Contes et légendes

2022-06-01 19:30 2022-06-04 21:30 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Contes et légendes

https://nac-cna.ca/fr/event/25541

Événement en personne

Avec sa nouvelle création, Joël Pommerat signe une fiction documentaire d’anticipation sur la construction de soi à l’adolescence et le mythe de la créature artificielle.    Alors que son précédent spectacle, Ça ira (1) Fin de Louis, puisait aux origines de l’organisation politique française à partir de la révolution de 1789, Joël Pommerat poursuit son observation...

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Théâtre Babs Asper ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
1 - 4 jun 2022
1 - 4 jun 2022

≈ 1 heure et 50 minutes · Sans entracte

Dernière mise à jour: 27 mai 2022

Le futur selon Joël Pommerat

Avec Contes et légendes, Joël Pommerat poursuit son observation des valeurs et des identités contemporaines en se tournant vers le futur et ce moment particulier qu’est l’adolescence. Le point de départ du spectacle est l’enfance et la manière dont un jeune se construit, en réaction à son environnement et à certaines règles ou représentations collectives. Joël Pommerat associe ce moment de construction de soi au mythe de la créature artificielle en mettant en scène un monde légèrement futuriste dans lequel les humains cohabiteraient avec des robots sociaux.

Alors que son précédent spectacle, Ça ira (1) Fin de Louis (2015), réactivait le passé révolutionnaire à travers une épopée immergeant le public dans des débats politiques, Contes et légendes revient à une forme de théâtre intime pour explorer une série d’interactions sociales, familiales ou affectives entre des adolescents, des adultes et des robots androïdes intégrés à leur quotidien.

Comme on fait des expériences en laboratoire, avec le plus de concret et de précision possible, Joël Pommerat questionne nos représentations de nous-mêmes et observe ce que ces êtres artificiels pourraient révéler ou modifier dans nos relations et constructions humaines. Déjà présente dans sa réécriture de Pinocchio (2008), pantin adolescent rebelle lancé sur le chemin de l’humanité, lointain cousin de Galatée animée par l’amour de son créateur dans les Métamorphoses d’Ovide, cette question de l’identité prend dans Contes et légendes une couleur plus troublante encore, qui n’est pas sans rappeler également certaines scènes de Cet enfant (2006) ou de La réunification des deux Corées (2012). Différents régimes de présence et de vérité se mêlent sur scène pour confronter le spectateur à la complexité de nos émotions, à l’ambiguïté de notions telles l’authenticité ou le mensonge et à la violence persistante de certaines normes sociales.

Sans tenir de discours sur les progrès ou les dangers de l’intelligence artificielle ni céder au sensationnalisme de la science-fiction, Contes et légendes donne à éprouver ces nouveaux troubles dans le genre à travers une mosaïque d’instants sensibles et drôles. Dans l’enchantement du théâtre, adolescents en crise et androïdes invitent à toutes les simulations et reconfigurations possibles. Traitant la fiction d’anticipation comme un fait réel et documentaire, Joël Pommerat renouvelle une fois encore cette inquiétante étrangeté teintée de philosophie qui fait la singularité de son théâtre depuis plus de vingt-cinq ans.

- Marion Boudier

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Ce texte de présentation ainsi que la majorité des textes qui suivent sont tirés du dossier pédagogique réalisé en novembre 2019 par Marion Boudier et la Compagnie Louis Brouillard.

Marion Boudier accompagne Joël Pommerat et la compagnie Louis Brouillard comme dramaturge depuis 2013 pour des projets au théâtre et à l’opéra. Elle est l’auteure de Avec Joël Pommerat (tome 1) : un monde complexe (2015) et Avec Joël Pommerat (tome II) : l’écriture de Ça ira (1) Fin de Louis (2019) – deux ouvrages publiés dans la collection “Apprendre” chez Actes Sud-Papiers –, ainsi que des postfaces de Cendrillon, Le petit chaperon rouge et Pinocchio, chez Babel.

Le théâtre de Joël Pommerat

Joël Pommerat a fondé la Compagnie Louis Brouillard en 1990. Il est auteur-metteur en scène : il met en scène ses propres textes et écrit ceux-ci en lien étroit avec la scène pendant le travail de répétitions. C’est pour cela qu’il se qualifie d’« écrivain de spectacles ». Il a créé à ce jour une trentaine de spectacles, dont quatre opéras et deux spectacles en prison.

Le théâtre de Joël Pommerat est à la fois ancré dans le monde contemporain et ouvert à l’imaginaire. Entre fascination et perplexité, ses spectacles invitent à une réflexion vivante sur nous-mêmes et sur le monde. Joël Pommerat s’empare de mythes, de grands récits et de valeurs dominantes de notre société pour les observer et les mettre en scène. Il a ainsi réécrit des contes populaires [Le petit chaperon rouge, Pinocchio et Cendrillon], interrogé la place de certaines valeurs dans nos vies, comme le travail [Les marchands, Ma chambre froide], ou encore les fondements mêmes de notre démocratie [Ça ira (1) Fin de Louis].

Joël Pommerat cherche à créer un théâtre visuel, à la fois intime et spectaculaire. Il travaille sur une grande présence des comédiens et le trouble des spectateurs. Il est revenu sur sa démarche artistique dans deux ouvrages : Théâtres en présence (2007) et, avec Joëlle Gayot, Joël Pommerat, troubles (2009).

Pour Joël Pommerat, la scène est un « lieu possible d’interrogation et d’expérience de l’humain », comme il l’a écrit dans Théâtres en présence : il cherche à représenter le réel, c’est-à-dire tout ce qui nous constitue, aussi bien des situations concrètes, sociales, que nos représentations mentales – idéaux, rêves ou croyances.

« Les choses sont composées de ce qu’elles sont et de l’imaginaire qui les accompagne. Qu’est-ce qu’un être humain ? C’est du biologique et de la légende. C’est de la chair et de l’imaginaire. Il y a des choses plus vraies que d’autres, certes, mais la réalité est une chose qui se situe aussi dans la tête. C’est cela que j’essaie de rendre dans mon théâtre. »

Joêl Pommerat, Troubles

Tous ses textes sont publiés aux éditions Actes Sud.

Les créations théâtrales de Joël Pommerat présentées au CNA

La réunification des deux Corées
Production : Odéon-Théâtre de l’Europe et Compagnie Louis Brouillard
Coproduction : le Théâtre français du CNA (entre autres)
10 au 13 avril 2013

Cendrillon
Production : Théâtre National de la Communauté française de Belgique
6 au 9 novembre 2013

Ça ira (1) Fin de Louis
Production : Compagnie Louis Brouillard
Coproduction : Théâtre français du CNA (entre autres)
16 au 19 mars 2016

Pinocchio
Production : Compagnie Louis Brouillard
29 mai au 1er juin 2019

Contes et légendes
Production : Compagnie Louis Brouillard
Coproduction : Théâtre français du CNA (entre autres)
1er au 4 juin 2022

Microfictions et réalisme

Contes et légendes occupe une place singulière dans l’œuvre de Joël Pommerat, à la croisée du conte, de l’anticipation et d’une forme d’anthropologie ou de philosophie concrète…

Le spectacle est composé de onze scènes ou séquences, qui ne sont pas reliées entre elles par une narration mais regroupés autour d’une thématique et de ses déclinaisons possibles. Cette forme fragmentée fait penser à d’autres spectacles de Joël Pommerat comme Cet enfant (2006) et La réunification des deux Corées (2012) : un kaléidoscope de scènes, plutôt qu’un récit linéaire, qui permet d’explorer des situations, de créer des échos et des contrepoints, d’observer un ensemble de positionnements et de relations humaines et sociales.

Chaque scène est signifiante en elle-même, dans sa clôture, et elle produit aussi des effets de sens à l’échelle du spectacle à travers un jeu de variations de motifs et de personnages. D’une scène à l’autre, on retrouve les mêmes modèles de robots mais dans des familles et des contextes différents, avec des identités et des utilisations en conséquence différentes : de cette manière, le spectacle explore des possibles, les multiples facettes d’une réalité, une multiplicité d’états et d’usages. Certaines figures d’adolescent·e·s ressurgissent aussi, comme le « jeune énervé » ou Camille, mais sans que l’on sache tout à fait s’ils sont les mêmes ou des archétypes.

Liste des scènes du spectacle

  1. Deux adolescents abordent une fille qu’ils prennent pour un robot.
  2. Une conférencière présente les progrès de la robotique éducative.
  3. Entretien avec une adolescente, son robot, son petit ami et sa sœur.
  4. Des adolescents participent à un camp de formation à la masculinité.
  5. Un adolescent dans un magasin de robots.
  6. Un homme d’entretien voudrait comprendre pourquoi il doit rendre les clés.
  7. Séduction et transformation d’un adolescent avec une fille dont le frère est fasciné par les robots.
  8. Un adolescent porte la robe de sa mère pour se faire obéir de ses frères et sœurs.
  9. Achat d’un robot de particulier à particulier par une famille dont la mère est malade.
  10. « Euthanasie » d’un robot.
  11. Rencontre avec un robot star lors d’une fête d’anniversaire.

« Au présent du futur »

La fiction politique contemporaine Ça ira (1) Fin de Louis plongeait le spectateur « au présent du passé », en modernisant les débats de 1789 pour en révéler les filiations et l’actualité. Contes et légendes, à l’inverse, nous met « au présent du futur ». Bien que Joël Pommerat ne l’ait pas construit ainsi, on pourrait analyser ces deux spectacles comme un diptyque autours des représentations de l’Homme, entre passé et futur. D’un côté, Joël Pommerat voulait « rendre le passé présent », de l’autre, il traite la fiction d’anticipation de manière quasi documentaire, avec une recherche de réalisme et de crédibilité.

La société représentée est en tout point semblable à la nôtre, à l’exception de la présence de robots androïdes compagnons, technologiquement très avancés, et qui sont des répliques quasi parfaites de l’humain. Joël Pommerat adopte un positionnement anthropologique pour s’extraire de la fascination et de la peur que produisent les robots dans la plupart des fictions qui leur sont consacrées. Son parti-pris dramaturgique est de décrire des faits fictionnels comme s’ils étaient réels avec le plus de concret et de simplicité possible : le spectacle représente ce que serait une certaine banalité de la vie avec des robots. Les situations sont en majorité quotidiennes : rencontres entre adolescents, disputes avec les parents, achat entre particuliers, anniversaire… La présence du robot n’y est pas représentée comme étant exceptionnelle, mais cette « naturalité » ouvre à de petites bifurcations perturbantes et à de grands questionnements humains.

Sur scène, la tranquillité des robots contraste avec l’ébullition et la violence des adolescents qui sont saisis dans toute leur crudité. Le langage est particulièrement familier, truffé d’insultes, bancal parfois, comme pour rendre ce frottement permanent entre le bouillonnement émotionnel des adolescent·e·s et leurs (in)capacités à l’exprimer. Ces jeunes ne sont en rien édulcorés mais inspirés du réel ; comme souvent pour les spectacles de Joël Pommerat, l’écriture des personnages a été nourrie d’observations et d’une importante recherche documentaire (robotique, sociologie, films, forums Internet, vidéos YouTube...).

Robot-likeness

Extrait d’un entretien avec trois interprètes : Lucie Guien, Angélique Flaugère et Marion Levesque

Lucie Guien joue le rôle de Steven, Angélique Flaugère celui du robot star et Marion Levesque est Robbie. Cet entretien a eu lieu dans le cadre du webinaire international « Scène et robotique : interactions et interrelations » réunissant les chercheur·euses en Arts du spectacle et en Robotique*.

Salvatore Anzalone : Les chercheurs en robotique cherchent la human-likeness, vous avez cherché l’inverse, la robot-likeness : quelles sources avez-vous mobilisées pour votre imaginaire ?

Marion Levesque : Nous avons notamment regardé la série suédoise Real Humans [100 % humain] où des acteurs jouent des robots tels que nous les imaginions nous aussi. Mais les robots ont commencé à être crédibles à partir du moment où nous y avons cru de l’intérieur. Une étape importante a été que les gens qui nous regardaient pendant les répétitions nous disaient « robots » quand ils voyaient le robot exister : à ce moment-là, on pouvait prendre note de ce qu’on avait ressenti intérieurement et travailler à partir de ça. On a aussi passé beaucoup de temps à les jouer dans d’autres scènes où les robots ne disaient rien, mais on était là, on agissait, on faisait des petites choses. Ce sont des heures de travail qui ont permis peu à peu de sculpter le robot.

Lucie Guien : Il y a eu aussi beaucoup de sources d’inspirations sur des robots actuels. Nous avons aussi regardé des stars de la K-Pop, ou Justin Bieber, des présences ados un peu plastiques qui ont une portée commerciale.

Angélique Flaugère : Il y a l’aspect physique qui fonctionne et qui fait la moitié du travail, grossièrement, et il y a quelque chose de l’intérieur. Pour moi, le robot apparaissait quand j’étais dans un inconfort, quand je me sentais tout le temps en recherche à l’intérieur et non dans quelque chose d’installé. Dès qu’il y avait une présence un peu à l’aise et installée, l’humain revenait et le robot disparaissait. Mon chemin était de chercher à rester dans une immobilité du corps mais avec une grande activité intérieure, quelque chose qui ne doit pas s’éteindre à l’intérieur parce que sinon il y a une détente qui apparaît et cette détente fait disparaître la présence du robot.

Lucie Guien : Il y avait aussi quelque chose qui ressemblait à une forme de méditation ou de yoga, parce qu’on devait être dans un corps extrêmement dessiné et en même dans un relâché, une connexion avec ce qui se passait autour pour recevoir les informations. Quand on joue un robot, on a l’impression que les informations arrivent une à une, on a l’impression d’être bête, que l’intelligence met du temps. On entrait dans un système de décomposition de tout. On a parlé de cela aussi, tout déconstruire pour reconstruire, réapprendre à lever le bras, comment on sert un verre d’eau, comment on ouvre une bouteille, nous n’avons jamais réussi !

Salvatore Anzalone : En effet, c’est une des tâches les plus difficiles pour un robot. C’est intéressant de remarquer qu’on arrive aux mêmes conclusions en partant de deux points de vue différents, celui des roboticiens et celui des actrices !

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*Webinaire international du projet EUR ArTeC Scène et robotique : interactions et interrelations, séance du 30/04/2021, « Quand l’humain se fait robot : Contes et légendes de Joël Pommerat », avec Marion Boudier, Lucie Guien, Angélique Flaugère et Marion Levesque, animée par Erica Magris, Giulia Filacanapa et Salvatore Anzalone. À visionner ici sur YouTube.

Artistes

  • Une création théâtrale de Joël Pommerat

Alliance internationale des employés de scène et de théâtre