≈ 7 heures 30 · Avec entracte
Dernière mise à jour: 25 avril 2023
« Le Politique disparaît de nos vies, de nos fictions et de notre art, il devient tabou, comme si, face au grand chambardement, nous avions peur qu’il nous donne des réponses dont nous ne voulons pas. Comme si réfléchir au Politique, en discuter, nous précipiterait dans l’effondrement. »
Brigitte Haentjens
ROME est une épopée chargée de réflexions sur le pouvoir, la démocratie et les paradoxes que ces questions soulèvent. Cette production colossale rassemble cinq textes de Shakespeare : Le viol de Lucrèce, Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre et Titus Andronicus. Plonger dans ces épiques tragédies romaines, c’est assister à l’ascension puis à la chute vertigineuse d’une civilisation où le chaos naît des luttes intestines entre différentes factions pour se saisir du pouvoir.
Sous la plume indomptable du dramaturge, auteur et comédien Jean Marc Dalpé, la langue est remaniée et façonnée pour le théâtre contemporain : poétique, rythmée, jazzée et bien d’ici. Il n’est pas question d’historicisation ni de transposition, mais d’une actualisation puissante des textes shakespeariens pour en souligner l’incontestable modernité.
ROME est un projet de création monumental, réunissant sur scène 29 interprètes aux multiples talents et de fidèles concepteurs·trice·s de Brigitte Haentjens depuis de longues années.
Le spectacle a été créé le 5 avril 2023 à l’Usine C, à Montréal.
Rassemblés dans un même ouvrage, les cinq textes ont récemment été publiés aux Éditions Prise de parole (Jean Marc Dalpé, Rome : une fresque historique d’après cinq œuvres de William Shakespeare, Sudbury, Prise de parole, 2023).
Cette saga shakespearienne en trois parties est d’une durée de 7 h 30, incluant deux entractes.
1ère partie ~ 1 h 45
Prologue
Lucrèce
Coriolan
Entracte ~ 30 min
2e partie ~ 2 h 40
Coriolan (suite)
Jules César
Antoine et Cléopâtre
Entracte ~ 20 min
3e partie ~ 2 h 10
Antoine et Cléopâtre (suite)
Titus Andronicus
« Mais qu’est-ce qui m’a pris? » me suis-je souvent demandé au cours des quatre ans de préparation qui ont précédé cette représentation. « Trop tard pour avoir peur », ripostais-je aussitôt.
Autrefois, bien avant la pandémie, quand j’évoquais ce désir de monter les cinq pièces de Shakespeare qui constituent ROME, plusieurs artisans de notre milieu m’ont fait observer que Ivo Van Hove avait réuni trois d’entre elles sous le titre : Les tragédies romaines. La mise en scène était remarquable, mais je me rappelle surtout du formidable dispositif scénique.
Ces remarques insinuaient peut-être que je n’avais pas le génie du célèbre metteur en scène belge et que les moyens financiers pour créer un tel spectacle, au Québec, nous faisaient largement défaut.
Et puis tant de matière, n’était-ce pas trop lourd, trop dense, pas assez spectaculaire? Ne serait-ce pas plus digeste en plusieurs soirs?
Face à l’affolant défi, j’ai plusieurs fois été tentée de renoncer, murée dans un sentiment d’illégitimité, et même d’imposture : qui étais-je au juste pour mener ce paquebot à bon port? Avais-je l’autorité, la force, le talent de conduire une troupe que je désirais nombreuse, éclatée, comprenant plusieurs générations d’interprètes dont plusieurs m’étaient inconnus?
Comment faire pour allumer le feu et souffler sur les braises pendant neuf mois de répétitions?
Comme toujours, le point de départ, l’impétueuse envie de monter une œuvre demeure longtemps obscure, souterraine. Bien sûr, il y a ce fil rouge qui relie bien des spectacles de Sibyllines, la présence du Politique dans les écritures qui m’attirent, de Koltès à Lars Norén, de Sarah Kane à Brecht en passant par Ingeborg Bachmann. Et le formidable Heiner Müller dont les décapantes réflexions sur l’état du monde et de l’art ne cessent de me hanter, telle celle-ci qui m’a habitée tout au long de la création : « Quand on traduit une idée en image, soit l’image devient bancale, soit l’idée explose. Moi je suis plutôt pour l’explosion. »
En tant que femme née en 1951, je suis confrontée depuis toujours au système d’hégémonie masculine, et le besoin irrépressible de réfléchir aux mécanismes du pouvoir va de pair avec celui, tout aussi impérieux, d’affranchissement et d’indépendance. De liberté.
À travers ce voyage tumultueux qui prend racine dans la tyrannie, bascule dans une république balbutiante, s’érige en empire, puis s’effondre dans le chaos sanguinolent, il n’est question justement que de domination : chacun s’attribue, avec violence, un corps, une couronne, un privilège, une légitimité, un territoire, une parole. Cette rudesse se manifeste dans tous les champs, du domestique au politique. Elle nous est familière, puisqu’elle traverse nos vies privées autant que la vie publique, l’histoire contemporaine aussi bien que celle de la Rome antique. Nous sommes toujours en guerre, pour paraphraser Müller, guerre des sexes et des générations, guerres de classes, luttes de pouvoir dans toutes les sphères de la société où le bannissement est aussi fréquent que l’ovation. Sarah Kane écrivait, en 1998 : « Je pense vraiment que les germes d’une guerre de grande ampleur se trouvent toujours dans la civilisation en temps de paix. »
Ce qui est formidable chez Shakespeare, c’est qu’il n’est ni curé ni poseur. Il donne simplement à voir les rouages du pouvoir et de la démocratie, dans toute leur complexité. Il expose les tentations de l’autocratie face à un peuple aussi vertueux que versatile. Il exprime, avec brillance, comment le désir de vengeance est le moteur de l’aveuglement et de la tyrannie. Il ausculte les liens entre l’intime et le Politique, le privé et le public, l’amitié et la haine, jusqu’à la mort. Surtout, en réinventant l’histoire, il met en marche le théâtre, et, par le théâtre, le Politique. Le théâtre est toujours politique quoi qu’on veuille, puisqu’il expose les mécanismes qui nous forgent, nous définissent et nous déforment.
C’est avant tout en poète que Shakespeare s’exprime, en visionnaire et donc en révolutionnaire. Il réinvente Rome à partir des récits de Plutarque, il se moque un peu de l’Histoire. Et nous aussi. Nous avons inventé une chronologie resserrée, comprimé les pièces, bousculé l’ordre dans lequel elles avaient été écrites, pour inventer une courbe dramaturgique satisfaisante. Jean Marc Dalpé, grâce à sa verve et sa plume si contemporaine, nous enlève à l’antique, aux toges et aux sandales, et nous renvoie sans cesse au présent.
Nous avons bâti, avec tous les artisans du spectacle, un nouveau récit dans lequel nous nous projetons, qui nous confronte et nous enflamme. Nous avons mis en commun nos expériences et nos connaissances, discuté de nos divergences et de nos disparités, pour façonner une scène, un plateau propice à l’art brûlant. L’élaboration de ce récit, collectif, qui va se reconfigurer bientôt avec le public, voilà ce qui m’a le plus animé durant toute la gestation.
La démesure du projet, son ambition, fait peut-être écho à l’empire lui-même et à sa folie. Cette expérience de théâtre est pour moi inédite et déstabilisante. J’ai toujours aimé le travail du chœur, un grand groupe d’interprètes sur scène, debout face au public. Mais, au cours des répétitions, le groupe se reconfigure à l’infini, comme les images d’un kaléidoscope, à deux, à cinq, à trente. À peine formé, le tableau se pulvérise sans que je puisse même le nommer, le retenir.
ROME, c’est un peu un territoire à conquérir, il faut avancer, coûte que coûte, refouler le doute et les états d’âme. Comme sur la tourelle d’un char d’assaut, impossible de se retourner, de faire volte-face, la manœuvre est trop lourde.
Face à l’ampleur de la tâche, la durée de l’œuvre et la rigueur des horaires, j’ai dû céder des pans de mes prérogatives, accepter de ne pas tout contrôler. Ce laisser-aller constitue une épreuve pour quelqu’un qui aime la précision! Mais j’y ai gagné quelque chose de très précieux, de merveilleux : une aventure artistique et humaine exceptionnelle.
Nous avons traversé une forme de guerre.
Pour le public, ce sera peut-être la même chose : la représentation demande forme physique, courage, ouverture et ténacité.
Merci de tenir le pari, d’être là pour nous assister, nous aider à mettre au monde cette épopée et élargir ainsi la discussion entreprise depuis longtemps.
Votre présence justifie à elle seule la folie de l’aventure.
« Ils nous aiment!? Ô, mais tellement!
Ils nous montrent don’ leur amour quand ils acceptent de nous voir crever de faim tandis que leurs greniers sont archi remplis de blé; ou quand ils légalisent les paradis fiscaux pour rassurer les banquiers; ou quand ils défont à tour de bras toutes les lois qui limitent le pouvoir des riches, tout en inventant de nouvelles pour miner les droits des pauvres.
Ô qu’ils nous aiment! Ils nous aiment tellement qu’ils s’arrangent pour qu’on finisse dévorés dans leurs guerres comme chair à canon s’ils ne nous bouffent pas eux-mêmes tout cru!!! Voilà tout l’amour qu’il nous montrent. »
— Coriolan dans ROME
Sibyllines réalise, pour chaque production, un cahier qui rend compte du processus de création. Pour rendre votre voyage romain plus grandiose, vous trouverez dans ce cahier un résumé des cinq pièces, ainsi qu’une série de textes et d’entrevues avec des spécialistes qui ont enrichi la réflexion pendant la création.
Julien Morissette s’est entretenu avec Brigitte Haentjens et Jean Marc Dalpé. Nous vous invitons à écouter ce balado qui retrace les différentes étapes de création nécessaire à la naissance de ROME.
Les choix dramaturgiques de Sibyllines voyagent librement sur deux continents, le premier est celui de l’intimité, de la corporalité et de la sexualité; le second continent est celui du « pouvoir ».
« Le théâtre qui m’intéresse est celui qui, par l’acuité et l’intelligence du regard porté sur le monde, déstabilise et provoque, j’aime les démarches arides, poétiques, abstraites ou sensorielles. Le texte n’existe pas dans l’absolu. Il prend vie sous le regard de celui qui le lit, le reçoit, s’y plonge et l’assimile avec sa sensibilité, son histoire, sa culture. Plus précisément, ma pratique théâtrale s’ancre dans un certain espace dramaturgique, celui d’auteur·e·s qu’on pourrait qualifier de poétiques et radicaux. »
Brigitte Haentjens
Consultez le site de Sibyllines pour en connaître davantage sur la compagnie et les créations de Brigitte Haentjens.
Auteur dramatique, romancier, poète, scénariste et comédien, Jean Marc Dalpé est trois fois lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général : pour sa pièce Le Chien en 1988, pour son recueil de pièces Il n’y a que l’amour en 1999 et pour son premier roman Un vent se lève qui éparpille, en 2000.
Au cours des années, il a traduit plusieurs auteurs contemporains ainsi que des œuvres de Shakespeare et de Bertolt Brecht. Il a également signé des adaptations d’œuvres comme le dernier chapitre du roman Ulysses de James Joyce (Molly Bloom) ou celle du journal de Marta Hillers Une Femme à Berlin.
Récemment, il a joué dans la production du Théâtre du Nouvel-Ontario de la pièce Deux de Mansel Robinson, la production de la compagnie Hôtel-Motel de la pièce Dehors de Gilles Poulin-Denis, et au cours de l’hiver, il a tourné dans l'ouest canadien avec Le Wild West Show de Gabriel Dumont qu’il a co-écrit avec neuf autres auteurs (francophones, anglophones, et autochtones) et dont il a assumé la codirection artistique.
Deux universités lui ont conféré des doctorats honoris causa pour l’ensemble de son œuvre, l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa.
Sa dernière pièce La Queens’' a été créée en janvier 2019 au Théâtre La Licorne à Montréal, dans une mise en scène de Fernand Rainville.
Lauréate du Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle en 2017, puis du Prix Siminovitch et du Prix Gascon-Thomas en 2007, Brigitte Haentjens est devenue la première femme à prendre la tête du Théâtre français du CNA en 2012. Pour cette artiste emblématique qui s’est d’abord démarquée comme une des chefs de file de la création franco-ontarienne, cette nomination en Ontario a sonné comme un retour aux sources. Elle a surtout permis de saluer la démarche d’une créatrice percutante. Femme de lettres passionnée, metteure en scène habitée par les questions de l’identité féminine, du pouvoir et de la sexualité, elle déploie de spectacle en spectacle une esthétique aussi novatrice que rigoureuse. Pensons à ces plus récentes créations : Une femme à Berlin et Molly Bloom. Elle assure également la direction artistique de Sibyllines, compagnie qu’elle a fondée en 1997.
Spectacles de Brigitte Haentjens au CNA
Dès les années 1980, le public du Théâtre français a pu assister à plusieurs lectures et spectacles mis en scène par Brigitte Haentjens, dont deux créations marquantes du Théâtre du Nouvel-Ontario coproduites par le Théâtre français : Nickel (coécrit avec Jean Marc Dalpé) en mars 1984 et Le chien de Jean Marc Dalpé en avril 1988. D’elle, deux mises en scène de pièces pour jeunes publics ont aussi été présentées : Des yeux au bout des doigts de Louise Painchaud en février 1987 et Hippopotamie de Louise Bombardier en novembre 1992. En 2002-2003, le Théâtre français, sous la direction artistique de Denis Marleau, lui offre une « carte blanche » en présentant trois de ses mises en scène : La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, avec James Hyndman, en octobre 2002, puis Farces conjugales, deux courtes comédies de Feydeau, et L’Éden Cinéma de Marguerite Duras en mai 2003.
Depuis, le Théâtre français a accueilli la majorité de ses créations : son adaptation et sa mise en scène de La cloche de verre de Sylvia Plath en décembre 2004 ; l’événement théâtral Tout comme elle, avec cinquante actrices, en octobre 2006 ; Vivre, d’après l’œuvre et la vie de Virginia Woolf, en avril 2007 ; Woyzeck de Georg Büchner en février 2010 ; L’opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et Kurt weill en février-mars 2012 ; Le 20 novembre de Lars Norén en mars 2013 ; La nuit juste avant les forêts avec Sébastien Ricard en mai 2013 ; Ta douleur, un spectacle chorégraphique conçu en collaboration avec Anne Le Beau et Francis Ducharme, en décembre 2013; Molly Bloom, d’après le roman de James Joyce en septembre 2014 et Richard III de Shakespeare en 2015. Brigitte Haentjens a aussi dirigé au printemps 2007 le sixième Laboratoire du Théâtre français auquel elle a donné comme titre L’acteur vertical.
Traduction et adaptation : Jean Marc Dalpé d’après William Shakespeare
Mise en scène : Brigitte Haentjens
Avec : Jean-Denis Beaudoin, Marc Béland, Alex Bergeron, Éliane Bergeron, Céline Bonnier, Vincent Carré, Samuël Côté, Guido Del Fabbro, Leïla Donabelle Kaze, Sylvie Drapeau, Irdens Exantus, Bernard Falaise, Reda Guerinik, Lauren Hartley, Bozidar Krčevinac, Frédéric Lavallée, Roméo Lucas, Jean-Moïse Martin, Iannicko N’Doua, Gaétan Nadeau, Leni Parker, Alice Pascual, Véronique Perron, Viktor Proulx, Sébastien Ricard, Joakim Robillard, Madeleine Sarr, Mattis Savard-Verhoeven et Valérie Tellos
Assistance à la mise en scène : Félix Dagenais
Dramaturgie : Mélanie Dumont
Scénographie : Anick La Bissonnière
Accessoires : Julie Measroch
Costumes : Julie Charland
Lumière : Julie Basse
Conception sonore et musicale : Bernard Falaise
Coiffure : Stéphane Scotto Di Cesare
Assistant costumes : Yso
Assistante lumière : Natasha Descôteaux
Collaboration au mouvement : Harold Rhéaume
Mise en espace sonore : Frédéric Auger
Effets spéciaux : Olivier Proulx
Maître d’armes : Alexander Peganov
Conseillère en voix et diction : Marie-Claude Lefebvre
Conseiller au maquillage : Angelo Barsetti
Adjoint de production, deuxième assistant à la mise en scène et régie générale : Félix-Antoine Gauthier
Habilleuse/accessoiriste : Floriane Vachon
Régie de plateau : Isabelle Paquette
Habilleuse : Léonie Blanchet
Direction technique : Jérémi Guilbault-Asselin
Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin
Codirection générale et direction administrative : Émilie Martel
Production : Sibyllines
Coproduction : Théâtre français du CNA
Développé avec le soutien du Fonds national de création du CNA
ROME a bénéficié d’une résidence à la Compagnie Marie Chouinard
Sibyllines tient à remercier chaleureusement le Théâtre du Nouveau Monde, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Nicolas Belle-Isle, Gabriel Plante et Studio Kampus
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre