Théâtre français du CNA

SAISON 2023-2024

© Olivier Jean

Mani Soleymanlou Directeur artistique

Rêver de l’intérieur

Une première saison derrière moi. 
Une saison sans confinement, sans convoi. 
Victoire! 

Et pourtant c’est maintenant que je sens, par secousse, que la vie m’échappe. 
Je vieillis. 
41 ans. C’est le début de la fin que je me dis. 
Je suis à mi-chemin…si j’ai la chance de vieillir longtemps. 


Mais à la vitesse à laquelle la vie défile, on peut tout de suite dire que c’est quasiment fini tout ça.  
Parfois, j’ai mal aux genoux, pour rien.  
Je me lève après être assis longtemps et j’ai mal. 
Partout. 
Franchement. 

Il m’arrive d’ouvrir mon journal du dimanche ou écouter la radio ou lire sur mon téléphone des nouvelles qui me découragent, pour ne pas dire m’effraient. 
Il m’arrive d’avoir le souffle court. 
Il m’arrive d’entendre battre mon cœur ailleurs qu’à son endroit habituel. 
Plus fort, plus vite. Irrégulier. 
Parfois même, je ressens un pincement au cœur.  Un mini poignard qui me poignarde. 
Je me dis que c’est mon cœur qui abandonne. Qui me lâche. 
Je m’étends, au cas où… finalement, ça finit par passer. 

Il m’arrive de regarder mon fils et me demander dans quel monde il grandira. 
Il m’arrive de me demander si mes parents se posaient la question quant à mon avenir. 
Sûrement pas. 
Gang d’égoïstes! 

Eux aussi vieillissent. Mes parents. 
Difficile de devenir les parents de nos parents, non?  
Terriblement difficile. 

Battement de cœur dans le ventre. 

Il m’arrive de plus en plus souvent d’avoir envie de silence, de solitude. 
Partir, m’éloigner. 
M’endormir vers 20 h 30. Le plus tôt possible, en fait. Dès que je peux. 
Pour fuir. 
M’évader. 
Permettre à tout ce bruit de cesser. 
Je glisse dans le silence du sommeil, je plonge avec plaisir dans les profondeurs de la nuit. Je m’abandonne aux rêves et je me régale. 

La réalité n’a pas encore pris en otage le rêve. 
Pas pour moi. 
Alors je m’y réfugie le plus souvent possible. 
Afin de me calmer. 
Plonger là où mon cœur bat toujours à la bonne place. 
Là où je suis en contrôle. 
Là où je m’abandonne et accepte de le perdre aussi, le contrôle. 
Fuir la réalité pour un instant, une nuit. 
Me raconter ce que je veux, comme je veux. 
Rêve ininterrompu.  
J’ai nagé avec des tortues dans le courant est-australien. 
J’ai joué à cache-cache dans les nuages. On ne m’a jamais trouvé.  
Minuscule, j’ai passé ma journée, perdu dans les herbes hautes d’un jardin, entouré de limaces que j’ai chevauchées comme un cheval. 
J’ai jonglé avec de la lave. Ça me chatouillait. Je n’arrêtais pas de l’échapper, la lave, et au contact du sol, c’est la terre qui partait à rire. 
J’ai vu la terre de haut à bord d’une étoile filante, les habitants de la terre pointaient en ma direction. Ils souriaient.  
J’ai fait un bonhomme de neige et ensuite, ensemble, le bonhomme de neige et moi, on a fait un bonhomme de sable! 

Bref. 

Je ne vous ai même pas parlé du plaisir que j’ai dans mes cauchemars : 
les loups, les dents qui tombent, les monstres et les chutes interminables… 
Les meilleurs films d’horreur que je n’ai jamais vus dans le confort de mon inconscient.  
Il m’arrive de me réveiller avec des restants de popcorn dans mon lit. 

Et tous les matins, dès mon réveil, les mêmes questions un peu naïves se pointent le nez : 
Et si tout était possible, finalement?  
Et si la suite des choses nous appartenait vraiment? 
Et si nous étions réellement les personnages principaux de cette histoire qui se dessine et se raconte malgré nous? 
Et si nous étions tous des personnages, des figurants, dans les rêves des autres? 

Je n’ai jamais su qui étaient tous ces gens qui se promenaient dans mes rêves.  
Je n’ai jamais su si j’étais moi aussi un inconnu dans le rêve d’un autre à 1000 milles de moi. 

Je n’ai jamais su si notre vie était parsemée de rêves ou si nos rêves étaient constamment interrompus par la vie.