Réflexions sur la vie à Göteborg

2019-05-26 18:00 2019-05-26 20:00 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Réflexions sur la vie à Göteborg

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L’Orchestre du Centre national des Arts, sous la direction d’Alexander Shelley, conclut la tournée européenne célébrant son 50e anniversaire à Göteborg, en Suède. -- Spectacle original saisissant, Réflexions sur la vie est un hymne à la jeunesse, à l’espoir et au courage qui brosse le portrait varié et captivant de quatre femmes : Alice Munro, Amanda Todd, Roberta Bondar et Rita Joe. Dans le...

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Göteborgs Konserthus ,Gothenburg,Sweden
dim 26 mai 2019

≈ Durée approximative de 80 minutes sans entracte. · Sans entracte

Répertoire

Zosha Di Castri

Dear Life, mots et paroles adaptés du récit d’Alice Munro (adaptation par Merilyn Simonds)

J’ai été invitée à composer Dear Life quelques jours à peine avant la naissance de mon premier enfant. Au mépris du bon sens qui clamait qu’entreprendre la composition d’une œuvre orchestrale d’une telle envergure pendant mes premiers mois de maternité relevait de la folie, j’ai été subjuguée par ce projet. Était‑ce le récit? Les mots de Munro ont résonné en moi : le portrait d’une relation mère‑fille tout au long d’une vie, une artiste trouvant sa voix, prenant conscience de son « altérité », mais également de l’universalité de l’expérience vécue. J’admirais la fluidité du texte de Munro, ses souvenirs à moitié vagues – fictifs? autobiographiques? – tantôt ambigus, tantôt saisissants de transparence.

Aussi ai‑je tenté de raconter l’histoire à ma façon, par la musique, le son et l’expérimentation. La voix de Martha Henry nous accompagne dans la narration du texte adapté. La soprano, quant à elle, manie des fragments de texte et des sons inventés, réaction viscérale comblant l’écart entre la dimension abstraite de la musique et la dimension concrète de la parole. Sa présence, musicale et dramaturgique, se précise, puis s’évapore. Au départ, sa voix fusionne avec l’orchestre, mais peu à peu, elle émerge en tant qu’entité distincte à part entière.

L’orchestre oscille entre musique absolue (textures résolument abstraites, tantôt statiques, tantôt spasmodiques), et ce que j’appelle musique archétypique, celle qui provient de l’inconscient collectif : des mémoires musicales, des hymnes déformés par le temps, le son de volées d’oiseaux migrateurs, une mélodie fredonnée, le grésillement réorchestré de la friture des phonographes, symbole même de la nostalgie. Voilà d’où je tire mon inspiration pour créer divers espaces musicaux, allant du récit dans le récit (la fable de Netterfield) au poème de mirliton chanté vers la fin de l’œuvre. Derrière la beauté bucolique de ces réminiscences se cache le frisson du danger, de la violence, du malheur, et pourtant, au bout du compte, ce que nous en retirons est le pardon et l’acceptation. Il y a quelque chose de profondément humain dans cette histoire.

Alice Munro a écrit : « Un récit n’est pas comme une route à suivre… c’est plutôt comme une maison. Vous y entrez et y passez quelque temps, errant d’une pièce à l’autre […]. Et vous, le visiteur, êtes aussi transformé par le fait d’être dans cet espace clos, qu’il soit spacieux et accommodant ou rempli de racoins biscornus, qu’il soit meublé avec parcimonie ou opulence. Vous pouvez y revenir encore et encore, et chaque fois la maison, le récit, contient plus que vous n’y avez vu la dernière fois. » 1

J’ai l’espoir que c’est dans cet esprit que les auditeurs feront l’expérience de ma maison sonore.

— Zosha Di Castri
 

1 Traduction libre de l’introduction de l’édition Vintage de Selected Stories, 1968–1994 (New York: Vintage Books, 1996).

Jocelyn Morlock

My Name is Amanda Todd

La regrettée Jocelyn Morlock (1969-2023) était l’une des compositrices les plus en vue du Canada. On lui doit une œuvre fascinante qui a fait l’objet d’un grand nombre d’enregistrements et a été jouée et diffusée à de nombreuses reprises en Amérique du Nord et en Europe. Née à Winnipeg, elle a étudié le piano à l’Université de Brandon, avant d’obtenir une maîtrise et un doctorat en musique de l’Université de la Colombie-Britannique, où elle a récemment œuvré comme chargée de cours et enseigné la composition. Première compositrice en résidence de la Music on Main Society de Vancouver (2012-2014), elle a assumé le même rôle auprès de l’Orchestre symphonique de Vancouver de 2014 à 2019.

Jocelyn entretenait des liens étroits avec l’Orchestre du Centre national des Arts qui, en 2015, lui avait commandé My Name is Amanda Todd, une œuvre puissante sur l’adolescente de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, qui s’est enlevé la vie après avoir subi de la cyberintimidation. L’œuvre a ensuite remporté le prix JUNO 2018 à titre de composition classique de l’année.

Voici en quels termes elle évoquait elle-même cette œuvre : 

Lorsque j’ai commencé à écrire cette composition, mon esprit était animé par ce qu’avait vécu Amanda, et je pouvais m’imaginer à quel point il doit être destructeur de voir sans cesse des messages et des commentaires malveillants dirigés contre soi, surtout quand on est jeune. Toute cette atmosphère négative me semblait étouffante. En parlant avec sa mère, Carol Todd, et avec Christopher Deacon, de l’Orchestre du CNA, j’ai réalisé le pouvoir de transformation qui aurait opéré sur la jeune fille si elle avait pu prendre le contrôle de la situation et raconter son histoire en utilisant la même plateforme que ceux qui s’employaient à la dénigrer.

Carol m’a parlé de tous les endroits où elle porte son message, parce que les gens finissent par reconnaître la nécessité d’agir pour mettre fin à la cyberintimidation. Elle m’a parlé des enfants qui cherchent auprès d’elle de l’aide, ou qui lui disent que les vidéos et l’histoire d’Amanda les ont aidés; des jeunes qui affirment avoir trouvé de l’espoir à travers Amanda et Carol. J’éprouve un profond sentiment de joie devant le courage d’Amanda et le message de Carol.

My Name is Amanda Todd s’ouvre sur un chagrin immense qui se transforme en une énergie négative sournoise et plutôt désespérée où l’on voit, impuissant, se multiplier les remarques et images corrosives. Je reprends ensuite pratiquement les mêmes matériaux musicaux (petits gestes, timbres et rythmes très semblables) que je modifie graduellement pour créer une musique de plus en plus puissante et positive.

Nicole Lizée

Bondarsphere

Pour réaliser cette œuvre, j’ai passé des heures à éplucher des enregistrements provenant de la collection de Roberta Bondar, tour à tour charmée, envoûtée et profondément émue par ce que je découvrais. J’ai tiré de tout cela un environnement sonore formé d’éléments hétéroclites : inflexions de la voix de l’astronaute décrivant la vue qu’elle a du Canada depuis l’espace (une voix filtrée – une voix « venue de l’au-delà »; cachet poétique du message qu’elle a livré lors de son intronisation à l’Allée des célébrités canadiennes; souvenir nostalgique de la prestance de célèbres chefs d’antenne dont on reconnaît la voix; et explosion de joie d’enfants réunis à Sault Ste. Marie pour saluer le retour de l’espace de leur héroïne. Toutes ces bribes composent les pierres d’assise musicales de l’œuvre. Elles sont étirées, contorsionnées, collées et tissées ensemble pour créer des thèmes, lignes de basse continue, chants, canons et chœurs, avec le concours de l’orchestre, dans un foisonnement de couleurs et d’harmonies.

Ce que j’ai cherché à faire dans chacun des huit mouvements évoquant les huit jours que la Dre Bondar a passés dans l’espace, c’est harnacher les fils sonores et visuels de son aventure – suspendre le temps, plonger dans chaque scène et créer une expérience en soi. Exprimer, à travers la voix et l’esthétique qui sont les miennes, l’émotion que suscitent les réalisations inouïes de l’astronaute, pour que leur rejaillissement à l’échelle planétaire trouve un écho sonore et visuel.

— Nicole Lizée

John Estacio

I Lost My Talk, d’après le poème de Rita Joe

Dans I Lost My Talk, poème de quinze vers, Rita Joe décrit la crainte bouleversante d’être dépouillée de sa culture. À l’image de ce poème de quatre strophes, la composition musicale est divisée en quatre mouvements sans pause. Un solo de flûte bucolique évoque la vie que menait l’énonciatrice avant d’être envoyée au pensionnat de Shubenacadie. Les cordes jouent un hymne qui prend soudain l’allure d’un environnement musical hostile; la mélodie jouée par la flûte est maintenant brisée et perdue dans un paysage sonore d’une tonalité étrangère. Pendant tout le deuxième mouvement, tandis que les thèmes musicaux se reforment, la percussion et les cuivres dans leur registre grave interrompent fréquemment la mélodie, la forçant à se reconstituer et à continuer dans une atmosphère de plus en plus oppressante. C’est avec les mots « Vous me l’avez arrachée » que débute un troisième mouvement agressif; la flûte solo est de retour, emportée dans un élan frénétique. Un solo de percussion accueille le retour de l’hymne, qui revêt cette fois un caractère tendu et inquiétant. Pour accompagner le vers « Je parle de deux manières », l’hymne est joué simultanément dans deux tonalités différentes. Le quatrième mouvement, une musique au ton noble, s'ouvre sur les mots « Alors, je tends la main »; ici, un hymne de réconciliation s’élève, tandis que la narratrice trouve le courage de se faire la messagère de la paix et de la compréhension entre deux cultures différentes, apportant du même coup l’apaisement dans sa propre vie.

— John Estacio