes artistes qui accueillait alors un petit groupe de dix étudiants. Aujourd’hui, nous accueillons eviron 70 étudiants du Canada et de l'étranger. L’Institut estival de musique (IEM) est désormais reconnu dans le monde entier comme un pôle d’attraction pour les meilleurs jeunes artistes canadiens et étrangers qui se consacrent à la musique classique. Des anciens participants à l’IEM mènent de belles carrières internationales en interprétation, en enseignement et en recherche.

La clarinettiste Christine Carter (PJA 2006) est en demande, ces jours-ci, comme interprète et à titre de conseillère en psychologie de la performance. Nous sommes ravis qu’elle ait accepté, malgré son emploi du temps surchargé, de nous parler de la tournure fascinante qu’a pris sa carrière et nous faire part de ses pensées sur la pratique, l’interprétation et l’enseignement.

Allyson Rogers (administratrice, IEM) : Tu as beaucoup de succès comme interprète. Comment en es-tu venue à faire des recherches en cognition musicale et en psychologie? Peux-tu nous relater ton parcours?

CC : Mes intérêts pour la musique et pour la psychologie se sont développés en parallèle. Je savais que je voulais faire de la musique, mais j’étais aussi fascinée par le fonctionnement du cerveau. J’ai commencé à suivre différents cours de psychologie pendant mes études de premier cycle à Western, dont celui de la neuroscientifique Jody Culham. La matière qu’elle enseignant me passionnait, si bien que j’ai fini par travailler comme assistante à la recherche à son laboratoire de neuroimagerie de l’action et de la perception. Bien que ses recherches ne soient pas liées à la musique, elles m’ont ouvert un nouveau champ de connaissances qui, m’a-t-il semblé, avait beaucoup à offrir aux musiciens. Quand j’ai poursuivi mes études à l’Université McGill, j’ai enfin pu faire converger mes deux champs d’intérêt. Je me suis jointe au laboratoire de recherche sur la production de séquences auditives (Sequence Production Lab) de la Dre Caroline Palmer, et j’ai poursuivi mes recherches en psychologie musicale auprès de la Dre Jessica Grahn au Brain and Mind Institute de l’Université Western, tout en travaillant à mon doctorat en musique.

AR : Comme interprète de haut niveau, je suppose que tu apportes un point de vue et des habiletés uniques au milieu de la recherche universitaire dans lequel tu évolues. Dans quelle mesure ton bagage d’interprète influe-t-il sur tes recherches? Que peuvent apporter des interprètes de formation à ces travaux?

CC :Travailler avec des scientifiques m’a obligée à être plus objective, en tenant compte des variables possibles et en mettant mes hypothèse à l’épreuve de façon empirique. Comme musicienne, toutefois, mon intérêt pour les techniques de répétition aisément applicables oriente mes recherches dans une direction plus valide d’un point de vue écologique. Il est important de poser des questions dont les réponses peuvent être utiles aux musiciens. Pour cela, il faut que les tâches de recherche se rapprochent de ce que font les musiciens dans leur vie de tous les jours. J’ai eu la chance insigne de travailler avec des chercheurs qui apprécient mon point de vue de musicienne, et avec des musiciens qui comprennent l’importance de la recherche.

AR : Tes recherches t’ont amenée à privilégier les horaires de pratique aléatoires plutôt que fixes. Ces conclusions t’ont-elles étonnée ou ont-elles confirmé une intuition?

CC: J’ai eu une sorte d’illumination lorsque l’idée des horaires de pratique aléatoires s’est présentée à moi. Bien que le fait de changer sans cesse de matériau puisse sembler illogique, cette technique a répondu à de nombreuses questions que je me posais. Comme beaucoup de musiciens, il m’était arrivé de m’ennuyer à force de rejouer toujours les mêmes pièces sur une période prolongée, et cette nouvelle approche m’offrait une solution de rechange fort bienvenue. Au lieu de nous reprocher à nous-mêmes notre manque d’attention, nous pouvons organiser nos pratiques de manière à ce que nous n’ayons pas le choix d’être attentifs. Maintenant que je répète de cette façon depuis des années, cette approche me paraît encore plus tomber sous le sens. Cela ressemble davantage à la façon dont les enfants apprennent naturellement, passant fréquemment d’une tâche à l’autre au lieu de s’atteler à une seule tâche pendant une heure. Chose intéressante, cela m’a aussi amenée à regarder la construction musicale sous un angle nouveau. Il est courant, dans la plupart des formes de la musique classique, que le matériau musical soit d’abord exposé, puis laissé de côté et repris par la suite, comme dans la forme sonate ou le rondo. Peut-être les compositeurs avaient-ils l’intuition que c’était la meilleure façon de s’assurer que les auditoires allaient retenir leurs mélodies!  

AR : Tes recherches sur les techniques de répétition ont-elles modifié ton approche de l’enseignement?

CC : Certainement. Je considère mes activités de chercheuse, d’enseignante et d’interprète comme les trois côtés d’un même triangle. Si certaines techniques issues de la recherche sont efficaces, elles vont orienter à la fois ma façon de pratiquer, et ma façon d’apprendre à mes élèves à pratiquer. Mes élèves connaissent tous la routine; s’ils ont du mal à exécuter un passage en particulier, nous avons recours à quelques stratégies de pratique différentes pour contourner la difficulté et nous passons à la suite, avant de revenir à ce passage plus tard dans la leçon. Les exercices techniques, les notions théoriques et l’éducation de l’oreille sont aussi insérés dans la leçon, plutôt que cantonnés au début et à la fin. Plus j’arrive à varier l’enseignement, plus leurs facultés intellectuelles sont mobilisées et en fin de compte, c’est ce qui leur permet de retenir durablement la leçon.

AR : Qu’avez-vous retiré de votre participation à l’IEM?

Tous les jours, j’ai été inspirée par les qualités d’interprète de mes collègues, et j’ai eu un accès incomparable aux meilleurs formateurs qui soient. Les chefs de pupitre des vents à l’Orchestre du Centre national des Arts ont un sens aigu de la préparation et une compréhension musicale qui forcent l’admiration, et ils sont en même temps des modèles d’humilité et de gentillesse. Nous n’aurions pu trouver meilleurs mentors. En fait, ces musiciens m’ont tellement marquée que cette année, j’ai collaboré avec le département du téléapprentissage du MSM pour faire en sorte que chacun d’entre eux soit invité à donner des classes de maître. Je vais assister à l’instant à la prise de son pour la classe de Kimball Sykes. Tout au long de ce programme, nous avons pu véritablement sentir le soutien de la communauté d’Ottawa. C’est pour moi quelque chose de très précieux que d’avoir pu rencontrer les personnes formidables qui ont appuyé ce programme et interagir avec elles.

AR : Quels sont tes projets à venir?

CC : Je développe actuellement un programme de cours de psychologie de l’interprétation destiné aux musiciens, à partir des différents ateliers que j’ai animés. J’aurais aimé avoir accès plus tôt aux techniques que j’utilise à présent; je suis donc enthousiaste à la perspective d’en faire profiter un plus grand nombre d’élèves. Comme interprète, j’ai travaillé à un certain nombre de projets de musique de chambre avec la pianiste bulgare Anna Petrova, dont une série de collaborations en trio avec une autre ancienne du Programme des jeunes artistes de l’OCNA, l’altiste Molly Carr. Après avoir donné des concerts à New York, nous créerons toutes trois une nouvelle pièce pour cet ensemble d’instruments au festival Mozart de Würzburg, en Allemagne, en juin prochain. Juste avant de nous rendre à Würzburg, Anna et moi serons en résidence au festival de musique de chambre Málaga Clásica, en Espagne. Avec tous ces déplacements, je croise mes doigts pour qu’un autre projet me ramène à Ottawa dans un proche avenir!

 www.christine-carter.com


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