≈ 55 minutes · Sans entracte
Dernière mise à jour: 2 avril 2019
Quand je songe au Théâtre l’Œil, ce sont évidemment ses remarquables marionnettes qui me viennent à l’esprit. La compagnie en a confectionné des centaines en plus de quarante-six ans d’existence et de créations folles. Sa longue histoire renferme une impressionnante collection où se bousculent joyeusement des marionnettes de toutes les tailles et de toutes les formes possibles et imaginables. Peuplé de personnages bigarrés, un monde palpitant s’ouvre chaque fois que les équipes artistiques s’attellent à une nouvelle écriture. Avec Marco bleu, adapté du superbe album Même pas vrai, c’est la plume espiègle de Larry Tremblay qui est aux commandes. C’est elle qui a éperonné l’imaginaire des artistes et artisans. Car il y a certes matière à invention dans ce récit, où l’auteur s’amuse allégrement à faire la navette entre le quotidien du jeune Marco et une perspective surréelle des plus déjantées. Dès ma première lecture du texte, j’étais moi-même curieuse de voir quelles marionnettes et autres créatures animées cet univers allait cette fois engendrer. Je me demandais déjà comment les interprètes et manipulateurs allaient leur prêter vie et personnalité pour raconter l’étonnant voyage existentiel de Marco. Avec le Théâtre l’Œil qui rencontre Larry Tremblay, mon petit doigt me disait que les plus beaux délires étaient permis !
Entretien avec Martine Beaulne
À la lecture de l’album Même pas vrai de Larry Tremblay, quel a été le déclencheur, qu’est-ce qui t’a donné envie de transposer ce texte à la scène?
Larry Tremblay a un monde imaginaire particulier et authentique qui me séduit à chacune des parutions de ses œuvres. Même pas vrai met en scène le jeune Marco qui vit des heures difficiles depuis la naissance de sa petite sœur. Le côté timide et naïf de ce personnage qui se libère de cette réalité affective complexe grâce à la force de son imaginaire a été le déclencheur de ce désir de transposition. Ce voyage intérieur et fantastique permettra à Marco de composer avec cette nouvelle réalité, de se réconcilier avec sa petite sœur, de vivre une liberté d’expression à travers le dessin.
Est-ce que les illustrations de l’album ont influencé la scénographie et le visuel du spectacle? Comment s’articule ce passage du dessin en noir et blanc à un univers tridimensionnel en couleur?
Par respect pour l’auteur des illustrations, la création de Marco bleu se veut une œuvre distincte du roman graphique. La dramaturgie et la conception visuelle ont été repensées pour un théâtre de marionnettes s’adressant à un jeune public. Marco bleu est inspiré de Même pas vrai mais avec l’auteur Larry Tremblay, nous créons une œuvre originale. Richard Lacroix est le concepteur scénographique qui dessine cet univers tridimensionnel en couleur et en mouvement.
Toi qui as une démarche riche, rigoureuse et centrée sur le jeu d’acteur, comment mets-tu en scène des marionnettes? Quelles sont les similitudes et les différences?
En théâtre de marionnettes, les choix scénographiques que nous faisons en amont définissent les grandes lignes de la mise en scène, la dynamique et la rythmique des mouvements des personnages. La direction du jeu sera donc tributaire de ces choix. Par contre, le travail d’analyse du texte, la recherche de justesse de sens et d’énonciation seront perceptibles à travers les mouvements et les voix des personnages. Il n’y a pas tant de différences sinon celle de prêter corps à un autre corps que soi. La vie de la marionnette doit créer une unité entre le sens du texte, de la situation, du rapport entre les personnages, des mouvements et des voix. Avec André Laliberté qui cosigne la mise en scène, nous mettrons nos différents talents en commun pour porter cette œuvre avec toute la pertinence et la fantaisie qu’elle mérite.
— Propos recueillis par Amélie Dumoulin
De Larry Tremblay
Gina : Regarde, Marco. Ma poupée Lili a perdu un œil. Maman lui a cousu à la place un gros bouton.
Marco : Pourquoi ta poupée a perdu un œil?
Gina : Si je te dis pourquoi, tu ne me croiras pas. C’est un secret.
Marco : Je ne vais le dire à personne.
Gina : Tu le jures?
Marco fait le signe, je le jure
Gina : Crache.
Marco crache
Gina : Ok. Hier, quand je jouais avec ma poupée Lili, j’ai trouvé un bonbon par terre. Je l’ai mangé.
Marco : Beurk!
Gina : Une grosse boule de lumière bleue est apparue. Puis j’ai vu…j’ai vu…un extraterrestre qui faisait comme ça :
Gina fait non, non, non, avec sa tête.
Gina : Je lui ai demandé pourquoi il faisait « non, non, non » avec sa tête. Il m’a dit que le bonbon, c’était son œil! Et là, je me suis approchée de lui et j’ai vu…j’ai vu qu’il avait un trou dans la face.
Marco : Même pas vrai!
MARCO
Petit garçon de sept ans et demi, Marco vient d’accéder au statut de grand frère, après la naissance de sa sœur, Maria-Héléna, qui accapare ses parents. Dans le monde merveilleux qu’il s’invente avec sa copine Gina, Marco est un de ces lutins qui, comme Peter Pan, doit apprendre à grandir…
GINA
C’est la meilleure amie de Marco. Vive et espiègle, elle ne manque pas d’imagination, ce qui lui fait raconter toutes sortes d’histoires parfois si extraordinaires qu’elle-même n’y croit pas vraiment… Enfin, presque pas...
MAMAN et PAPA
Ils sont comme tous les parents d’un nouveau bébé : un peu débordés, un peu fatigués, tout en restant attentifs aux besoins de Marco.
BÉBÉ MARIA-HÉLÉNA
Elle est un bébé très actif qui gigote et grimpe partout. Son arrivée bouscule la dynamique familiale et dérange Marco.
MARCO BLEU
C’est un extraterrestre qui ressemble à Marco, mais en bleu et avec des antennes sur la tête, un peu comme un Petit Prince habitant une planète très particulière. Là-bas, les semaines n’ont que deux jours, les souvenirs se rangent dans des boîtes et l’espace-temps joue des tours.
LILI ROUGE
Elle est très grande et habite dans un tiroir, sur la planète de Marco bleu, où elle passe son temps dans les livres. Comme la poupée de Gina, elle n’a qu’un œil, mais il est magique et lui permet de lire dans le noir.
MARIONNETTE TYPE BUNRAKU
Très grande marionnette japonaise pouvant mesurer jusqu’à 1,5 mètres, manipulée la plupart du temps par trois marionnettistes visibles du public. Le maître s’occupe de la tête et de la main droite. Un autre manipulateur s’occupe de la main gauche, tandis que le dernier manipule les membres inférieurs.
Dans Marco bleu… Les personnages principaux, Marco et Gina, sont des marionnettes d’inspiration Bunraku. Leurs mouvements sont expressifs et naturels car elles sont manipulées près du corps des marionnettistes. Elles sont celles dont les mouvements reproduisent le mieux ceux des humains car aucune tige, ni corde ne la sépare du marionnettiste.
MARIONNETTE PERSONNAGE MASQUÉ
Le masque se porte sur le visage du comédien pour le cacher en totalité ou en partie. Ainsi, comme une marionnette, il devient un personnage. Le masque permet à l’acteur d’avoir une autre identité physique que la sienne.
Dans Marco bleu… Les parents de Marco sont des personnages masqués. Ils ont une fluidité de mouvement, comme un être humain, car c’est à partir du corps de l’acteur, muni d’un simple masque, que le personnage se construit.
MARIONNETTE EN À-PLAT
La marionnette en à-plat est inspirée des marionnettes du théâtre d’ombres par sa forme bidimensionnelle. Il s’agit d’une silhouette colorée ou non, découpée dans du carton, du plastique ou une planchette que l’on montre directement au public sans écran, ni lumière.
Dans Marco bleu… Marco bleu, Bébé robot et les moutons sont des marionnettes en à-plats.
— Extrait tiré du cahier d’accompagnement produit par la compagnie
Promouvoir l’art de la marionnette est la raison d’être du Théâtre de l’Œil depuis le début des années soixante-dix. Compagnie de recherche et de création, l’esprit d’innovation qui la caractérise s’exprime dans ses productions destinées au jeune public, dans sa capacité à les diffuser et dans les activités de formation professionnelle. Aller à la rencontre des jeunes spectateurs avec passion et intelligence, proposer et faire apprécier des univers variés en misant sur la force de l’image théâtrale, raconter des histoires qui trouvent une résonance dans l’imaginaire des enfants, les faire rêver, rire et réfléchir, sont les objectifs de la compagnie. Voulant diversifier et enrichir l’art de la marionnette, le Théâtre de l’Œil privilégie l’alternance ou le mélange de divers types de marionnettes. Grâce à ses conceptions scénographiques, à l’ingéniosité de ses marionnettes et à l’originalité des thèmes abordés, le Théâtre de l’Œil s’est construit une solide réputation, au Québec, au Canada et à l’international. Fondé en 1973 par Francine Saint-Aubin et André Laliberté, actuel directeur artistique, le Théâtre de l’Œil compte aujourd’hui 26 productions.
Artiste autour du globe
L’auteur et ses œuvres ont beaucoup voyagé. Après sa maîtrise, Larry Tremblay prend l’avion pour l’Inde afin d’apprendre le kathakali, une forme de théâtre dansé ancestral. Chez nous, il brille comme acteur, metteur en scène, et surtout auteur. Son monologue Dragonfly of Chicoutimi (1996) fait partie des classiques du répertoire. Professeur à l’UQAM, il arrive plus tard au roman. L’orangeraie, maintes fois primé, est un condensé des obsessions de Tremblay : l’identité, le double, les frontières. Avant d’être le personnage de Même pas vrai, album duquel s’inspire Marco bleu, le garçon espiègle a longtemps rendu visite à Larry en songes. Un jour, il lui a dit : « D’accord, Marco, je vais t’écrire. »
Insuffleur d’âmes
La marionnette a-t-elle une âme ? André Laliberté, marionnettiste émérite, croit que oui ! Et il ne cesse de le prouver depuis 1973, année où il cofonde le Théâtre de l’Œil. Que ce soit Un autre monde (1990), l’incontournable Porteur (1997) ou plus récemment Le cœur en hiver (2015), les œuvres de sa compagnie font battre les cœurs des spectateurs (pas moins de 1,3 million depuis les débuts). André Laliberté est aussi un des pères fondateurs de la Maison Théâtre, à Montréal. Et dire que tout a commencé quand, à 13 ans, il a été hospitalisé et a vu son premier théâtre de marionnettes !
Artiste ubiquitaire
Martine Beaulne a plusieurs vies théâtrales. Elle débute au Parminou, théâtre militant qu’elle cofonde. Elle parcourt ensuite le monde à la recherche d’autres savoir-faire. En Italie, elle étudie la commedia dell’arte ; au Japon, le butō ; au Danemark, elle rencontre Eugenio Barba. En plus d’être comédienne, elle a signé la mise en scène de plus d’une soixantaine de pièces, tous répertoires confondus – classique, international, québécois –, dont l’incontournable Albertine, en cinq temps, de Michel Tremblay, en 2000. La grande constante chez Martine Beaulne : cette façon unique de placer l’acteur au cœur de sa démarche artistique. Après La cité des loups, en 2005, Marco bleu est sa deuxième collaboration avec l’Œil.
Diplômée de l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx (2012), Julie Renault se consacre surtout au théâtre jeunesse sous toutes ses formes : elle travaille pour plusieurs compagnies d’animation pour enfants, est l’une des fondatrices de la compagnie La Bouée rouge et présente un court numéro théâtral sur la motivation scolaire, et participe à la création de J’ai la bougeotte… et toi?, spectacle jeunesse qu’elle met en scène et interprète avec énergie. Elle est de la distribution Les Zurbains 2014 et l’auteure de la pièce La quête du nombril, présentée en 2016. Elle participe à plusieurs productions musicales et théâtrales en Abitibi-Témiscamingue, soit Norandanord, Les filles Lafaille, Ma Noranda et La craque. Au festival St-Ambroise Fringe de Montréal, elle était de la distribution de Les ordinateurs et sera de la pièce En attendant Amy. Vous avez pu la voir au cinéma dans le film La petite reine. Julie suit une formation de marionnette géante avec La dame de cœur et œuvre dans le domaine de la marionnette en compagnie du Loup bleu (Théâtre du Sous-marin jaune), dans le spectacle Guerre et paix présenté à la Bordée en novembre 2014 et en tournée mondiale. Elle a coécrit Starshit présentée aux Zones Théâtrales 2017.
Diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada, Jérémie Desbiens travaille en doublage et en théâtre. Il s’est spécialisé en théâtre de marionnettes auprès d’artistes de renom tels Francis Monty, Olivier Ducas, Michel Ledoux, Agnès Limbos, Anne Lalancette, Marthe Adam et Paulo Balardim.
En plus d’avoir participé à la série Passe-Partout, son travail de marionnettiste le mène à performer au Canada, aux États-Unis et en Europe avec le théâtre La Roulotte, les compagnies Ombres folles, Théâtre de l’Œil, Théâtre de la Pire Espèce, Théâtre Magasin, Socalled, La Ruée vers l’or et son propre collectif Les Hommes-objets. En 2016, il remporte le Prize for acting/manipulation skills au Festival international de théâtre pour enfants de Subotica (Serbie) grâce au spectacle Les Routes ignorées / Off the Beaten Path (Ombres folles). Il est également nommé meilleur acteur au Puppet Up! Festival de Kyiv, en Ukraine.
Quand tu me regardes est sa première collaboration avec Corpuscule Danse et lui permet de renouer avec ses années de formation en danse.