2013-10-10 19:30 2013-10-10 21:30 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Mary Gauthier en performance intime solo

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Aux yeux de ses interlocuteurs et du public, Mary Gauthier peut paraître pragmatique, terre-à-terre, voire stoïque. Ce qui ne semblerait pas si inhabituel si ce n’était de ses chansons, dont la charge émotionnelle laisse parfois son public pantois. Sa musique perce les recoins les plus sombres de l’âme pour en extraire des vérités universelles, gages de la complicité humaine.
La vulnérabilité de son...

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Quatrième Salle ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
jeu 10 octobre 2013
19 h 30 HAE
Cet événement est passé
Musique
  • Anglais

Aux yeux de ses interlocuteurs et du public, Mary Gauthier peut paraître pragmatique, terre-à-terre, voire stoïque. Ce qui ne semblerait pas si inhabituel si ce n’était de ses chansons, dont la charge émotionnelle laisse parfois son public pantois. Sa musique perce les recoins les plus sombres de l’âme pour en extraire des vérités universelles, gages de la complicité humaine.


La vulnérabilité de son auditoire lui est familière : elle s’apparente à la sienne, aux incertitudes qu’elle a longuement auscultées au point d’en laisser derrière elle la peur et la solitude qui, jusqu’alors, la poussaient à fuir. À l’âge de 35 ans, Mary Gauthier découvre l’auteure-compositrice en elle grâce à la sobriété; elle suit dès lors une trajectoire mieux définie.

Nombreux ont fait l’éloge de ses six albums (l’Americana Music Association lui a décerné le titre de nouvel artiste/artiste émergent de l’année pour son album Mercy Now (2005), et The Foundling (2011) a remporté la troisième place dans la catégorie Album de l’année du LA Times), et ses chansons ont attiré les louanges de Bob Dylan et de Tom Waits, en plus d’être enregistrées par Jimmy Buffet, Blake Shelton et bien d’autres. Malgré le succès de son œuvre, l’auteure-compositrice a voulu peaufiner son art avant de franchir une autre étape importante de sa carrière – celle d’enregistrer un album live. Une fois sa technique au point, elle a capté la musique de Live at Blue Rock pendant un concert au Blue Rock Artist Ranch and Studio à Wimberley, en banlieue d’Austin, au Texas.

« On me demandait déjà depuis un certain temps d’enregistrer un CD live, mais je savais à l’époque que je n’étais pas prête, avoue l’artiste. Ces dix années dans les tranchées, je les ai passées sur le terrain, confrontée aux réalités des artistes – indifférence, maigres auditoires, sentiment d’impuissance. Chaque soir, un défi n’attendait pas l’autre. Mais les arts de la scène ne s’enseignent pas. On apprend sur le tas, sur la scène. C’est pourquoi ces dix années sur scène ont grandement profité à mon art. »

La résidante de Nashville, originaire de la Louisiane, est loin de se vanter – elle ne fait que rapporter les faits avec le pragmatisme qu’on lui connaît. C’est d’ailleurs avec cette même coloration qu’elle aborde les expériences ayant mené aux chansons extraordinaires que comporte son album, notamment les légendaires « I Drink », « Drag Queens in Limousines » et « Karla Faye ». Cette dernière pièce, qui raconte la condamnation célèbre de la meurtrière, s’ouvre sur des paroles qui font clairement allusion à la vie de son auteure : A little girl lost, her world full of pain. He said it feels good, she gave him her vein.

« Blood on Blood », qui paraît sur son dernier album, The Foundling (2010), sonde l’enfer que connaissent les enfants issus d’adoptions fermées. À travers la lentille d’une cinéaste et avec une économie lyrique remarquable pour une auteure-compositrice comptant seulement 15 années d’expérience, elle évoque le sentiment d’abandon omniprésent, le déracinement, les « pourquoi » et les « si » persistants, la quête perpétuelle de ressemblances sur les visages d’autrui. I don’t know who I am I don’t know who I’m not/I don’t know my name I can’t find my place, entonne-t-elle, sa voix s’élevant d’un murmure à une plainte – avec ses paroles, elle offre à nouveau une veine (she gave him her vein) et en taillade plusieurs autres. Tout comme le reste de ses chansons, « Blood on Blood » gagne en intensité lorsque interprétée en direct.

« À titre d’auteure-compositrice, j’essaie toujours de pénétrer dans mon for intérieur, au-delà du nombrilisme et de la gêne, pour atteindre le "nous" universel qui marque chacun d’entre nous, explique Mary Gauthier. Savoir se transcender, voilà le rôle de l’artiste… Je suis ici, au fond de moi-même, mais j’espère aussi découvrir quelque chose qui va bien, bien au-delà de ma personne, quelque chose de beaucoup plus significatif. C’est ce que je convoite lorsque je compose. »
Elle est fière d’avoir ouvert les vannes avec The Foundling pour des milliers de confrères orphelins qui n’avaient à ce jour jamais entendu leur peine articulée avec autant de perspicacité. Elle affirme qu’aujourd’hui des psychologues se réfèrent à son album pour mieux comprendre la réalité des personnes adoptées. Ses chansons ont par ailleurs entraîné plusieurs réunions entre des enfants et leurs parents biologiques – réunion à laquelle n’a pas consenti la mère de l’artiste lorsque cette dernière avait exprimé le désir de la rencontrer il y a de cela cinq ans. Mary Gauthier comprend cette décision, même si elle ne peut tourner la page comme elle l’aurait voulu.

La vie ne va pas toujours comme on veut – une réalité qui n’est pas étrangère aux mésadaptés auxquels l’artiste s’est toujours davantage identifiée et qui ont marqué Live at Blue Rock de la première à la dernière chanson. L’album comporte également trois reprises du poète, philosophe et, depuis peu, gestionnaire de tournée du groupe Tin Can Caravan Fred Eaglesmith, qui a le don de mettre en lumière le côté sympathique de ceux qui sont si souvent rejetés ou traités avec indifférence par la société.

« Je me suis rendu compte que les histoires qui sont pour moi d’un plus grand intérêt sont celles avec des protagonistes aux lendemains incertains », commente Mary Gauthier. Bien que cette réalité ne soit plus sienne, elle ajoute : « Je crois en la rédemption. J’ai fait appel à la rédemption par le passé et je la cherche encore aujourd’hui. »
Heureusement, elle la trouve parfois sur scène, devant un auditoire qui varie d’une soirée à l’autre, tout comme ses accompagnateurs.
Avec Live at Blue Rock, l’artiste munie de son violon et de ses instruments de percussion expérimente différentes configurations, produisant des chansons qui, chaque soir, revêtent une nouvelle dimension.

« Elles ont une vie bien à elles », affirme l’auteure en parlant de ses œuvres. « On les enregistre d’une certaine façon, mais ce n’est là qu’une interprétation. Certaines paroles sont différentes, les rythmes varient. La mélodie s’ajuste à l’ambiance de la salle, au déroulement de la soirée. »
De son passé d’adolescente fugueuse à ses études universitaires en Louisiane, en passant par la gestion d’un restaurant cajun à Boston, Mary Gauthier a appris depuis longtemps comment prendre la vie comme elle vient. Et comment faire preuve de patience, parce qu’on ne devient pas expert de son art du jour au lendemain.