Mieux vous connaître : Entrevue avec Anna Pidgorna

Anna Pidgorna, 2012 IEM Compositeur Associe
Anna Pidgorna dans Central Park, à New York, en mars 2012.

Anna Pidgorna, l’un des cinq compositeurs associés de l’Institut estival de musique (IEM) en 2012, est née en Ukraine et a immigré au Canada avec ses parents à l’âge de 12 ans. Elle fait ses études à l’Université Simon Fraser (USF) à Vancouver (C. B.), l’Université Mount Allison au Nouveau Brunswick, et l’Université de Calgary (UdC) à Calgary (Alb.). Anna vit maintenant à Halifax (N. É.) où elle achève sa maîtrise, y compris son projet de mémoire portant sur On the Eve of Ivan Kupalo.
Elle a eu l’occasion d’être en résidence de création au Banff Centre, à Banff (Alb.), et en mars dernier, de participer à un atelier au Carnegie Hall avec Kaija Saariaho et Anssi Karttunen qui s’est soldé par la première de sa pièce pour violoncelle intitulée The child, bringer of light, au Carnegie Hall. Son œuvre pour accordéon solo Light play through curtain holes fait partie de la soumission officielle du Canada aux World New Music Days 2012, et paraîtra sur leur CD de promotion. Vous pouvez entendre des extraits de ses œuvres ici.

J’ai eu l’occasion d’en apprendre un peu plus sur Anna avant sa venue à Ottawa pour participer au Programme des compositeurs de l’IEM.


AW : Qu’est ce qui a éveillé votre intérêt pour la musique?

AP : À l’école, je jouais de la clarinette dans une harmonie et le saxophone baryton dans un orchestre jazz, et je prenais également des leçons de guitare. Ce qui a vraiment éveillé mon amour de la musique sérieuse, c’est un cours que j’ai pris dans le cadre du programme de diplôme du baccalauréat international. En plus d’apprendre l’histoire de la musique, je devais également composer plusieurs pièces. J’ai fini par prendre d’autres cours de composition au cours de ma première année universitaire à l’USF, puis j’ai fait la transition vers l’étude de la musique à temps plein. Je pense qu’en partie, ce qui a rendu la musique si attrayante pour moi est le fait qu’il s’agit d’une carrière dans laquelle je ne me serais pas vue si j’étais restée en Ukraine.


AW : Qu’est ce qui constitue pour vous une « inspiration » à créer une nouvelle œuvre?

AP :  J’ai tendance à être inspirée par des idées extramusicales, la plupart du temps. Il peut s’agir d’un phénomène visuel ou d’une idée plus théâtrale. J’essaie alors de traduire ma réaction, ou mes sentiments, en sons. Dernièrement, je prête de plus en plus attention au son de l’instrument lui même et à toutes les variations de couleurs qu’il peut produire. Pour les œuvres pour instrument solo surtout, c’est cela qui m’inspire le plus.


AW :  Vos œuvres sont en grande partie de nature multimédia. Pourquoi certains textes ou images trouvent ils une résonnance en vous, vous accrochent ils ou vous inspirent ils à créer une œuvre?

AP :  La musique ne me suffit pas vraiment pour exprimer toutes mes idées. J’ai beaucoup baigné dans l’art visuel bien avant de m’intéresser à la musique, et je suis en train de retourner à mes sources. Il y a aussi tout un côté théâtral à mes idées. Il m’arrive souvent de voir et de sentir un morceau avant de l’entendre. Alors, pour moi, il ne s’agit pas d’ajouter quelque chose de plus à la musique lorsque j’utilise d’autres médias. C’est plutôt de mettre plus d’outils à la disposition de ma créativité. Le son n’est qu’un aspect de mes œuvres, même si la pièce en question ne fait appel à aucun autre média.


AW :  Pour quel genre de public aimez vous composer?

AP :  J’aime imaginer un auditoire ouvert. Je ne m’attends pas à ce qu’il aime ce que je fais, mais j’aimerais qu’il soit curieux et qu’il accepte que je fais ce que je fais avec une finalité précise. Je n’écris pour aucun groupe spécifique.


AW :  Vous participez au Programme des compositeurs de l’Institut estival de musique du Centre national des arts cette année; qu’est ce qui vous emballe le plus, ou qu’est ce que vous espérez tirer de cette expérience?

AP :  Depuis quelques années, je compose beaucoup de musique vocale et pour instrument solo. Je serai heureuse de travailler avec un ensemble. Je trouve que travailler avec d’autres musiciens est extrêmement gratifiant et inspirant. J’ai surtout hâte à l’expérience collaborative qui consiste à transformer les petits points noirs de la partition en musique. J’ai passé le plus clair de mon temps dans des communautés musicales relativement réduites qui n’offrent pas toujours une grande variété. J’attends donc toujours avec impatience l’occasion de rencontrer de nouveaux musiciens.


AW :  Pouvez vous nous parler un peu de la tâche que vous a assignée le Programme des compositeurs de l’IEM et de comment vous allez l’aborder?

AP :  On nous a demandé de choisir un ensemble de n’importe quel nombre d’instrumentistes à partir d’une liste d’environ 12 instruments. J’ai choisi de composer pour un grand ensemble, je crois bien que j’ai utilisé chaque instrument de la liste, sauf le piano. J’ai beaucoup travaillé sur des œuvres pour instrument solo dernièrement, et je voulais travailler avec un grand ensemble.
Ce processus s’est, en fait, avéré être pas mal difficile pour moi. J’avais une idée qui me trottait dans la tête depuis un bon moment, mais je suis sortie de l’atelier avec Kaija Saariaho complètement inspirée à composer quelque chose d’entièrement différent. Cela voulait dire que je ne disposais pas de beaucoup de temps pour la composition, j’étais vraiment pressée par le temps. J’essayais de communiquer quelque chose de très abstrait, mais il était désormais trop tard pour revenir en arrière. Je devais absolument pondre cette pièce. Je suis vraiment curieuse d’entendre le résultat final.
* Vous pouvez en lire un peu plus sur le processus de création d’Anna pour le projet de l’IEM sur son blogue ici.


AW :  Quel est votre processus de composition? Et que faites vous pour surmonter un blocage?

AP :  Je n’ai pas vraiment de processus. C’est un peu un problème et quelque chose que j’essaie de comprendre à mon sujet depuis un bon moment, parce qu’il m’est vraiment difficile de surmonter mes blocages. Mes enseignants tentent depuis des années déjà de me faire expérimenter diverses techniques de composition qui se rapportent à l’organisation des tons, mais ça ne m’aide en rien. Je me rends de plus en plus compte que c’est le son même de l’instrument qui m’inspire vraiment. Ainsi, lorsque j’ai composé ma pièce pour violoncelle solo, j’ai loué un violoncelle et passé des heures à essayer de le comprendre. Voilà comment cette pièce est née. Je chante aussi beaucoup mes idées.
Lorsque je suis bloquée, je constate que je dois juste m’efforcer de persévérer. Je vais probablement réécrire tout ça plus tard de toute façon car cela me semblera non inspiré, mais de poursuivre le travail est le meilleur moyen de se débloquer.


AW :  Quel est votre principal objectif en ce moment?

AP :  Je voudrais pouvoir travailler et vivre en tant que compositeur indépendant, sans appartenir au milieu universitaire. Le monde est en bouleversement et d’aucuns perdent pied. Certaines options ne sont plus aussi facilement disponibles qu’elles l’étaient auparavant (les subventions gouvernementales, par exemple), mais la technologie et un changement de mentalité sont en train de créer une foule de nouvelles possibilités. Si vous êtes au courant de toutes les occasions que ce nouveau contexte peut offrir, vous pouvez créer quelque chose de novateur et de merveilleux. Je voudrais rendre la musique sérieuse contemporaine aussi désirable que l’est l’art moderne. Et ainsi, je pourrai gagner ma vie et financer mon art.


AW :  Si vous receviez une commande pour composer n’importe quoi, que choisiriez vous?

AP :  Mon objectif est de composer un important opéra à grand déploiement.


AW :  Si vous vous retrouviez sur une île déserte et ne pouviez avoir qu’un seul enregistrement, quel serait il?

AP :  Ce serait un choix difficile entre Le Sacre du printemps de Stravinski et Lonely Child de Claude Vivier.

 

AW :  Quelle musique écoutez vous ces temps ci?

AP :  J’écoute beaucoup de Kaija Saariaho pour la musique pour cordes et de Judith Weir pour l’opéra. Bien que je n’en aie pas beaucoup écouté ces deux derniers mois pendant que je composais cette pièce pour l’atelier du CNA.

 

AW :  Quelle est la leçon la plus difficile que vous ayez apprise jusqu’à présent?

AP :  La discipline et l’esprit d’entreprise. Vous devez être très disciplinée pour être une bonne musicienne. Vous devez penser comme une femme d’affaires pour être une musicienne à succès. Et par cela, je n’entends pas que vous deviez renier vos principes. Je veux dire que vous devez trouver un moyen de vendre ce que vous produisez aux bonnes personnes.


AW :  Qu’est ce que vous aimez faire lorsque vous ne composez pas?

AP : J’aime cuisiner et expérimenter avec des légumes saisonniers très courants, ce qui à Halifax se traduit par beaucoup de carottes, oignons, panais, choux, pommes de terre et rutabagas. Tout le reste semble coûter les yeux de la tête, là bas. J’aime aussi tricoter des motifs complexes. Cela m’aide souvent à concentrer mes pensées pas mal frénétiques sur une seule petite tâche.


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