Répertoire

Nicole Lizée

Zeiss After Dark

La Canadienne Nicole Lizée (née en 1973) est une compositrice et vidéaste primée qui crée de la musique nouvelle à partir d’un mélange éclectique d’influences, dont les premières vidéos MTV, le platinisme, la culture rave, Hitchcock, Kubrick, Alexander McQueen, le thrash metal, les débuts de la culture des jeux vidéo, et le psychédélisme et le modernisme des années 1960. Saluée par la CBC comme une « brillante scientifique musicale », elle est fascinée par les dysfonctionnements de la technologie défraîchie et surannée, qu’elle capte, note et intègre à ses prestations en direct. Ses compositions vont des œuvres pour orchestre et platiniste combinées à des techniques de mixage entièrement transcrites et intégrées à un concert de musique, à des combinaisons d’instruments assez inusités comme la console de jeu Atari 2600, l’omnichord, le stylophone, le Simon™, des jeux de société vintage et des bandes de karaoké. Dans le large éventail de son œuvre en constante évolution, elle explore des thèmes comme le dysfonctionnement, l’idée de donner une nouvelle vie à ce qui est obsolète, et l’exploitation de l’imperfection et de la défaillance pour créer un nouveau type de précision. La liste des commandes qu’elle a honorées à ce jour comprend plus de 50 œuvres pour de nombreux artistes et ensembles de renom.

Zeiss After Dark est le fruit d’une commande conjointe de l’Orchestre du Centre national des Arts et de l’Orchestre symphonique de Toronto, et figurait parmi les 40 ‘Sesquies’ – des pièces d’ouverture de concert de deux minutes chacune – commandées conjointement à différents compositeurs pour célébrer le 150e anniversaire (« sesquicentenaire ») du Canada en 2017. Créée par l’Orchestre du CNA à Ottawa le 23 février 2017, l’œuvre a été jouée par d’autres ensembles par la suite. Mme Lizée décrit sa composition en ces termes :

Dans le film Barry Lyndon, Stanley Kubrick et le directeur photo John Alcott n’ont utilisé comme éclairage que trois bougies pour la fameuse « scène à la chandelle ». Le résultat : une scène comme nulle autre dans l’histoire du cinéma, un aspect diaphane rappelant un tableau à l’huile en mouvement. La créativité et l’ingéniosité technique requises pour créer cet effet pour le moins organique étaient considérables. Des caméras dotées de lentilles Zeiss conçues pour la NASA se sont avérées la solution au problème d’éclairage quasi insurmontable de Kubrick. En composant cette pièce, je me représentais un équivalent sonique : une œuvre musicale qui met en lumière le son au moyen de techniques imitant les conditions de très faible luminosité – incandescence, papillotement, bokeh – recréées pour un orchestre.

Composée pour les instruments à vent, les cuivres, les timbales et les percussions, l’œuvre s’appuie sur les timbres distinctifs de ces instruments (et demande aux musiciens de frapper dans les mains) pour capturer musicalement cette technique cinématographique de faible éclairage.

Notes de programme par Hannah Chan-Hartley (traduit de l’anglais)

Korngold

Concerto pour violon

Dmitri Chostakovitch

Symphonie nº 9 en mi bémol majeur, opus 70

I.   Allegro
II.  Moderato
III. Presto –
IV. Largo – 
V.  Allegretto

Après la création de la Neuvième symphonie de Dmitri Chostakovitch (1906-1975), le 3 novembre 1945, par l’Orchestre philharmonique de Leningrad sous la direction d’Evgueni Mravinski, la réaction de la critique a montré clairement qu’on n’avait pas entendu l’œuvre qu’on attendait. Certes, le compositeur avait initialement prévu une sorte de « symphonie de la victoire héroïque », qui pourrait commémorer avec éloquence la contribution du peuple soviétique à l’effort de guerre contre le nazisme. Mais pour finir, la Neuvième n’a pas comblé ces attentes; son caractère relativement léger a été considéré comme une réponse inappropriée à l’humeur de l’après-guerre, et comme un reflet de ce climat particulier. Les autorités culturelles soviétiques l’ont fort probablement ressenti et, en 1948, elles ont interdit toute nouvelle exécution de la Neuvième symphonie (et d’autres œuvres de Chostakovitch). Ce n’est qu’après la mort de Staline, en 1953, que l’interdiction a été levée; l’œuvre a été jouée de nouveau en concert à partir de 1955. 

Sans doute avait-on espéré que la Neuvième symphonie allait épouser, par exemple, un arc narratif clairement défini relatant la trajectoire émotionnelle qui mène de la souffrance à la victoire. Cependant, même de tels tropes ne sont jamais ce qu’ils paraissent être à première vue dans la musique de Chostakovitch. On y trouve souvent un sous-texte d’une sombre ironie, que le compositeur a affiné au fil des années passées à écrire de la musique sous le regard inquisiteur de Staline et de son parti. Il faut savoir que Chostakovitch était conscient qu’écrire une « symphonie de la victoire héroïque » reviendrait à célébrer Staline et son parti, qui avaient auparavant assassiné des milliers de personnes et dont le régime oppressif, sous lequel le compositeur avait déjà subi une dénonciation très publique en 1936, allait reprendre après la guerre. Il semblait donc impossible de créer une telle œuvre tout en offrant un authentique exutoire émotionnel à ce que le peuple soviétique avait vécu. L’amère ironie de cette situation ne pouvait être mieux exprimée, peut-être, que par l’humour noir de la Neuvième.

L’Allegro d’ouverture, résolument comique, présente deux thèmes principaux : un motif jovial introduit par les premiers violons et, plus tard, un air irrévérencieux exposé par le piccolo, annoncé de façon tapageuse par le trombone avec timbales et caisse claire. (Ce dernier thème évoque irrésistiblement de la musique de cirque.) La tension monte à mesure que les thèmes se développent, devenant des caricatures d’eux-mêmes lorsqu’ils atteignent un point culminant frénétique. Les mélodies clés sont reprises, mais dans une nouvelle instrumentation et un nouveau contexte qui font apparaître l’aspect plus sombre du mouvement.

La clarinette solo amorce le deuxième mouvement avec un genre d’air de valse mélancolique et décalé, qui est ensuite repris par la flûte et le basson. Les cordes se lancent dans un passage ascendant angoissant, sur lequel se découpent les plaintes du hautbois et de la clarinette. La flûte solo ramène le thème principal, après quoi les cordes reviennent également, mais dans un registre plus aigu, jusqu’à atteindre un sommet éthéré. Le piccolo clôt le mouvement avec une dernière interprétation plaintive de la mélodie d’ouverture.

Les trois derniers mouvements sont enchaînés sans pause. Le Presto est un scherzo hautement théâtral à l’éclat chatoyant. La clarinette solo prend à nouveau les devants, cette fois avec un thème étincelant qui est ensuite joué par les vents, puis par les cordes. Dans le trio, la trompette fait éclater la caricature d’une mélodie. Après le retour du scherzo, le rythme ralentit et le climat prend un tour solennel, menant au quatrième mouvement qui s’amorce avec un passage retentissant et menaçant joué par les trombones et le tuba sur des rythmes pointés. Cette sinistre « annonce » alterne avec un solo de basson méditatif de caractère élégiaque. Cette musique pose-t-elle un regard rétrospectif sur la guerre ou prospectif sur la suite des choses? Quoi qu’il en soit, elle ne s’y attarde pas longtemps. Comme pour secouer les mauvais souvenirs ou les inquiétudes face à l’avenir, le basson entame le finale sur un air plein de charme, qui est repris tout au long du mouvement sous diverses formes. Les cordes présentent ensuite un thème robuste. Peu à peu, l’orchestre progresse avec la mélodie principale; le rythme s’accélère soudainement, pour finalement atteindre un point culminant – l’air léger devient une marche militaire. (Quant à savoir s’il s’agit d’une célébration authentique ou forcée, ça reste ouvert à l’interprétation). Le tempo s’accélère à nouveau, et l’orchestre s’élance vers la conclusion de la symphonie.

Notes de programme par Hannah Chan-Hartley (traduit de l’anglais)

Philip Glass

Symphonie n° 13*

Avec ses opéras, ses symphonies, ses compositions pour son propre ensemble et ses abondantes collaborations avec des artistes allant de Twyla Tharp à Allen Ginsberg, de Leonard Cohen à David Bowie, le compositeur américain Philip Glass a exercé une influence extraordinaire et sans précédent sur la vie musicale et intellectuelle de son époque. Il est le premier compositeur à avoir conquis simultanément un large public multigénérationnel à l’opéra, dans les salles de concert, dans le monde de la danse, au cinéma et dans la musique populaire. Au cours des vingt-cinq dernières années, il a composé plus de vingt-cinq opéras, douze symphonies, treize concertos, des bandes originales de films, neuf quatuors à cordes, et un nombre croissant d’œuvres pour piano et orgue solo. 

La Symphonie no 13 de Philip Glass a été commandée pour l’Orchestre du Centre national des Arts du Canada par la famille Jennings, en hommage au regretté journaliste canadien Peter Jennings, né à Toronto. Présentateur de nouvelles très respecté pour ABC News, Jennings a également été administrateur du Carnegie Hall pendant les années qu’il a passées à New York, directeur fondateur de la section américaine des Amis de l’Orchestre du CNA, et s’est fait toute sa vie l’ardent promoteur des artistes canadiens en général. L’œuvre a été présentée en première mondiale par l’Orchestre du CNA à Toronto le 30 mars 2022; le concert de ce soir marque la première américaine de la symphonie.

Notes de programme par Hannah Chan-Hartley (traduit de l’anglais)